Illustration : Valérie (@val_bellefeuille)
J’avais dix-sept ans et je commençais à peine le cégep. J’étais comme brisée à l’intérieur. Je voyais la vie à travers une genre de brume. En un seul été, celui entre la fin de mon secondaire et le début de mon cégep, j’avais accumulé mes premières expériences de dating, mais aussi mes premières expériences de harcèlement sexuel et de harcèlement de rue… J’venais de goûter à ces moments bien réels où on se sent complètement impuissante, parce qu’on est femme. Ceux qui nous donnent le goût de hurler et de tout détruire sur notre passage.
J’étais aussi rendue amie avec vous autres, une gang de gars occupés à se prendre pour des avocats du diable. En fait, je m’étais liée d’amitié avec l’un de vous, pis j’avais fini par m’intégrer dans votre gang. Alors, juste comme ça, j’étais devenue la seule fille d’un groupe de gars cis et hétéros. Et en plus d’être la seule fille, j’étais aussi votre féministe de service. Parce que, oui, mon été de marde m’avait aussi rendue… féministe !
Et mon étiquette de féministe, ça me rendait pas mal divertissante pour vous, une bande de gars blancs de dix-huit ans. Vous aimiez beaucoup me confronter sur plein de sujets liés aux inégalités de genres. Vous voyiez ça comme des débats, une bataille pour avoir le dernier mot. Et vous aimiez me provoquer. Me mettre au pied du mur. Me rendre émotive. Parce que vous, vous étiez tellement plus « logiques » et « objectifs ».
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour essayer de convaincre une fille qu’un coup de pied dans les couilles, c’est crissement plus douloureux qu’accoucher.
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour dire que l’égalité, c’est qu’on peut frapper les femmes aussi? Et pourquoi on dit « féminisme » et pas « égalitarisme », hein?
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour dire que l’orgasme féminin, ça n’a aucun rôle dans la reproduction et que, de toute façon, si vous vouliez vraiment reproduire l’espèce humaine, vous nous violeriez. (Celui-là, vous avez eu l’audace de me le répéter plusieurs fois.)
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour dire (même si c’est faux) qu’il y a autant d’hommes que de femmes victimes d’agressions sexuelles, faque j’ai pas rapport de m’indigner contre la culture du viol. Vous, tout ce qui vous inquiétait c’était de vous faire accuser à tort d’agression sexuelle par une « folle » qui voudrait se venger de vous.
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour dire qu’au Québec, les femmes dominent les hommes, qu’on est juste une gang de Germaines. Puis, en plus, la preuve, c’est que les filles se font payer des verres gratuits dans les bars.
Il faut vraiment être « logique » et « objectif » pour dire que les filles sont moins drôles que les gars, que les filles qui sacrent c’est vulgaire, que les filles « vierges » ont plus de valeur que celles qui ne le sont pas.
Bon, j’pense que tout le monde voit l’idée. Vous vouliez à tout prix que je vous prouve le sexisme que je vivais. Et vous vouliez que je vous sorte des arguments bétons, des sources scientifiques, des stats… alors que vous n’aviez fait aucune recherche. Vous vous preniez pour des avocats du diable, parce qu’il faut voir les deux côtés de la médaille, tsé.
Pourquoi toujours s’obstiner à défendre le diable, criss? Y aurait-tu fallu que je me mette des cornes su’ la tête pis une queue fourchue pour que vous m’écoutiez? Attendez deux secondes, Votre Honneur, je peux-tu juste aller chercher mon costume de diablesse sexy avant qu’on commence l’audience?
Mais, pour vrai, c’était vraiment tough de réaliser que les trucs traumatisants que j’avais vécus parce que j’étais une fille… ben vous vous en foutiez. Que mes arguments et les recherches que je faisais, c’était jamais assez pour vous. Non seulement c’était pas assez, mais c’était aussi fuckin’ divertissant pour vous de me voir paniquée et stressée. Vous aimiez avoir le dernier mot et me dire que j’étais zéro « objective ».
Ça vous rassurait de penser que les injustices sociales dont je vous parlais n’existaient pas. Des injustices sociales que vous n’alliez jamais vivre. Parce que sinon, vous auriez été confronté au fait que même si vos vies étaient pas évidentes, ben vous l’aviez quand même plus facile que beaucoup de monde.
Le monde vous considère déjà intelligents et débrouillards, parce que vous êtes des hommes blancs cis hétéros. Vos parents trouvent ça ben correct que vous soyez immatures pour votre âge, parce que anyway vous allez finir par avoir des blondes, pis elles vont pouvoir ramasser après vous. La vision populaire de la sexualité est trop souvent centrée sur votre plaisir et sur votre sexe, au détriment de tout le reste. Si vous êtes violent avec une fille, on se demande automatiquement qu’est-ce que la fille a fait de mal avant de peut-être vous blâmer. Vous avez toujours une chance de vous rattraper quand vous faites une grosse niaiserie à la job. La populace vous donne toujours le fuckin’ bénéfice du doute.
