Illustration: Arielle (@ririelle16)
Selon ce que je vois autour de moi, j’ai l’impression que pendant la jeunesse, les enfants s’attachent souvent à un de leurs parents en particulier. Moi, c’était mon père mon héros. J’étais une vraie fille à papa. Je le suivais dans toutes ses activités, il m’amenait au travail et était si fier de dire à tout le monde que j’étais sa grande fille. Étant la plus vieille des trois enfants de la famille, ma mère s’occupait un peu plus de mes sœurs et moi je suivais mon père comme son ombre. Pas que j’avais un problème avec ça, lui pis moi on était les meilleur.es ami.es du monde. J’ai appris à conduire un camion assise sur ses genoux quand j’avais cinq ans, je me levais super tôt les jours de tempête pour aller déneiger avec lui et je suis devenue une pro du barbecue avant de savoir compter jusqu’à 100. Il me faisait sentir comme sa princesse et je me trouvais tellement chanceuse d’avoir un aussi bon papa.
La seule chose, c’est que plus je vieillissais, plus je réalisais que certains commentaires que mon père faisait étaient problématiques. Au début, j’en faisais pas de cas. Tsé, c’est mon père, il avait probablement raison. Oui, mon anxiété devait être guérie rapidement parce que je lui coûtais cher de psy. Oui, fallait que j’arrête de le réveiller parce que c’était bébé de faire des crises de panique au milieu de la nuit quand j’arrivais pas à dormir. Oui, il avait pas eu des filles pour rien donc c’était à moi et à mes sœurs de faire la vaisselle, lui il s’occupait des jobs de gars à l’extérieur. Tsé, c’était vrai que si je m’habillais « comme un morceau de viande » avec un crop-top, fallait que je m’attende à pas me faire respecter par les gars. Sans poser de questions, j’ai juste accepté tout ce qui sortait de la bouche de mon père et c’est devenu les guidelines de mon éducation. À cet âge-là, je pensais que les adultes étaient les personnes les plus intelligentes du monde. J’étais qui, du haut de mes dix ans, pour questionner ce qu’une grande personne me disait? C’est juste plus tard que j’ai compris qu’être assez vieux pour rentrer à la SAQ voulait pas du tout dire être parfait.
Mais le jour où il y a eu un vrai clash, c’est quand il a cru bon de dire au souper que le défilé de la fierté était donc pas un événement pertinent. Pourquoi « ces gens-là » avaient besoin d’un défilé, pourquoi ils se promenaient pratiquement nus, ou encore pourquoi ils s’habillaient comme des filles? Nous on a pas un défilé des hétéros, pourquoi eux-autres cherchent autant l’attention de même? Déjà, j’étais mal à l’aise. Même si à cet âge-là ma seule connection directe à la communauté LGBTQIA2+ était mon ami gai qui aimait se maquiller avec moi, c’était assez pour réaliser à quel point ce que mon père disait, c’était fucking wrong. J’étais rendue assez vieille pour être éduquée par rapport aux enjeux sociaux que ça impliquait et, cette soirée-là, je l’ai vécue comme une grosse douche froide.
Soudainement, je voyais mon père d’un œil différent. Je repensais à tous les commentaires et les « faits » qu’il balançait comme s’il possédait la vérité absolue et BAM. Grosse coupure, je voyais maintenant à quel point il était misogyne, macho et homophobe. C’est quand même vraiment rough comme prise de conscience. Idéalement tu veux jamais réaliser que ton parent est pas une personne que tu garderais dans ta vie si c’était pas de votre lien de sang. Je suis soudainement devenue hyper attentive à tout ce qu’il disait. Plus ça avançait, plus j’avais l’impression d’habiter avec un étranger total. Il était passé où, le gentil papa qui m’achetait un Mr. Freeze jumbo pour célébrer la fin des classes? Pourquoi quand je le regardais, la seule chose que je sentais c’était mon coeur se serrer? J’avais l’impression d’être en deuil de notre bonheur ensemble, en deuil de l’enfant naïve que j’avais eu la chance d’être pendant quelques années.
Sans grande surprise, beaucoup de thérapie a suivi pour essayer de comprendre comment gérer mes émotions dans tout ça. On m’a souvent conseillé de lui dire ses quatres vérités, lui mettre en pleine face tout le mal qu’il me faisait. Mais, chaque fois que j’essayais, c’était moi le problème, moi qui exagérais, moi qui était juste une féministe frustrée. Le bon vieux gaslighting toé. Alors je me renfermais, gardais tout en dedans et explosais la semaine suivante en allant voir ma psy. J’ai fini par quitter la maison familiale à 18 ans, tannée d’appeler mon oncle plusieurs fois par semaine en crise de larmes parce que je pouvais plus tolérer d’être sous le même toît que mon père. Habiter loin de lui a beaucoup aidé notre relation, mais je mentirais si je disais qu’on est redevenu.es des bons grands chums.
Parce qu’en fait, je réalise maintenant que les remarques blessantes de mon père, elles vont jamais arrêter de me faire mal. Les traumas restent. La peur aussi, celle de se sentir complètement à nu quand la personne qui est censée te protéger du monde entier fait juste te planter des couteaux dans le cœur. Peu importe le nombre d’heures de méditation que je peux faire, ou la quantité de lettres que je peux lui écrire sans jamais lui envoyer. Je me retrouve encore des fois dans mon char en train de pleurer parce qu’il vient de me dire que je suis pas assez normale pour lui. C’est encore lui qui joue le rôle du méchant dans tous mes cauchemars. Et c’est sa voix dans ma tête que j’entends chaque fois que je doute de moi, de mes capacités, de qui je suis. Des daddy issues, en veux-tu, en vla. Et le pire, c’est que j’arrive pas à juste l’haïr. Ça me blesse toujours autant de penser à comment notre relation est brisée, peut-être même pour toujours. J’ai de la misère à passer par-dessus le fait qu’il approuve pas toujours mes choix de vie. Qu’il remet systématiquement en question mes émotions et arrive pas à comprendre que mes opinions sont valides. Mais malgré tout, j’essaye fort de me libérer de tout ça et de pas me laisser tirer vers l’arrière. Je choisis d’être féministe, de porter les vêtements qui me font sentir belle et de dire à mon chum de faire sa fucking vaisselle. Je suis peut-être pu la fille à papa, mais je commence à être fière de la femme que je deviens.