Je me suis regardée dans le miroir. J’ai pris entre mes doigts ce bourrelet que mes ami.e.s et ma famille disent inexistant, mais qui est pourtant pour moi une obsession. J’ai inspecté mon corps au complet, en m’attardant sur mes cuisses et mes fesses que j’ai trouvées moins fermes qu’à l’habitude, et sur lesquelles j’inspectais chaque parcelle de peau pour être certaine de n’y trouver aucune cellulite. J’ai regardé mes bras, soulagée qu’on puisse encore y dénoter la forme de mes muscles, mais contrariée qu’ils soient plus flasques qu’il y a un mois.
Cela fait maintenant trois semaines que je ne peux faire de sport en raison d’une blessure dans la colonne que je me suis faite en m’entraînant. Après une semaine, la tentation de retourner courir était tellement forte que j’y suis allée avant le temps prescrit par les spécialistes, et je me suis blessée à nouveau. J’ai couru huit kilomètres alors que dès le premier je pouvais déjà ressentir une douleur dans ma cage thoracique en raison du nerf qui s’y coinçait. Après un autre rendez-vous chez le chiro, il m’a conseillé de faire de la marche ou de monter des montagnes si je voulais absolument faire du sport. J’ai monté une petite montagne le jour-même, et ma cheville, qui a une faiblesse depuis que j’ai commencé le volleyball il y a plus de 10 ans, en a souffert pendant des jours. Quand ta colonne a un problème, généralement le reste de ton corps en écope. Et après les nombreuses blessures que j’ai eues dans mes années de volley, je suis très bien placée pour le savoir. Pourtant, quand je regarde ma masse musculaire diminuer depuis les dernières semaines, que je sens le besoin d’aller me défouler ou de prendre l’air, que je réalise tout ce que je viens de manger alors que je suis sédentaire depuis des semaines, je n’en ai plus rien à faire de mes blessures. Je n’ai qu’une seule envie : être en forme. Récupérer le corps qui me convient et pour lequel j’ai travaillé si fort dans les dernières années. Ne pas avoir à me soucier des calories que j’ingère parce que je sais que de toute façon, elles sont dépensées d’avance. C’est un peu extrémiste me direz-vous. Eh bien sachez que je ne suis pas la seule à y penser autant. Qu’un nombre énorme de jeunes filles sont dans la même situation, à se pousser au-delà de leurs limites et de celles de leur corps, pour en arriver à des standards parfaits, ou juste pour avoir la conscience libre qui leur permet de se sentir à la hauteur de toutes ces fitness girls d’Instagram.
Quand j’ai vu la publicité de Fillactive, je n’ai pas réussi à la regarder au complet dès la première fois tellement elle m’a angoissée. Tellement je me suis sentie faible, coupable, dégoûtante de ne pas être allée faire du sport cette journée-là. Cela faisait une semaine que j’étais blessée. J’ai aussi senti mon cœur se serrer par les mots employés, qui me rappelaient une relation avec un garçon qui me fait encore souffrir aujourd’hui et avec laquelle j’essaie de garder une certaine distance. En tant que fille sensible, impulsive et parfois excessive (je vis tout au maximum), cette vidéo m’a bouleversée parce qu’elle remettait en question deux parties de ma vie que je dois manipuler à la pince pour ne pas sombrer dans le malsain. C’est pour moi un travail de tous les jours que je gère de mieux en mieux avec le temps, mais qui reste difficile, et dont les résultats sont fragiles. J’ai 21 ans, un certain vécu, une grande connaissance du monde du sport et de la nutrition, et des expériences qui font en sorte que j’ai la chance d’être consciente que mes pensées sont malsaines et d’ainsi pouvoir les contrôler. Par contre, celles visées par la vidéo qui ont 16, 17 ans, qui affrontent la puberté et qui voient avec une surprise amère leur corps changer, n’ont justement pas cette chance.
