Illustration : Arielle (@ririelle16)
Les yeux dans les yeux face à moi-même, mon reflet dans le miroir me communique le désir et l’envie, l’impatience de libérer mon corps, de partager des sensations avec des corps inconnus. Mes hanches ondulent sur la musique alors que j’unifie mon teint doré avec de la poudre. Je sens que je me connecte à moi-même. À l’intérieur de moi, mon corps ressent la musique et bouge librement alors que depuis l’extérieur, mes yeux l’observent avec amour, passion et compassion. L’heure approche et je décide de faire le chemin à pied. Je mets mes chaussures de danse dans mon sac, ma bouteille d’eau, j’enfile mes tennis et je sors enfin.
Sur le chemin, le vent contre ma peau, je marche vite d’impatience. Je ne résiste pas à l’envie de m’arrêter de temps en temps pour esquisser quelques pas de danse dans la rue en chantonnant l’air qui passe dans mes écouteurs. J’arrive finalement devant la porte. Rien ne laisse paraître ce qu’il se passe à l’intérieur, à part la musique qu’on entend depuis la rue, comme un bruit sourd. J’ai l’impression de rentrer dans un endroit secret, presque interdit, je rentre dans mon monde. Je paye mon entrée, je m’assoie pour changer mes chaussures, puis je mets mes affaires au vestiaire et c’est parti. Il fait sombre et chaud dans la salle, les lumières rouges dansent comme les corps qui habitent l’espace. J’échange quelques sourires avec des personnes que j’ai déjà croisées, des regards plus timides avec celles que je ne connais pas.
Une première main se tend dans ma direction. Je cligne des yeux en guise de consentement, puis l’homme prend la mienne et me tire vers le milieu de la piste. Première connexion de la soirée, il m’aide à briser la glace de la première danse. Je m’échauffe, perds légèrement l’équilibre, les tours et la lumière m’étourdissent un peu, le temps de m’habituer. Mais j’aime ça. Le bonheur monte en moi, comme une vague. Je suis dans mon élément. Lorsque j’y pense, mes yeux s’humidifient. Quel bonheur de pouvoir exercer sa passion et partager celle des autres. La chanson arrive à sa fin, on ne se connait pas mais on se serre dans nos bras, on se sourit et on se remercie.
Au cours de la soirée, les partenaires se multiplient au rythme des styles très variés. Chacune des danses m’apporte quelque chose d’unique. Une salsa fait augmenter la vitesse des battements de mon cœur. Mon désir s’emballe pendant une bachata. Nos corps ne font qu’un le temps d’une kizomba. Mon sourire éclate lorsque mes hanches cassent sur un merengue.
Je connecte différemment avec tous ces hommes. Certaines connexions sont plus agréables que d’autres, mais il y a toujours au moins un partenaire qui marque ma soirée. Un qui fait danser les sensations en moi encore plus intensément. Celui avec qui c’est fluide dès le premier pas. Celui qui me fait sentir comme une déesse, dont le lead est tellement clair, la transmission de mouvement tellement évidente. Celui avec qui seul le corps communique. Celui qui met sur pause mes pensées, celui avec qui le lâcher-prise est total. Celui à qui je peux m’abandonner le temps d’une danse. Ce n’est jamais vraiment la même personne. D’ailleurs, je demande rarement leur nom ou leur contact. Je sais que c’est éphémère, ça rajoute de l’intensité. On se recroisera sûrement de toute façon, et sinon, ça restera un très bon souvenir.
Une bachata sensuelle, un homme arrive vers moi. Je ne le sais pas encore, mais c’est lui ce soir. Je prends sa main et le suis sur la piste. Un premier tour leadé parfaitement. Mes cheveux volent avec l’élan qu’il me donne. Je me sens séduisante. Il me ramène contre lui et nos corps se collent. Ses hanches guident les miennes de gauche à droite. Son parfum m’enivre. Je ferme les yeux pour mieux vivre le moment, pour entrer dans cette bulle d’intimité. Je sens son souffle dans mon cou. Subtilement, il fait pencher mon corps vers l’arrière et je me laisse aller. Grâce au mouvement de sa main au creux de mes omoplates, il guide une vague avec mon corps. Je sens les frissons qui remontent au même rythme que mon ondulation. Les lumières rouges sont floues en arrière-plan. C’est comme si le temps s’était arrêté. J’aimerais tellement que ce soit le cas. Je pourrais rester des heures à laisser nos corps communiquer, se connecter. Finalement, la musique ralentit, il finit en beauté en faisant tourner ma tête d’un tour presque parfait, ses mains dans mon cou. Je souris, j’ouvre les paupières. On se regarde, complices. On se remercie, se prend dans nos bras, et je retourne sur le côté, les étoiles dans les yeux. Mon sourire ne s’efface pas de mon visage pendant quelques secondes, puis je sors de mon petit nuage lorsque je vois déjà une nouvelle main se tendre vers moi, paume vers le ciel. Pourvu que cette nuit ne s’arrête jamais.
Fleur du Désert