Illustration : Alice (@halissss)
Iels vont revenir. Les personnalités publiques qui ont été dénoncées pour harcèlement et agressions sexuelles. Certaines sont déjà de retour, sur les plateaux de tournage, dans les médias, dans leur position de pouvoir, d’influence. Les autres attendent en coulisse. #J’aiPeurdeleurRetour
Je le sais qu’iels vont revenir parce que les agresseur.es reviennent toujours dans la vie de leur victime. Pis le retour d’un.e agresseur.e dans les médias, c’est un coup dur pour chaque survivant-e.
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En 2014, j’ai lu avec une fascination malsaine les #agressionnondénoncée. Je n’ai pas participé à la vague de dénonciation, mais j’ai compris ce qui m’était arrivé l’année d’avant et que je n’étais pas seule. J’ai accumulé toutes ces histoires en moi, absorbé comme une éponge les cicatrices de toutes ces femmes qui ont eu, comme moi, une « mauvaise » date qu’elles n’ont su nommer “agression” que bien plus tard. Un article m’avait particulièrement frappé, où une journaliste racontait comment elle n’avait pas voulu croire une des victimes de Jian Gomeshi au départ, parce que, si ce que la survivante avait vécu était une agression, elle aussi en avait subie une, ou plus. Si c’était vrai pour elle, c’était vrai pour moi.
En 2017, c’était #metoo. Je me souviens que j’étais à l’aéroport quand j’ai appris que Rozon et Salvail étaient accusés par de nombreuses personnes, pour des actes commis sur des dizaines d’années. J’étais flabergastée : pas parce que j’étais surprise que ce soit eux, j’étais étonnée que le petit showbiz du Québec les dénonce. Qu’enfin des femmes (et des hommes dans le cas de Salvail) anonymes réussissent à avoir plus de poids que de riches hommes blancs populaires. Mais ce sentiment là a été de trop courte durée. Salvail et Rozon ont été acquittés, fin 2020. Rage.
En 2020, c’était la liste. J’ai tout lu. Tous les posts instagram, tous les témoignages, tous les noms de La Liste. J’ai ragé. J’ai pleuré. Je me suis sentie impuissante pis j’ai écrit un message pour donner un nom, celui qui me fait frissonner de dégoût. Rajouter ma voix. Moi aussi. Appuyer ces personnes qui témoignent, me joindre à elles, être elles. Ne pas les laisser seules, ne plus être seule.
À chaque vague de dénonciation, ça résonne en dedans. Ça fait faire des mauvais rêves pis ça coupe l’appétit. C’est tout autant impossible à ignorer. Je me trouve incapable de déposer mon téléphone et d’oublier toutes les personnes qui ont souffert ou souffrent encore de cette culture du viol. Des agressions, des micros-agressions que nous vivons toutes, à tous les jours, semaines, mois, années. Je suis tannée de me trouver « chanceuse » d’avoir été agressée « juste » une fois, d’avoir été harcelée « juste » quelques fois, pis de manière mineure. Faut pas le normaliser. Je ne veux pas banaliser la peur que j’ai au ventre quand je pense aux conséquences que les agresseur.e.s n’auront pas.
Je redoute leur retour. Celui de toustes ceux et celles qui ont été dénoncé.e.s. Iels vont revenir dans les médias. Iels vont revenir dans les vies de leurs victimes. Maripier Morin est déjà de retour sur les plateaux de tournage, en entrevue et nommée à un gala. Les gens ont beau trouver ses excuses rédigées par une équipe de relations publiques grassement payée TEL-LE-MENT sincères, moi j’y vois une autre agression. Une micro-agression de plus. Envers toustes les survivant.e.s.
Parce qu’un.e agresseur.e, ça te laisse jamais tranquille. Là, je parle même pas des flashbacks qui gâchent ta vie sexuelle pis du travail de thérapie interminable. Je parle littéralement. Les agresseur.e.s, les personnes, ne te lâchent jamais. Iels reviennent s’assurer qu’iels ont pas été si pire que ça, à chaque mouvement de prise de parole. Iels « s’excusent » tels des Christs sur la croix ***SI*** iels t’ont fait du mal pis fucké ta vie. Iels t’écrivent comme une vieille connaissance, avec un nouveau compte que t’as pas pu bloquer : « Salut sa va? (sic) » Comme si rien ne s’était passé de grave. Iels veulent contrôler ce que tu vas dire, en te gaslightant par la bande, te faire douter de ton expérience avec elleux. Iels se protègent en t’attaquant une nouvelle fois.
La personne qui m’a agressé n’est pas connue, n’est pas une personnalité publique. Pourtant, elle réapparaît avec un petit bonjour anodin sur toutes les plateformes où je peux me connecter, même quand je pense l’avoir bloqué partout. Quand un agresseur public réapparaît, ça me fait le même effet que quand je reçois un message de mon agresseur. Pis j’imagine que toustes les survivant.e.s ont ce même pincement au cœur, cette même vieille peur qui se réveille tout d’un coup. Qui gâche leur journée, leur semaine, leur mois. Ça me met dans un état de vigilance accrue, comme si tout le monde que je croisais pourrait me faire du mal. Je sursaute à chaque notification, mais je dois quand même vérifier, pour être certaine. M’informer pour pouvoir me protéger. Chaque retour retourne le fer dans la plaie et assure à la communauté d’agresseur.e leur pouvoir sur les survivant.e.s.
Faque les « excuses » publiques pour tâter le terrain pis tenter un retour dans le star-système québécois, c’est non. La célébrité, c’est pas un droit. C’est un esti de gros privilège qu’iels auraient jamais dû avoir. Qu’iels prennent leur trou, pis laissent leurs victimes se reconstruire tranquilles. Be-bye.
Triss Merigold
Historienne, archiviste, militante, fière féministe frustrée et poilue, et sorcière à ses heures, Triss Merigold replonge dans l’écriture avec douceur. Elle rêve de devenir la prochaine autrice de romans historiques québécois à succès. Toujours prête à écouter ses ami.e.s et sa famille avec une tasse de thé à la main et une couverte sur les genoux, elle se qualifie de matante accomplie.