Illustration: Frédérique (@visagevolant)
Seule dans mon appartement, un été d’université, où j’apprends tranquillement à apprivoiser le temps libre que j’ai décidé de m’accorder. Je repense à mes relations amoureuses. Une vague impression d’avoir souvent mis de côté mes désirs, mes pulsions, de ne pas toujours avoir été capable de me choisir… Toujours penser mon temps libre en fonction de la personne avec qui je suis en couple; avoir de la difficulté à savoir si c’est réellement la relation que je veux, que je choisis pour moi. Ça me submerge, m’étouffe. Un poids lourd que je trimballe trop souvent et depuis trop longtemps dans mon sac à dos; ce désir de plaire, presque à tout prix. Pourquoi? Pour être acceptée? Désirée? Aimée? Dépendre du regard des autres me semble par moment avoir ce petit quelque chose de rassurant. Comme une mauvaise habitude que je prends parfois à travers le temps. À travers ce regard, je n’ai plus à me questionner sur ce que je veux, sur ce qui me fait plaisir et je sais, ou du moins je pense savoir, que je serai davantage acceptée ainsi. Déconnectée, je ne suis plus en mesure de savoir ce que je veux. Plus je suis ce chemin dangereux, plus je m’éloigne de moi-même, moins je me connais. Je ne fais pas l’effort de vouloir savoir, il me semble trop gros, cet effort. La réalité me fait peur. Et si je découvrais que je n’étais pas heureuse dans ma relation de couple? Tragédie! La réalité me fait peur. Sauf que là, seule dans mon appartement, je décide de penser à moi, comme je suis, entière et complète comme je suis. Je repense à mes dernières relations sexuelles. Impression vague d’absence du corps. Comme si je n’étais plus vraiment présente. Je suivais les habitudes sexuelles de mon partenaire, sans prendre trop de place. Satisfaire, plaire, ne pas vouloir trop trop déranger.
D’un coup, mon corps me démange, une vague de chaleur s’empare de moi, m’enivre. S’alimente. Ma bouche devient pâteuse, mes jambes se ramollissent et je me sens planer. Soudain, ça me vient à l’esprit : je désire. Je ME désire. Je veux prendre ma place, toute la place. Une petite braise s’allume en moi. Alors je m’enflamme. L’excitation se pointe le bout du nez et s’installe pour rester. Elle décide de se montrer dans son entièreté. De se mettre à nue, s’exposer, se dévoiler. Alors je l’invite, lui ouvre la porte. Aller viens-t’en. Imprègne-toi de moi. J’hésite, mais je décide quand même de faire les choses différemment. Je ne veux plus me cacher en dessous de mes couvertes qui s’installent parfois comme un voile de gêne entre mes désirs et moi-même. Je prends le temps d’installer le miroir devant moi. Oui, un grand miroir qui me renverra mon image, sans aucun filtre. Un certain malaise se présente tout de même soudainement : suis-je devenue imbue de moi-même? Alors je réfléchis et je me convaincs. Si le désir ne vient pas de moi, alors qui sera là pour le nourrir et l’alimenter? Je m’installe. Je m’allonge sur mon lit. Dépose un pied d’un côté du miroir qui est maintenant accoté sur le mur près de mon lit. L’autre pied se dépose ensuite de l’autre côté. J’ai alors accès à cette partie de moi souvent cachée, parfois dénigrée. Sexualité sacrée. Ma vulve se dévoile, pivoine en fleurs se montre à moi qui accueille, sans jugement. Je dépose pour moi cette sexualité qui m’appartient, me définit, me guide. Je descends alors tranquillement ma main vers mon clitoris qui est maintenant rouge et gonflé. La simple idée de m’accorder ce temps me fait rougir la peau, gonfle mes vaisseaux. Dès que je prends conscience de mon environnement, je me demande: qu’est-ce que je fous là? À partager cette sexualité avec nul autre que moi-même et mon miroir qui me renvoie égoïstement le reflet de moi-même. Ridicule? Honteuse? Il est midi après tout! Je pourrais utiliser mon temps plus intelligemment, non? Et pourtant, ce désir ne s’efface pas, malgré l’incertitude. Je décide donc de l’accueillir comme il se doit, de faire confiance à ce besoin, cette envie qui est maintenant installée, presque décomplexée. Mes doigts glissent dans mon vagin humidifié, réchauffé. Je me rapproche ensuite de mon clitoris et j’y impose tout de suite un rythme plus rapide, saccadé, qui me fait perdre toute pensée. Je ressens maintenant mon corps tout entier.
Depuis cet épisode, je repense souvent à ces moments, qui nous rapprochent de notre intimité, qui nous lient à nous-mêmes, solidifient les relations de confiance et authentiques que l’on tricote au fil de la vie avec les amis. Ces moments sont sacrés, ils participent au cycle vertueux dans lequel je veux me promener, un petit peu chaque jour. Rallumer la flamme, rajouter des brindilles, du bois, du papier, ou même du gaz s’il le faut. J’ai tellement longtemps vécu pour plaire, à travers le regard des autres, que, bien qu’ils semblent d’une beauté infinie, ces petits moments pour soi ne me paraissent pas toujours accessibles, réalistes. Ils me demandent un effort conscient, constant. Mais pour chaque bûche, le feu brûle plus fort et prend la place qu’il mérite, jusqu’à m’entourer de sa chaleur bienveillante, réconfortante. Douce présence, telle une meilleure amie qui reste à mes côtés dans les beaux moments comme dans les plus laids.