Illustration : Layloo (@mycrazycolouredmind)
J’ai été vierge jusqu’à l’âge de 25 ans. Je comprends bien aujourd’hui que la virginité est une construction sociale qui est adressée aux femmes (on entend beaucoup plus souvent « une vierge » que « un vierge », n’est-ce pas?), et qui est basée à tort sur l’intégrité de l’hymen. Même l’Organisation mondiale de la santé associe le concept de virginité à la discrimination à laquelle les filles et les femmes font face et reconnaît qu’il cantonne la sexualité féminine à la sphère du mariage. Malgré tout ça, on a beau dire, au moins dans les milieux féministes, que le concept de virginité est une construction sociale, reste que ça fait mal quand t’es la seule qui a pas été invitée au party.
Quand j’étais adolescente, non seulement je ne savais pas que l’idée de la virginité était un mythe, mais même si je l’avais su, ça ne m’aurait pas rassurée. Je me sentais différente. J’avais l’impression qu’il y avait quelque chose qui marchait pas chez moi. Je dois bien faire quelque chose de pas correct, non? Alors que mes amies, une à une, vivaient tout plein d’expériences, leur premier baiser, leur première date, la première fois qu’elles ont fait l’amour… Moi, rien. J’ai eu des kicks en masse au secondaire, mais jamais je n’aurais osé leur parler, étant tétanisée à la simple perspective de croiser leur regard. Puis, à partir du cégep, j’ai eu de moins en moins de kicks, c’était comme si je ne trouvais plus aucun homme intéressant. À part mon premier « chum » à la maternelle, j’ai eu ma première date à l’âge de 17 ou 18 ans et mon premier baiser à l’âge de 22 ans.
Pourquoi je n’arrivais pas à rencontrer des gars / hommes que je trouvais intéressants? Pourquoi ceux qui m’intéressaient ne démontraient aucun intérêt envers moi? Pourquoi étais-je incapable de les approcher et d’exprimer mon attirance? Est-ce que j’étais « insuffisante », d’une manière ou d’une autre? Est-ce que c’était moi qui devait changer? Est-ce que c’était les autres? Est-ce que c’était parce que je n’étais pas assez belle? Trop intimidante?
Encore aujourd’hui, c’est dur pour moi de dire pourquoi j’avais tant de misère à devenir proche des gars / hommes de mon âge.Toutes ces questions me trottaient dans la tête presque constamment et je n’y trouvais pas de réponses.
Depuis l’âge d’environ 15 ans, soit l’âge auquel certaines de mes amies ont commencé à dater, jusqu’à tout récemment, j’ai manqué de confiance. Pendant des années, j’ai été prise dans un cercle vicieux (et j’ai l’impression que je suis vraiment pas la seule à avoir déjà vécu quelque chose comme ça!). Plus je manquais de confiance, plus je me fermais aux autres. Plus je me fermais aux autres, plus je me sentais seule, et mon niveau de confiance diminuait encore plus. Et puis quand j’ai eu 17 ou 18 ans, quand je suis arrivée au cégep, que je me suis mise à rencontrer plein de nouvelles personnes (incluant des hommes!) à l’époque où j’ai commencé à sortir un peu plus dans des clubs ou des bars, ben les choses n’ont pas vraiment changé. J’avais du mal à sortir de ma zone de confort et les rares fois où je l’ai fait, où j’ai abordé des hommes (avec toutes les peines du monde), nos interactions me semblaient étranges, mécaniques, peu naturelles, comme si je jouais un rôle qui ne me ressemblait pas. On aurait dit que j’imitais d’autres personnes – peut-être des personnes que j’avais vues à la télé? – mais que ça ne donnait pas les résultats escomptés. Je n’arrivais pas à réellement créer des liens avec mes interlocuteurs, ça restait toujours en surface. Oui, j’ai daté un (tout petit) peu. Non, je n’ai pas frenché tant que ça. À vrai dire, ça m’a pris du temps avant que je comprenne que frencher, j’aimais ça. Il semble que j’étais un peu clueless aussi. Lorsque quelqu’un m’invitait à aller prendre un verre, j’avais toujours l’impression que ça sortait de nulle part. Oui, on avait été friendly, mais je pensais justement que ce n’était que ça : des démonstrations d’amitié. Mes amies levaient les yeux au ciel quand j’exprimais ma surprise. Pour elles, c’était évident que mon interlocuteur flirtait avec moi. J’avais énormément de difficulté à faire la différence entre exprimer un intérêt amical envers une personne et flirter. On dirait que je le réalisais tout le temps seulement après coup. Comme la fois où j’étais avec des ami.e.s dans un jacuzzi chez les parents de quelqu’un, qu’un gars me massait les pieds, et que je suis tombée des nues quand il m’a invitée à une date. Ouais, vraiment très clueless.