Après avoir vu la vidéo, je suis allée courir. Quand je suis rentrée chez moi, le souffle coupé par ma blessure, et une douleur au cou qui m’empêchait de tourner la tête, je me suis sentie ridicule et surtout, énormément fâchée et insultée. De quel droit un organisme censé promouvoir les bénéfices du sport chez la femme venait me replonger dans cet état d’obsession qui était venu me blesser à nouveau alors que je me contrôlais depuis une semaine pour ne pas succomber à mon désir d’aller courir pour protéger mon corps ? Puis j’ai pensé à une amie qui a souffert d’anorexie sportive, puis à une autre d’à peine 16 ans qui a été hospitalisée pour des troubles alimentaires, alors qu’elle continuait de s’entraîner abusivement en réponse à ces pressions sociales de corps parfait et de santé, puis à une autre qui m’a particulièrement inquiétée en raison de ses comportements orthorexiques*. Et j’ai commencé à trouver la vidéo beaucoup plus dégoûtante que le centimètre de gras sur mon ventre. J’ai commencé à être tellement en colère contre ces gens qui sont censés promouvoir une vie saine, mais qui se sont complètement gourés dans la production de cette publicité. J’ai eu envie de confronter les commentaires positifs qui se trouvaient sous le lien, en me demandant quel nombre de ces jeunes filles qui commentaient étaient allées s’entraîner beaucoup plus que ce que leur corps en était capable à la suite de ce visionnement. Combien qui, comme moi, ont été bouleversées mais n’ont pas eu la chance de prendre la distance que j’ai prise et se sont faites prendre dans le piège, par désir de répondre à cette pression supplémentaire d’adoption d’une vie « saine » et d’un corps de déesse par les médias.
Évidemment que l’intention de Fillactive était bonne. Évidemment qu’elles n’ont voulu mettre personne dans cet état. Évidemment qu’il est possible de trouver un certain bon sens dans la morale de cette vidéo. Pourtant, il y avait des centaines d’autres façons de créer une publicité qui ne plongerait pas encore une fois les jeunes filles dans l’excès et le doute d’elles-mêmes. Qui ne les culpabiliserait pas. Qui ne leur laisserait pas entendre que sport = souffrance, parce que c’est faux. Quand le sport te fait mal, et c’est tout autant valable pour les relations et tout le reste, tu as tous les droits de t’en distancer. La publicité ne met pas de l’avant un simple «raquage», mais une souffrance physique que ton corps a le droit de ne plus pouvoir supporter et que tu te dois d’écouter. Non il ne faut pas abandonner à la moindre remise en question. Mais il ne faut pas non plus se pousser quand la souffrance prend le dessus sur le plaisir et les bénéfices. La publicité met aussi de l’avant une souffrance psychologique qui n’a pas lieu d’être. Non, le sport n’est pas un gars manipulateur. Non, tu n’es pas toujours censée avoir envie de pleurer en pensant à tes futurs entraînements et compétitions. Le sport est quelque chose qui doit rimer avec plaisir et bien-être. Surpassement oui, mais toujours dans un esprit sain, ce que la vidéo semble oublier en établissant un parallèle avec une relation malsaine.
Comme s’il n’y avait pas assez de pressions sur les jeunes femmes et qu’elles en avaient besoin davantage. Oui, il est important d’encourager les jeunes à faire du sport et, à ce niveau, l’implication des Fillactive est admirable. Cependant, les orienter vers un comportement ravageur n’est que la goutte d’eau qui pourrait faire déborder le vase de plusieurs d’entres elles qui marchent tumultueusement sur la ligne très mince et ingrate entre santé et excès.
Mystique
* L’orthorexie est un trouble alimentaire caractérisé par l’obsession d’une alimentation uniquement saine, qui s’accompagne souvent d’une pratique excessive d’activité physique.
Mystique c’est celle qui unit plusieurs voix, plusieurs expériences, plusieurs personnalités. Elle change de peau pour porter le message de celles qui ont besoin de s’exprimer, qu’elles rejoignent l’équipe de façon sporadique ou qu’elles changent de médium d’expression artistique le temps d’un article. Mystique c’est un peu de chacune d’entre nous.
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