Illustration: Alice (@halissss)
5 pieds 2 et demi. Une baby-face. Une personnalité un peu bubbly. Le genre à faire des p’tits rires nerveux tout le temps. Le genre à être gênée et un peu anxieuse. Le genre à être tannée d’être la « p’tite jeune ».
Je sais que j’ai l’air jeune. Ça doit faire au moins dix ans que j’ai l’air d’avoir 14 ans. J’anime des ateliers dans les écoles secondaires et les jeunes pensent que j’ai leur âge. Les profs pensent que je suis une stagiaire. Pendant la pandémie, j’ai été faire l’épicerie avec ma mère et une commise nous a abordées pour nous dire qu’elle cherchait des emballeur.euses si jamais j’avais 16 ans… Plot-twist, je venais de terminer mon bac. Juste la semaine passée, je me suis fait aborder par une femme plus âgée qui me demandait à quelle école secondaire j’allais. Vous auriez dû voir son étonnement quand je lui ai dit que j’étais en train de compléter une maîtrise. Le pire, c’est que c’est même pas la première fois que ça m’arrive.
J’ai eu l’air plus jeune que mon âge toute ma vie. C’est un classique chez les femmes de ma famille. Ma mère se faisait encore carter à la SAQ à l’âge de 38 ans. Quand je ventile sur mes expériences plus négatives en lien avec ma baby-face, je reçois toujours le même commentaire de la part de mon entourage : Tu vas voir, c’est pas le fun en ce moment, mais quand tu seras plus vieille, tu vas être contente de ne pas faire ton âge. Je sais que ça part jamais d’une mauvaise intention et que les personnes qui me disent ça veulent me rassurer. Mais, primo : je pense que les femmes devraient avoir le droit de vieillir et de « faire leur âge ». Et secundo : pour moi, c’est énervant d’avoir l’air d’une adolescente quand je suis dans la mi-vingtaine.
C’est pas énervant pour les raisons que vous pensez. C’est fuckin’ énervant, parce que soyons ben honnêtes une seconde… on traite pas toujours bien nos jeunes. Trop souvent, les adultes regardent les jeunes de haut. Dans mon temps… Ah les jeunes d’aujourd’hui… Vous me croyez pas ? Pensez au traitement réservé à Greta Thunberg. Des grown-ass adultes se sont mis.es à l’insulter massivement en raison de son âge, de son genre et du fait qu’elle est autiste (ce qui est une autre forme d’oppression nommée le capacitisme). Des ados qui sont critiques de la société, qui expriment des opinions… Ça passe jamais bien.
Comme si les jeunes ne devaient pas avoir leur mot à dire sur la société dans laquelle iels vivent. T’es trop jeune pour comprendre. Les jeunes se plaignent tout le temps pour rien… Je réalise que certain.es adultes n’aiment pas être confronté.es dans leur manière de voir le monde. Iels réagissent fortement au fait que les jeunes ont des trajectoires de vie et des valeurs différentes des leurs. Ces adultes sont peut-être animé.es par la peur du changement, de perdre leurs repères ou encore de devenir désuet.ètes. Pis honnêtement, j’ai l’impression qu’il y a un peu d’envie de leur part aussi. D’une génération à l’autre, on a pas toustes eu le même luxe d’être respecté.es et protégé.es dans notre jeunesse. C’est frustrant pour certain.es adultes de constater qu’iels ont vécu des injustices, plus jeunes, qui n’auraient peut-être jamais eu lieu aujourd’hui.
Et finalement, y a le fait que la jeunesse est perçue comme un idéal à atteindre ; alors que la vieillesse, elle, est vue comme une fatalité, à éviter et à retarder le plus possible. Il faut avoir l’air plus jeune. Toujours être énergique ou productif.ve. On dirait que l’âgisme nuit aux relations entre les générations. Parce que ce mépris jeté aux plus vieux.eilles, les jeunes aussi y goûtent.
Iels sont souvent des boucs émissaires pour les adultes. On leur projette toutes sortes de stéréotypes :
Il faudrait à tout prix discipliner les jeunes, parce que ce sont des futurs délinquant.es pis des fouteur.euses de troubles qui testent les limites. Une étiquette qu’on donne trop souvent et injustement aux jeunes garçons racisés, en passant.
Les jeunes qui sont en détresse veulent juste de l’attention.
Les jeunes femmes et les jeunes non-binaires qui s’habillent « sexy » veulent nécessairement provoquer et exciter sexuellement leurs profs (celle-là, c’est probablement de la projection de la part des hommes — si t’es un prof et que t’es pas capable de ne pas sexualiser des jeunes, t’es formellement invité à décrisser de ta job…). T’sais, les hommes ont même trouvé un terme pour parler de ces jeunes. Là, je traduis presque mot pour mot le Urban Dictionary : « Jail Bait [littéralement : Appât à prison]. Une femelle qui est sous l’âge du consentement, mais qui s’habille, agit et a l’air d’avoir l’âge du consentement et qui ne fait rien pour corriger cette impression lors des préliminaires. » (Je commenterai même pas la définition, mais je fais juste vous informer que j’ai un p’tit goût de vomi dans la bouche et une envie de toute crisser en feu.)
