Illustration : Pénélope (@pennypancakes_038)
Okay, c’est pas un secret pour mon entourage, mais j’ai une confession à vous faire : j’suis geek as fuck. Il y a quelques mois, j’ai fait une trouvaille que j’ai absolument adorée et c’est la série Arcane. Ça suit l’histoire de deux sœurs, Vi et Powder (Jinx), entre autres, dans l’univers un peu steampunk, futuriste et magique tiré du jeu League of Legends. Bon, Vi est crissement hot — oui, j’ai passé quelques soirées à regarder sur YouTube des montages vidéos des scènes avec elle et sa potentielle amoureuse, comme j’avais l’habitude de faire à 15 ans. J’suis une fan girl assumée, t’sais. Mais, outre mon fantasme pour un personnage fictif, ce qui m’a le plus interpellée, c’est la manière dont les émotions et les traumatismes des personnages féminins étaient représentés. On voit des femmes hurler de rage et de colère. On voit des femmes devenir violentes en réaction à leurs traumatismes. Évidemment, je n’encourage aucune femme à pitcher des explosifs sur la populace ou à fesser sur du monde avec des gants métalliques… on s’entend.
Si la colère est une émotion normale en soi, il reste qu’on a toustes la responsabilité de l’exprimer de manière saine et non violente. Reste que… je trouve ça crissement cathartique de voir des femmes, en tant que personnages fictifs, laisser complètement aller leur rage intérieure. Au lieu de tout réprimer en dedans et serrer les dents. Des femmes qui crient haut et fort que le traitement qu’on leur a réservé était injuste et foutument violent. Et c’est exactement ce que j’aime chez les anti-héroïnes, tant dans les films, les séries, les livres ou les comics. Je pense que la société sous-estime souvent à quel point les femmes sont enragées. En tout cas, je peux pas parler pour toutes les femmes, mais pour ma part, j’ai grandi en étant en tabarnak et je vais probablement crever en tabarnak aussi. Et comme le dit si bien Simone de Beauvoir, on ne naît pas en tabarnak : on le devient (je niaise, là).
La colère, c’est souvent un tabou et lorsqu’une femme l’exprime, elle est sévèrement réprimée. Encore plus si cette femme est racisée. Pourquoi on ne laisse pas les femmes être enragées ? Pourquoi est-ce qu’on a créé des stéréotypes autour de la colère chez les femmes pour leur empêcher de l’exprimer et essentiellement discréditer cette colère ? Genre, on a-tu le droit d’être en colère sans qu’il y aille un colon qui nous demande si on est dans notre semaine ? Bon, l’explication la plus simple serait de pointer du doigt littéralement tous les systèmes d’oppressions, comme le patriarcat et le racisme systémique. Habituellement, on ressent de la colère quand on fait face à un obstacle ou lorsqu’on subit une injustice. Par exemple, si quelqu’un fait une joke sexiste devant toi, ça se peut que ça te mette en colère. C’est l’émotion qui nous donne toute l’énergie nécessaire pour affronter les personnes qui nous ont causé du tort.
Donc, pour poursuivre mon exemple, peut-être que ta colère va t’amener à confronter la personne et lui dire que sa joke est sexiste et pas drôle. Et la réaction de cette personne sera très probablement de te répondre que c’est « juste une blague », que « tu n’as de sens de l’humour » et que « t’es frustrée pour rien. » Parce que si on invalide la colère, on invalide aussi la source de la colère (dans mon exemple, ça serait le sexisme vécu). En gros, c’est un peu comme du gros gaslight collectif pour te dire que tu as tort d’être en colère. Ce qui souligne l’oppression des femmes et de l’ensemble des personnes marginalisées à vivre leurs émotions. On leur dit essentiellement qu’iels imaginent leur oppression.
Ça fait que plein de femmes et de personnes marginalisées vont ravaler leur colère par peur de subir cette deuxième forme de victimisation. Celle de te dire que t’es une crisse de folle de réagir de cette façon, une féministe frustrée pis que c’est juste dans ta tête. Donc, toujours avec le même exemple : la prochaine fois que t’entends une joke sexiste, ça se peut que tu te la fermes pour ne pas créer de vagues. Et peu à peu, tu vas apprendre à naviguer avec les comportements discriminatoires, malaisants ou abusifs, sans exprimer ta colère de manière explicite. Tu vas ravaler ta colère pour être la cool girl, à qui rien ne dérange. La cool girl, elle est détachée, elle est pas émotionnelle (comme les autres filles). C’est la fille que les gars recherchent quand ils écrivent dans leur bio Tinder qu’ils veulent quelque chose de « pas compliqué ». Ils veulent plutôt « une fille simple ».