Les personnes autour de vous rient de vos « jokes » plates pour pas vous rendre mal à l’aise. Les filles hochent la tête et vous écoutent quand vous avez des trucs à dire. Sans vous interrompre, puis sans vous remettre en question, sans vous demander t’es-tu vraiment sûr de ce que t’avances? Vous vous prenez pour les experts de toute, même quand vous avez pas raison. Pis, on vous donne une tribune pour ça. Mais, malgré tout ça, les gars, vous en arrachez quand même.
Vous avez pas confiance en vous, puis vous vous sentez inadéquats comme gars. Tout le monde vous vend la masculinité comme étant one size fits all. Genre, essaye ça, tu vas te sentir fort pis invincible ! Mais, ça fit pas comme sur le mannequin. Pis vous vous sentez quand même petits dans vos shorts. C’est sûr que c’est plus facile d’accuser le féminisme, alors que c’est la masculinité toxique (et donc le patriarcat) qui vous fait sentir comme ça. Vous avez l’impression qu’on invente nos souffrances, nos oppressions. Vous pouvez pas concevoir que vous êtes privilégiés, parce que vous vous sentez comme de la marde. Mais au final, boys, on a le même ennemi.
J’sais que c’est rassurant de penser ça, de le mettre sur le dos du féminisme pis des femmes en général. Mais, j’ai pu d’énergie pour sympathiser avec vous. J’ai pu d’énergie, parce que vous m’avez ridiculisée à répétition. Vous m’avez fait douter de moi-même, alors que je savais très bien que les expériences que j’avais vécues étaient wrong. Moi, j’avais jamais d’espace pour parler de comment je me sentais. J’aurais voulu que vous m’écoutiez, j’aurais voulu que vous disiez que c’était normal que je sois indignée. Que c’est pas juste que je me fasse klaxonner à 3 heures du matin, quand je m’en vais me chercher des Tim Bits. En fait, que c’est pas juste que je vive du harcèlement de rue, tout court.
J’aurais voulu que vous me disiez que ça vous indigne aussi. J’aurais voulu que vous ne minimisiez pas tout ce que je vivais. Mais, ma voix, ça valait pas d’la marde pour vous. Mes blessures étaient pas assez importantes pour vous. Ça vous rendait trop inconfortables. Pis votre confort c’était bien plus important à vos yeux que mes émotions supposément ridicules.
La seule chose que vous craviez de ma part, c’était que je vous dise que vous étiez des bons gars. Que j’acquiesce quand vous disiez que dans le fond, les vraies victimes de la société, ben c’est les gars blancs cis hétéros. Tsé, ils peuvent plus rien dire. Que je vous réconforte par rapport à votre masculinité. Que je sois votre manic pixie dream girl, tsé la fille qui vous fait sentir mieux, votre Ramona Flowers dans Scott Pilgrim. La fille qui aide à votre character development, gratuitement, juste comme ça, pis qui a pu d’importance dans la suite de l’histoire.
Quand j’y repense j’étais quand même la p’tite maman du groupe. J’étais la fille qui vous écoutait aux petites heures du matin pendant que vous me parliez de vos bobos pis de vos cicatrices. J’ai tellement donné, mais à vos yeux, j’ai quand même fini par être la criss de folle. Parce que j’ai pas été capable de sacrifier tout ce que j’étais pour vous. J’pouvais pas vous dire que vous étiez des victimes, j’pouvais pas être votre psy indéfiniment. Ça me détruisait en-dedans. Moi, je voulais juste que vous m’acceptiez comme l’une des vôtres. J’avais un genre de fantasme d’être la Hayley Williams à votre Paramore, la fille un peu flyée entourée de ses chums de gars.
Avec le recul, je comprends que vous vous nourrissiez de mes traumas comme si c’était un fuckin’ buffet à volonté. Parce que c’était divertissant pour vous de me planter quand on parlait d’enjeux féministes, des enjeux qui me concernaient. De me voir paniquer, parce que j’savais plus quoi vous répondre. Sauf que j’suis une être humaine. Ça se fait juste pas. C’était pas à moi de vous gérer. C’était pas à moi de vous éduquer sur le sexisme et la misogynie. C’était pas à moi de vous prouver que je vivais du sexisme. C’étaient vous qui étiez sexistes. Pas moi. Gérez-vous tu’ seuls, estie.
Inquiétez-vous pas pour moi, à défaut de ne plus être Hayley, j’ai trouvé mes Spice Girls. J’ai trouvé des amies réellement empathiques, avec qui je peux parler sans marcher sur des œufs. Elles me comprennent vraiment et on s’entraide entre nous. Je ne suis plus la p’tite maman, la psy ou le punching bag de personne.
Faque ouin, j’ai trouvé what I really really want.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.
Pour lire le dernier article de Daria – Pas de seins pas de chocolat – c’est ici!