J’ai eu une très mauvaise surprise le 19 avril dernier, alors que Fillactive lançait une campagne de sensibilisation médiatique à travers une première vidéo. Je m’emmerdais royalement en scrollant dans mon fil d’actualité sur Facebook, quand j’ai vu la pub de cet organisme qui encourage l’activité physique chez les adolescentes. Je me réjouissais à l’idée d’enfin voir du contenu pertinent. Enfin autre chose que des estis de vidéos de chats! J’appuie sur play, pleine d’attentes. Et c’est là que ça dérape, pis solide. Dès la première phrase – Maude, tu peux pas me laisser – dite par un jeune homme, je commence à ressentir un certain malaise, mais que je ne m’explique pas. La vidéo continue, les phrases aux propos ambigus s’enchaînent et mon malaise persiste, s’accroît même. Je regarde la vidéo une deuxième fois, même affaire, je ne me sens pas bien. Ben voyons, quessé qui me gosse dans la maudite vidéo? Pas le choix, on en parle entre Péripatéticiennes. Même constat : il y a un parallèle troublant qui est fait entre le sport et les relations amoureuses abusives.
Je m’explique : la vidéo met en scène une adolescente dans son quotidien (école, ami.e.s, sport, etc.) en alternant des images à connotations positives et négatives. Jusque-là, tout va bien. Surtout que le message de fond – celui qui voulait vraiment être transmis je veux dire – est très noble. Fillactive cherche à lutter contre l’abandon du sport par les jeunes filles qui traversent la puberté. Le problème se trouve plutôt dans la narration. Déjà, dès la première phrase, très directive, ça laisse présager un partenaire contrôlant. Et ça ne continue pas en s’améliorant. Tout au long du clip, on entend un jeune homme expliquer à Maude pourquoi elle ne devrait pas le quitter. Il semble d’ailleurs savoir ce qu’elle veut, mieux qu’elle-même. Tu penses que des fois je t’empêche de faire des affaires mais c’est tellement pas vrai. Maude, je sais que tu m’aimes encore. Avec des phrases comme : je sais que des fois j’te fais du mal. Je le sais mais… et quand t’étais triste […] ou que t’avais besoin de te défouler, moi j’étais là, on tombe carrément dans le chantage émotif. Vient alors la phrase suivante : j’sais que j’suis pas parfait, tsé des fois… j’te pousse à bout, j’te demande beaucoup d’efforts, j’peux être intense, illustrée par deux séquences d’images très distinctes. D’une part, on voit Maude qui fait un sprint et qui se pousse au maximum et d’autre part, on la voit dans sa salle de bain, pendant qu’elle s’asperge le visage avec de l’eau qu’on imagine être froide et qu’elle se regarde dans le miroir en tentant de reprendre ses esprits, visiblement troublée. Tout à coup, l’analogie est claire : Maude (à remplacer par le nom de n’importe quelle femme qui vit dans une relation malsaine), tu dois accepter les agissements dévastateurs de ton partenaire contrôlant / manipulateur / violent au même titre que tu acceptes de souffrir quand tu fais du sport. C’est qu’en comparant le sport, habitude de vie définitivement saine, à ce genre de relation, on banalise la violence psychologique, et pas à peu près.
Pis là ça m’a frappée, si j’avais été moi-même dans une relation abusive, comme ça a déjà été le cas d’ailleurs, au moment de regarder cette pub, j’aurais eu la validation que ma relation était normale et qu’elle valait la peine que je continue de la tolérer malgré ma souffrance. Pis en plus, le titre de la vidéo c’est La rupture, une histoire d’amour qui ne devrait jamais se terminer… Ciboire! On peut-tu arrêter d’apprendre aux jeunes filles que l’amour ça fait mal? Parce que c’est pas vrai, esti, l’amour c’est pas supposé faire souffrir. Ça devrait te faire sentir vivant.e, te donner l’impression de voler, pas d’avoir les poches remplies de roches pis la face étampée dans le ciment. Pis c’est pareil pour le sport, mais même là, jamais la vidéo n’a montré de relation saine. Ça tout simplement pas d’bon sens!
Ne vous méprenez pas, nous, Les Péripatéticiennes, considérons que l’organisme Fillactive est incroyable; ses intentions sont louables et ses actions ont un réel impact sur la vie des jeunes filles-femmes. Nous avons nous-mêmes, durant notre secondaire, participé à plusieurs de leurs activités, qui nous ont poussées à nous dépasser et à nous accomplir dans le sport. C’est justement pourquoi un organisme ayant autant d’influence sur notre vie et notre développement devrait considérer avec une plus grande attention les messages qui sont passés à travers leurs campagnes de sensibilisation. L’ambiguïté n’a pas sa place lorsqu’il s’agit de relations abusives. Le sport vaut souvent la peine de souffrir un peu, l’amour jamais.
Les Péripatéticiennes
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