Ce qui me trouble dans tout ça, c’est qu’encore aujourd’hui, comme quand j’étais ado et malgré le recul que j’ai maintenant et les expériences que j’ai vécues, je me demande si c’était moi la fautive, si c’était moi qui aurait dû changer quelque chose, ou si c’était « la faute des autres ». Les mêmes questions reviennent, dans un format un peu différent. Est-ce que j’aurais dû être plus ouverte? Est-ce que, à défaut de l’être réellement, j’aurais dû faire semblant? Est-ce que c’est les autres qui auraient dû m’approcher davantage? Les deux? Aucune de ces réponses? Je ne sais pas. À ce sujet, je vous invite à lire l’excellent texte de Médusa sur le désir et la culpabilité.
Je me sentais seule dans cette condition-là, mais c’était juste une impression. Je sais, et je savais même à l’époque, que je n’étais pas la seule à ne jamais avoir fait l’amour. J’avais d’autres amies qui vivaient la même chose, mais c’était un non-dit, on n’en parlait jamais. Un savant mélange de gêne et de honte qui nous faisait garder le silence. Un jour, alors que j’apprenais à connaître davantage une amie et qu’on commençait à entrer dans les détails intimes, au fil de nos conversations, on s’est rendu compte qu’on était dans la même situation. Je ne me souviens pas exactement comment on en est arrivées là, mais je me souviens d’avoir vécu un tel soulagement! On devait avoir 18 ou 19 ans, et déjà, on se sentait seules, entourées de personnes qui avaient fait l’amour et qui pouvaient parler avec légèreté de leurs aventures sexuelles, tandis que nous, on gardait le silence. J’ai pu me vider le coeur, et elle aussi. On a pu se valider l’une et l’autre : Non! T’es incroyable, intelligente, gentille, belle, t’as toutes les qualités possibles.
C’est pour ça que je veux en parler : j’aurais tellement aimé avoir ça plus tôt, quelqu’un qui me dise que c’est normal, que pas tout le monde évolue au même rythme. Et pas les trucs sensationnalistes qu’on voit des fois sur les médias sociaux : 10 personnes racontent pourquoi elles sont vierges à 40 ans! Je ne me reconnaissais pas là-dedans. J’étais juste une fille ben ordinaire qui avait le goût de vivre une relation. J’aurais bien aimé avoir pu lire, par exemple, le texte de Padmé sur le mythe de la première fois.
Après quelques années, après quelques dates qui n’ont mené à rien, j’ai commencé à me questionner sur ma sexualité : est-ce que, finalement, je m’étais trompée? J’étais pas mal certaine de ne pas être sur le spectre de l’asexualité, mais est-ce que c’était vraiment les hommes qui m’attiraient? La réponse, comme c’est souvent le cas dans le domaine de la sexualité, est compliquée. Mais je ne pense pas que c’était ça qui me freinait vraiment. Je ressentais effectivement du désir, parfois envers des femmes, mais beaucoup plus souvent envers des hommes. Au-delà de tout ça, ce n’était pas juste le sexe que j’attendais avec impatience, c’était aussi l’intimité (allez lire le texte de Princesse Chihiro, Le sexe : un obstacle à l’intimité?). Les quelques personnes que j’avais datées ne m’avaient pas comblée en terme d’intimité non plus. Peu de contacts physiques, très peu de conversations profondes. Quand j’y pense, ça me fait même un peu de peine, puisque jusqu’à 25 ans, personne ne m’a pris dans ses bras, personne ne m’a serrée pour de vrai.
