Illustration : Anie-Jade (@anieglaze)
Suis-je devenue grosse ?
Cette semaine, j’ai acheté mes premiers vêtements taille plus. Pourtant, je ne me considère pas grosse. Ni mince d’ailleurs.
Étant jeune, j’étais mince. J’ai fait de la gymnastique jusqu’à 16 ans et la génétique était de mon côté. J’ai pris du poids après, mais pas assez pour subir la grossophobie (sauf internalisée) et pas assez pour devoir m’habiller dans des magasins différents. J’ai vieilli, mes courbes se sont arrondies, mes seins ont pris un bon C, et le reste fluctuait selon mes périodes plus sportives ou plus sédentaires. J’ai toujours pratiqué une alimentation assez instinctive, sans régimes, sans contrôle de portions ou d’aliments spécifiques. J’étais de celles qui ont un métabolisme chanceux. J’ai donc eu un privilège mince. Maintenant, je sais pu. Suis-je devenue grosse ?
La grossophobie, c’est tout ce qui fait en sorte que les personnes grosses sont discriminées ou stigmatisées dans la société. Ça inclut autant le manque de vêtements accessibles à la bonne taille que l’association entre ton poids et ta compétence au travail (ou en sport) ou encore les préjugés sur ton état de santé. La grossophobie internalisée, c’est de se stigmatiser soi-même, souvent en associant « se trouver gros.se » à « se trouver laid.e ». Le privilège mince, c’est que la société assume, à cause de ton apparence, que tu es en santé, que tu manges bien et que tu fais du sport, sans parler que tu entres dans les standards de beauté (surtout pour les femmes cis blanches).
Retour à mon corps. Une maîtrise, une dépression et un trouble d’anxiété généralisé plus tard, j’ai un IMC (indice de masse corporelle) de 30. (Oui, je sais que cette mesure est très controversée, bear with me). Ça me dit que je serais modérément obèse. Fun! Pourtant, j’ai encore l’impression d’être mince. Quand je vois une photo d’une femme qui porte du 6 par exemple, je trouve qu’elle me ressemble. Mais cet été, pour ma job, j’ai dû faire des vidéos. Et pour la première fois de ma vie, je me voyais grosse. La dissonance était étonnante. Moi qui aimait bien mes courbes en les regardant dans la douche, je me trouvais grosse, plus grosse qu’avant. Je ne dis pas ça dans un sens péjoratif. J’ai eu le privilège d’apprendre ce qu’est la grossophobie et ses pensées intrusives avant de réaliser que j’étais grosse. J’avais déjà diversifié mon instagram pour voir des personnes grosses magnifiques. Je peux donc me raisonner qu’être grosse ne m’enlève rien du tout. Je suis pas moins jolie, intéressante, compétente, talentueuse, sexy. Surtout que j’ai un amoureux merveilleux qui me trouve moelleuse de la manière la plus positive ever.
Suis-je devenue grosse ? Il semblerait que oui.
Les vêtements d’abord, qui ne me font plus. Je magasinais une robe pour être demoiselle d’honneur et je ne pouvais pas prendre le même modèle que mes amies puisqu’il n’existait pas en taille plus. En plus, les deux magasins taille plus que je connaissais ont fait faillite avec la covid. J’essaie de démêler les size charts des commandes en lignes (qui changent selon les morceaux) en me mesurant. Turns out, j’ai pas pris la bonne taille. Je suis entre un XL taille standard et un X ou 1X taille plus. Je comprends rien.
Les commentaires des proches suivent. Ben non t’es pas grosse…T’es super belle pareil! OK, mais je te parlais du problème que mon linge pref me fait pu, c’est correct de dire que je suis plus grosse qu’avant. L’association beauté et minceur est tellement néfaste en raison de son corollaire : gros.se = laid.e. Pis c’est pas vrai. Et grosse, ce devrait être un qualificatif, pas une insulte. Je suis petite, blanche, un peu rousse avec ma teinture et un peu grosse. That’s it.