Ces stéréotypes-là, je les vis pas tous, évidemment. Mais, je vois la différence d’attitude des gens à mon égard quand iels pensent que je suis une adolescente. Des fois, ça peut être de me promener dans une école où je travaille et saluer le personnel pour, en retour, recevoir une face de bœuf (chose qui n’arrive pas quand on sait que je ne suis pas une élève). Je vois aussi la différence d’attitude dans les milieux de travail, où les plus jeunes ne sont pas tellement pris au sérieux. Pour ma part, c’est pas évident. Être une femme, avoir l’air jeune pis en plus avoir un TDA (ce qui fait en sorte que je cherche souvent mes mots quand je m’exprime, parce que j’ai une mémoire de poisson rouge), c’est pas optimal pour être prise au sérieux côté travail. Mon opinion est souvent mise de côté.
Et t’sais, je m’attends pas à ce que les gens pensent que j’ai la science infuse, je débute tout juste ma carrière. Par contre, ça veut pas dire que je peux pas être pertinente. Je trouve que parfois certain.es professionnel.les plus expérimenté.es se comportent en parents avec moi plutôt qu’en mentors. Pis, c’est gossant. J’ai pas besoin d’être maternée à ma job. Parfois, cette attitude-là peut aller jusqu’à invalider ma bisexualité (pour les personnes qui le savent), en me disant que « je suis jeune et que je sais juste pas encore si j’aime les filles ou les garçons ». Mon expérience subjective, ça vaut pas de la marde.
Je me souviens pertinemment de mon adolescence. Quand t’es ado, t’as pas ton mot à dire, parce que l’opinion des adultes pèse toujours plus dans la balance que celle des jeunes. On dirait que tout le monde se comporte comme si les adultes étaient toujours plus intelligents et matures que les jeunes. Pis tu réalises assez rapidement que c’est une façade quand tu arrives dans l’adolescence et dans le début de l’âge adulte, où il y a une tonne d’adultes qui savent pas gérer leurs émotions. Des adultes qui ont des propos complètement erronés. Des adultes qui déversent leurs propres frustrations sur toi, parce qu’iels ne peuvent pas utiliser leurs pairs comme des punching-bags… mais les jeunes… ça passe plus.
Quand t’es ado, t’apprends même à dévaloriser tes propres opinions et tes réflexions sur le monde à force de te le faire dire. J’ai beaucoup d’empathie pour les ados, parce que je pense qu’iels méritent d’être entendu.es et d’être traité.es comme des personnes à part entière — et pas juste comme des props dans la vie des adultes. Les ados et les enfants ne servent pas à combler les besoins des adultes. Iels ne sont pas votre cheap labor, votre nouvelle manière de booster votre statut social auprès des autres, ou de compléter vos rêves inachevés. En fait, iels vous doivent rien. Ce sont des personnes. Des personnes (je le répète d’un coup que c’était pas compris).
On passe notre vie d’adultes à essayer de guérir de nos blessures d’enfance. Mais criss… nos blessures d’enfance et d’adolescence auraient peut-être pu être évitées si on avait été collectivement traité.es comme des personnes et non pas comme les propriétés de nos parents. Si notre société occidentale et capitaliste avait décidé d’accompagner les enfants et les ados dans leur développement, plutôt que de toujours les modeler à devenir des bons p’tits travailleurs. Sont trop jeunes pour qu’on exploite leur force de travail, donc traitons-les comme des moins-que-rien.
Et pour revenir sur mon sujet initial : chers adultes qui me regardent de haut, en pensant que je suis incompétente ou un peu nounoune parce que j’ai l’air jeune, vous faites dur. Votre attitude en dit plus sur votre manque de maturité et vos insécurités que sur mon intelligence, la pertinence de mes réflexions et mes capacités. Même si j’étais une adolescente, je mériterais certainement pas votre mépris et votre condescendance. Vous êtes les preuves que c’est pas parce qu’on vieillit, qu’on est plus sages. Je suis crissement tannée de recevoir vos jugements gratuits et je devrais pas avoir à changer qui je suis pour être prise au sérieux.
C’est pas parce que j’ai l’air jeune, que je suis inférieure à vous autres. Le nombre de tours que j’ai fait autour du Soleil devrait pas dicter si j’ai droit au respect ou non. En fait, toutes les générations bénéficieraient d’apprendre les unes des autres. Pis ça, ça demande de sortir sa tête de son péteux, pis d’être ouvert.es aux autres. En serez-vous capables ?