Illustration : Éliane (@lily364)
J’ai déjà écrit sur le travail émotionnel et ce que ça pouvait vouloir dire dans un couple, mais surtout ce que ça veut dire dans des nouveaux modes de relations, des types de couples changeants. Dans mon texte, j’ai juste mentionné ce que je constate chez mes parents, brièvement et sans entrer dans les détails. Je voulais pas trop me mouiller là-dedans et entrer dans un sujet bien plus large. Je suis plus prête maintenant.
Disons que depuis que j’ai une relation adulte à adultes avec mes parents, les discussions ont changé. Je pense que pour beaucoup de personnes qui ont comme moi la chance d’avoir une belle relation avec ses parents, c’est semblable. Nos parents arrêtent de nous protéger de tous les malheurs, de faire semblant que dans leurs vies à eux tout va bien, ou au minimum on réalise que comme nous, nos parents vivent des frustrations, ont des difficultés dans leurs emplois, sont mécontent.e.s de situations… On arrête de juste parler de nous, de nos vies, comme on le fait avec les enfants. On arrête de nous préserver des problèmes d’adultes.
Pour moi, c’est arrivé à peu près quand je suis partie en appartement, à mes 18-19 ans. Me mettre à avoir ces nouvelles discussions, ça été une belle étape en général; je me suis plus intéressée dans les dernières années à ce que font mes parents comme emplois (mais pas juste le nom là, pour vrai), à ce qui les anime, leurs passions, leurs voyages, leurs frustrations parfois… Bref, à voir mes parents comme deux personnes complexes, autant que moi, au lieu de comme… juste ma mère et mon père.
Mais ce changement-là est arrivé à peu près au même moment où j’ai constaté que j’étais full pin féministe. Et une fois que cette réalisation-là arrive, je sais que beaucoup peuvent se reconnaître là-dedans pour en avoir parlé souvent avec des amies, c’est impossible de revenir en arrière. Parfois, ça pète son fun de remarquer le sexisme dans un film au cinéma, ou d’être très sensible aux jokes misogynes, ou de se faire taguer de féministe de service… Je ne regrette rien, mais les lunettes d’analyse féministe, je les ai TOUT. LE. TEMPS.
Ce qui fait que quand je discute avec mes parents et que je les vois interagir, des fois je suis dérangée. Dérangée par leur séparation des tâches, par la manière avec laquelle les deux se parlent, avec ce que j’entends. Je repense à toute ma vie et à qui faisait quoi, et je ne peux pas m’empêcher de constater la division sexuelle du travail que je vois.
Mes deux parents ont toujours travaillé. Mais si ma mère était pas là pour nous faire manger avant notre cours de danse (genre ce qui aurait été un vrai souper à table, avec de la viande, un féculent et des légumes) c’était toasts au beurre de pinotte devant la télé avec mon père. Celui-ci a souvent travaillé à l’extérieur du Canada; donc, la semaine, c’était entièrement à ma mère de faire toutes les rencontres de parents, de s’impliquer à l’école, de faire tous les lunchs et les soupers, de nous amener à tous nos loisirs…
Après, impossible de savoir si la fin de semaine c’était bien différent, j’étais trop jeune pour le constater. Mais, je peux par contre vraiment constater les tâches différentes que mes parents avaient et ont; ma mère la gestionnaire, mon père l’exécutant. Ma mère a toujours fait avec soin la liste d’épicerie, et mon père faisait l’épicerie. Elle prévoyait les repas, les quantités nécessaires et mettait même en ordre la liste selon l’organisation de l’épicerie Métro où elle savait qu’il irait (commencer par les légumes, puis le lait, etc.) pour qu’il n’ait jamais à revenir sur ses pas et pour lui faciliter la vie (thumbs up si ta mère faisait ça, j’ai constaté que c’est plus commun que je pensais!!). Au moment de faire lesdits repas, mon père demandait qu’est-ce qu’on fait?, ma mère répondait, sortait la recette, et il exécutait (avec elle). Sans parler, évidemment, du fait que les tâches plus physiques revenaient à mon père (alors que sérieux ma mère peut bûcher du bois et tondre du gazon, c’est absolument clair!).
Fait que, qu’est-ce que ça fait? C’est pas de mes affaires de faire plus que constater ça. Et je connais assez ma mère pour savoir qu’elle est trèèès consciente de tout ça, qu’elle a choisi d’accepter de tout gérer pendant que mon père travaillait à Paris, New York ou Toronto. Elle n’est pas une victime là-dedans. Mais je la vois quand même être fatiguée.
Et maintenant qu’elle me parle plus ouvertement, j’entends bien des bribes de sa réalité. Peut-être pas de la frustration, mais une résolution à être, par exemple, celle qui gère les émotions dans le couple. Comme dans cette conversation où elle me demandait comment j’allais, parce qu’elle constatait que j’avais l’air très fatiguée quand elle me voyait. Après que je lui ai répondu qu’effectivement, je passais un moment rough, elle m’a dit qu’elle en glisserait un mot à mon père. Presque textuellement, elle m’a dit Ton père il veut aider. Mais il voit juste pas ces affaires-là si je lui dit pas. C’est mon rôle ça. Mon père dit souvent que ma mère pourrait l’écrire, tellement elle le connaît. Ma mère dit souvent qu’elle entend mon père penser. Ce jour-là, elle me disait ça fait 35 ans qu’on est ensemble. Il est comme ça, c’est tout.
Je l’aime mon père, et je pense qu’il m’a élevé pour être féministe, quitte à ce que je le confronte. Je ne me suis pas gênée de le faire lorsque je trouvais qu’entre lui et ma mère, la situation était trop frustrante pour que je me taise. Un moment me revient en tête où il lui a dit de se taire très brusquement, et c’est vraiment venu me chercher. Je lui ai dit qu’il trouverait sans doute ça inacceptable que mon chum me parle comme ça devant lui; il avait pas à parler à ma mère comme ça. Je ne pouvais pas ne rien dire en l’entendant, ça été plus fort que moi. Par contre, sur le sujet du travail émotionnel entre mes parents, sur la division des tâches entre eux, sur la charge mentale que ma mère porte, c’est vraiment pas de mes affaires. N’empêche que ça me travaille.
C’est dur à dire, c’est dur à accepter, parce que je peux pas me voir dans leur situation, me voir accepter tout ça. Pour moi, ça passe pas, et je trouve que la charge de ma mère a l’air tellement, tellement lourde, mais mes parents sont d’une autre génération et sont pas passés par les mêmes chemins que moi. J’espère juste que mes parents sont biens, c’est tout. Et surtout, j’espère que ma mère est véritablement heureuse là-dedans.
La Perdrix
Candidate à la maîtrise et militante féministe, La Perdrix est une jeune femme qui adore être en mode occupée tout le temps. Forte et fragile à la fois, elle peut déménager tes meubles et pleurer en lisant un livre. Rien ne lui fait plus plaisir que de défier des stéréotypes, ou voir quelqu’un renverser des idées préconçues.
Pour lire le dernier article de La Perdrix – Être féministe au travail – c’est ici!
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