Là, j’ai encore le réflexe de me dire que c’était de ma faute, que je ne m’étais pas suffisamment ouverte. D’un autre côté, je me dis que je ne m’étais pas ouverte parce que je ne m’étais pas sentie en confiance, parce que ça n’avait pas cliqué. J’avais une bonne amie qui m’avait dit qu’elle voyait un peu sa fermeture par rapport aux relations intimes et sexuelles avec les hommes, qui était semblable à la mienne, comme les horcruxes dans Harry Potter. Une fois qu’on a un horcrux, il faut avoir les bons outils pour le détruire, sinon ça ne fonctionnera pas et on aura perdu une opportunité. S’il n’a pas les bons outils, Harry perd sa chance de détruire le horcrux, et le gars qui flirte avec moi perd sa chance d’ouvrir ma coquille et d’apprendre à me connaître.
Anywho, pour en revenir aux dates, j’étais terrorisée à l’idée d’installer Tinder ou une autre application du genre sur mon téléphone. La sexualité est tellement normalisée dans ce genre de contexte que moi, qui était une novice absolue (en matière de sexualité à deux, on s’entend), je me voyais mal entrer dans cette game-là. Awkward petite moi, flirter, dater et hook-uper? Que nenni. Ceci étant dit, j’avoue que, vers la fin, j’y ai pensé. Est-ce que ce serait mieux de juste dédramatiser tout ça et de le faire, tout simplement? C’était plus facile à dire qu’à faire.
Ah et pis le fameux : c’est correct, tu prends ton temps, quand tu vas trouver quelqu’un, ça va être le bon/la bonne… Ça ne me tentait vraiment pas de l’entendre. Je ne voulais pas nécessairement que la première personne avec qui je couche soit la dernière! Je voulais pas trouver le bon, juste le premier.
Et puis quand c’est arrivé, à 25 ans, j’ai été chanceuse. J’ai été avec une personne qui a respecté mon rythme, sans poser de questions, comme si c’était naturel, sans montrer ne serait-ce qu’une seule once de condescendance, ou même de curiosité. Juste un merveilleux « ok, comme tu le sens ». Peut-être que cette personne a ressenti de la curiosité, mais j’ai vraiment apprécié qu’elle ne me le montre pas. Après tout, c’est pas très plaisant de se sentir comme une énergumène. Avec tout ça, je me souviens à peine de la première « vraie » fois qu’on a fait l’amour. La première « fausse » fois, j’étais trop nerveuse, ça n’a pas fonctionné, on a arrêté. La première « vraie » fois, je crois que c’était chez moi, et il me semble que je me souviens d’avoir trouvé ça plutôt plaisant (parenthèse importante : le lubrifiant, c’est vraiment un bon outil qui m’a beaucoup rassurée. Au final, je n’en ai pas vraiment eu besoin, mais j’étais confortée par l’idée d’en avoir et je m’en sers encore des fois. Bref, Padmé et moi, on recommande.). On dirait que le fait que je m’en souvienne très peu illustre à quel point c’était pas tant le sexe et la pénétration qui étaient important.e.s pour moi, c’était plus l’idée de partager une relation intime avec une autre personne. Finalement, je suis encore en couple avec le premier, malgré mes appréhensions là-dessus.
Bizarrement, on est quelques-unes, dans mon cercle d’amies, à avoir perdu notre virginité à 25 ans. Une de ces amies m’avait demandé, alors qu’on parlait du sujet : « T’as quel âge? 25 ans? Ah ben t’es all good dans ce cas-là ». Et j’ai dit la même chose à une autre amie qui était la dernière de ce club très particulier (ou pas tant finalement, s’il y a un club), qui a aussi été « all good » pas longtemps après. Je pense que, dans mon cas, la confiance est venue avec l’âge. J’ai décidé d’arrêter de tout questionner, de faire des scénarios dans ma tête à chaque fois que je rencontrais un gars. J’ai décidé de m’en foutre, à tout le moins en théorie. En pratique, c’est plus délicat, mais mon mindset, s’il n’est pas le seul élément qui m’a permis d’enfin avoir des liens intimes avec un homme, m’aura au moins libérée d’une bonne part d’anxiété et de doute.
J’ai pas vraiment de réponses à toutes les questions que je me suis posées, disons, de 15 à 25 ans. Tout ce que je sais, c’est que pendant toutes ces années-là, j’aurais aimé me sentir moins seule et moins différente.
Perséphone
Candidate à la maîtrise et musicienne à ses heures, Perséphone est une nerd assumée et une grande fan de drames romantiques d’époque. Introvertie qui aime les gens (même si ça a l’air contradictoire!), elle croit fermement au droit des fxmmes de faire ce qui peut bien leur plaire!
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