Il y a aussi l’omniprésence de mes seins qui me rend indécente. Ça, c’est le pire. L’affaire, c’est que la coupe de la plupart des vêtements n’est pas faite pour couvrir des seins volumineux. Je ne porte pas de soutien-gorge non plus (par choix et parce qu’une brassière confortable en taille G, ça coûte la peau des fesses). J’ai déjà assez de pression pour m’habiller de manière à combattre mon sentiment d’imposteure et à ne pas avoir l’air d’une adolescente (salut mon acné d’adulte), je dois aussi rajouter « cacher mes seins et mon absence de brassière ». Parce que c’est toujours de ta faute si ta physionomie ne te rend pas « professionnelle ». Les professionnel.le.s, ça l’air d’un homme en chemise et veston, mince ou avec un léger dadbod, c’est ça? Ben moi, mes seins rentrent jamais dans des chemises. Je m’habille comment pour mon stage?
Est-ce que je veux rester grosse? Je laisse la vie en décider. Je refuse de gérer mes activités physiques et mon alimentation en vue de contrôler mon poids. Si j’en prends plus, soit. Si j’en perds, eh ben. Parce que je sais qu’un poids élevé ne veut pas dire mauvaise santé. Je n’ai pas les meilleures habitudes de vie, mais je suis loin d’être la pire. Mon poids n’affecte pas encore ma santé physique. Et pour ce qui est de mon IMC de 30, ce célèbre indice est reconnu pour ne pas prendre en compte bien des facteurs, comme le métabolisme naturel, la masse musculaire et la répartition des masses adipeuses. En fait, le plus gros danger pour la santé, c’est le yo-yo. Ma prise de poids graduelle ne m’inquiète pas vraiment et, en tant que bonne féministe, je suis pas mal certaine que les calculs de la « science » sont basés sur un certain sexisme qui met de côté la physionomie des femmes cisgenres et « oublie » que les femmes ont des seins (masse adipeuse) par exemple. Sans compter la prise de contraception hormonale et d’antidépresseurs qui agissent sur la prise de poids sans qu’on n’ait vraiment de données sur leurs effets secondaires. Ah pis la santé, ça inclut aussi la santé mentale, faut pas l’oublier! Pis je me sens mieux en ne pensant JAMAIS à mon poids qu’en essayant de rentrer dans un male gaze ou des standards de beauté impossible. Si mon apparence actuelle fait en sorte que moins d’hommes se retournent sur mon passage pour me zieuter, j’en suis bien contente. Si la place que je prends en plus en importune certain.e.s qui me trouvent moins jolie qu’avant, fuck them. J’existe pas pour elleux.
Et la grossophobie dans tout ça? Je commence à en subir les impacts. Même si je reste une small fat, (comme on dit dans le milieu militant, une femme curvy, hourglass, encore désirable selon certains standards) je commence à prendre conscience du regard des inconnu.e.s sur moi. Et j’ai peur des préjugés qui vont m’être attribués dans le futur, surtout dans ma recherche d’emploi : paresseuse, gloutonne, lâche, incompétente, sans maîtrise de soi.
J’ai pas hâte aux commentaires sur mes repas du midi et sur les régimes des collègues. Je veux pouvoir manger deux parts de gâteau dans n’importe quel événement social sans qu’on me regarde croche ou qu’on me juge quand je vais au McDo. Je veux pas penser aux tailles disponibles des vêtements promos à ma job. Je veux pas angoisser sur la prochaine fois que je vais prendre l’avion. Je veux pas de conseils sur l’activité physique pis l’alimentation par des personnes incompétentes dans le domaine.
Suis-je devenu grosse? M’en criss. Je veux juste être dans mon corps.
Triss Merigold
Historienne, archiviste, militante, fière féministe frustrée et poilue, et sorcière à ses heures, Triss Merigold replonge dans l’écriture avec douceur. Elle rêve de devenir la prochaine autrice de romans historiques québécois à succès. Toujours prête à écouter ses ami.e.s et sa famille avec une tasse de thé à la main et une couverte sur les genoux, elle se qualifie de matante accomplie.
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