Ton chum qui laisse ses amis te faire des comments désobligeants sans te défendre. Ton chum et ses amis qui te disent que les filles peuvent pas être aussi drôles que les gars. Oh, ton chum qui te dit que t’es trop émotive au lieu de te supporter. Le dude dans ta classe qui arrête pas de couper la prof (qui connaît clairement plus le sujet du cours que lui) pour la reprendre. François Legault qui veut pas reconnaître le racisme systémique, parce que c’est « pas gentil pour les Québécois (blancs) ». Les osties des commentaires sur Facebook, sous les publications de nouveaux féminicides, d’hommes pas contents qu’on utilise le terme « féminicide ». Les gens qui pensent que si t’es bisexuelle, c’est parce que t’es mélangée pis traumatisée par tes anciennes relations avec des hommes. Les gens en général…
Fait qu’un jour, t’en as plein ton casque de te laisser marcher sur les pieds, sous prétexte que tu veux pas être la fille qui capote pour rien. T’es tellement écœurée que toute la colère et les blessures que tu ravales depuis longtemps te donnent la nausée. T’en es rendue malade, t’en es rendue étourdie, t’en es rendue déprimée. T’as barricadé toutes tes émotions dérangeantes pour les autres depuis trop longtemps. T’es tannée de prendre en otage ta colère. T’arraches d’un coup sec les banderoles jaunes barbouillées du mot DANGER autour de ta colère. Tu la libères, parce que fuck… ta souffrance devrait être plus importante que le confort des personnes qui t’oppriment ou te blessent ou t’entourent.
T’as pu le goût d’être la fille dans les films qui reste aux côtés du gars principal, peu importe ses décisions de marde. Celle qui éteint les feux que les hommes allument, mais reste bienveillante, fidèle et surtout pas dérangeante. Elle ne proteste jamais, elle ne critique jamais. La Hermione Granger qui doit keep up avec la médiocrité des hommes autour d’elle. Non, tu troques ta cravate rouge et dorée et ta baguette de sorcière pour une estie de massue. T’es pu Hermione, paix à son âme. Non, t’es Harley Quinn, t’es Jinx, t’es Yennefer de Vengerberg, ou même Jessica Jones. T’es pu l’héroïne parfaite qui priorise toujours les sentiments des hommes, au détriment des siens. La compagne ou la side-kick.
On pensait que t’étais trop faible ? Émotive ? Folle ? Joke’s on them, parce que maintenant, tu connais ta force intérieure. Maintenant, tu sais que c’est pas toi qui es trop émotive, et que ce sont eux qui sont trop fragiles pour affronter les blessures qu’ils t’ont infligées. Ils ont peur de ce qu’ils ne peuvent pas contrôler. Ils ont essayé d’éteindre le feu qui brûle en toi. Mais, à force de jouer avec le feu, on se brûle… Et c’est exactement ce que j’aime des anti-héroïnes. Elles sont des rebelles, on les a intimidées, manipulées, agressées, violentées, réprimées… On a tout fait pour qu’elles se conforment ou qu’elles se détestent, parce qu’elles ne correspondaient pas à la norme établie.
Leur présence menace le statu quo. Elles incarnent l’instabilité, l’imprévisibilité et elles imposent à ceux qui leur ont fait du tort de prendre leurs responsabilités. Même si elles sont imparfaites, qu’elles ont recours à la violence, qu’elles prennent des décisions plus que douteuses, elles essaient surtout de survivre dans un monde qui les haït. Elles se sentent seules et incomprises, parce qu’elles ont fait le choix courageux d’être elles-mêmes. De ne pas se taire ou de se rapetisser. Oui, elles sont enragées et honnêtement, elles ont toutes les raisons de l’être. Pis si on les écoutait réellement, on comprendrait que derrière toute cette colère, il y a des blessures trop profondes pour être cicatrisées. Et surtout : il y a cette petite flamme d’espoir que le monde peut encore changer. Qu’elles pourront un jour être aimées telles qu’elles sont réellement. Voilà ce que représentent ces anti-héroïnes : la tension entre le désir de vengeance et de destruction, pis le désir d’appartenance, l’espoir en un monde meilleur.
Et je me souviens quand le premier film de Suicide Squad est sorti. Il y avait plein de dudes cis qui se moquaient de la popularité du personnage de Harley Quinn chez les filles. Pis c’est sûr que sa popularité chez les filles peut être expliquée par le manque de diversité, un vrai problème, dans les films et séries geek. Sauf que Harley Quinn est plus que de la représentation pour les femmes geeks. Elle représente ces femmes à qui l’on a bourré dans le crâne qu’elles devaient se dévouer corps et âme pour un homme. Ces femmes que des hommes ont violentées, dénigrées et isolées. Harley Quinn a trouvé le courage et la force d’apprendre à s’affirmer. Elle ne prétend pas que la violence conjugale que lui a infligée le Joker l’a rendue plus forte ou qu’elle n’en a pas été traumatisée. Mais, elle apprend à découvrir la nouvelle version d’elle-même.
Pis pour reprendre les mots de l’écrivaine Margaret Atwood : « Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux »… Eh bien, à leur grand désarroi, Harley ricane souvent…, et cette « folie » que les hommes associent à l’émotivité, elle la porte comme un badge d’honneur. Elle n’est pas la femme forte qu’on s’imagine à travers le male gaze, soit celle avec des caractéristiques traditionnellement masculines. Elle est plutôt celle qui incarne le type de féminité que les hommes méprisent généralement. Émotive, incontrôlable, intelligente et ricaneuse.
Alors, je vais continuer à fangirler sur mes anti-héroïnes prefs, parce qu’il s’agit, pour une fois, d’une représentation qui déroge davantage au male gaze et à laquelle je m’identifie bien plus.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.