Illustration : Laurène (@somepieceofsheet)
Attache bien ta ceinture, parce qu’on va faire un voyage dans le temps! Si tu t’es déjà demandé c’était quoi porter du 32AA/30A, ben je vais t’expliquer ce que ça a voulu dire pour moi. Bon, question de vous glisser un peu dans ma peau (ou plutôt dans mes bonnets), je vais vous faire une p’tite ligne du temps de ma relation avec mes seins, okay ? Plate, pas plate, j’y vais!
13 ans. Comprendre que selon la société, c’étaient juste les chiens pis les pédos qui pouvaient aimer mon corps. J’étais un sac d’os. J’étais pas assez bandante pour être une femme. Et c’est pas que je voulais nécessairement être sexualisée, mais je comprenais déjà à 13 ans que ma valeur en tant que jeune femme, selon la populace, était déterminée par mon apparence.
Réaliser aussi que j’avais la même shape que les méchantes demi-soeurs de Cendrillon et que Cruella de Vil dans les Disney. La même shape que Ethel et Miss Grundy dans les Archie Comics. Ce sont des personnages qui sont censés être laids. Bon, selon des hommes blancs cis-hétéros dans les années 50-60, mais quand même.
Je veillais tard la nuit en m’imaginant le corps de rêve que je pourrais avoir. Je planifiais, pleine d’espoir, que mes seins allaient grossir d’un bonnet par année de secondaire. Je me donnais jusqu’à 18 ans pour changer. J’ai finalement pas eu la puberté que je voulais, mais c’est correct comme ça.
14 ans. Magasiner mes premières brassières à armature à peut-être treize ou quatorze ans. J’étais allée à une boutique de lingerie avec ma mère. Toutes les belles brassières commençaient à 32B. On avait acheté du 32A un peu grand qui ressemblaient à des training bras. (Elles me font encore.) Je comprenais pas comment des filles de mon âge pouvaient aimer s’acheter des brassières, quand moi, quand j’y allais, je ressortais toujours en braillant.
Je comprenais pas non plus pourquoi on dit que les modèles cutes de brassières se font dans les petits bonnets, parce que ma grosseur de bonnet existe même pas dans les magasins. Essaye de magasiner des trucs cutes en 32AA/30A, pis on s’en reparlera après.
15 ans. Avoir une perception distordue de mon corps la majorité du temps. Je me regardais dans le miroir et je réalisais que j’avais pas l’air de ce que je pensais. Brailler. Recommencer l’exercice, parce que je me souviens jamais d’à quoi j’ai l’air. Me sentir comme de la marde à chaque fois.
Moi, j’avais pas beaucoup de modèles de femmes avec des seins comme moi. Par contre, beaucoup d’entre elles, sans avoir mes seins, étaient blanches, cis, minces et sans handicap comme moi. En fait, il y avait très peu de personnes dans ma famille ou dans mes ami.e.s qui avaient des seins comme moi. Quand je parlais de mes complexes, personne ne me comprenait vraiment. Personne ne savait vraiment quoi dire, non plus. Je googlais souvent les mensurations des célébrités que je trouvais belles quand j’étais ado. J’admirais Keira Knightley, Emma Stone, Audrey Hepburn, Gwen Stefani et Zendaya, parce qu’elles me prouvaient qu’on pouvait être magnifiques tout en assumant ses petits seins.
16 ans. Retourner à la même boutique de lingerie avec ma mère, qui m’avait fait promettre de ne pas pleurer cette fois-ci. Je voulais des brassières sexy, j’étais tannée d’avoir des brassières en coton blanches ou beiges. Je me suis fait suivre tout le long par une vendeuse qui, à chaque fois que je regardais des modèles, me disait vraiment sèchement qu’ils ne se faisaient pas dans ma grandeur. Je suis ressortie du magasin en braillant, encore une fois.
Je me demandais encore quand moi aussi j’allais pouvoir m’acheter des brassières sexy en dentelle et me sentir féminine. Ou genre, quand j’allais pouvoir avoir des brassières sans push-up, parce que c’était inimaginable pour l’industrie que tu fasses du AA, du A ou du B puis que tu veuilles pas de push-up. Surtout en 2021. C’est rendu pire. Y en a plus de brassières sans push-up.
En parlant de brassières push-up, je commençais à dater et j’étais hyper inquiète que les gars soient déçus en voyant mes seins. Je dirais par contre que cette inquiétude a moins été présente après que j’aille montré mes seins nus à mon chum de l’époque. Il avait eu l’air de vraiment les aimer.
17 ans. Magasiner pour ma robe de bal. Essayer une robe dans laquelle je me trouvais pas belle à cause de mes seins. La vendeuse avait insisté pour savoir ce que j’aimais pas de la robe, alors que j’étais sur le podium et que mes proches étaient toutes autour de moi. J’ai dû expliquer, gênée, que j’aimais pas mes seins dedans. La vendeuse avait ensuite essayé de me glisser des pads dans ma robe, sans ma permission. J’étais hyper mal à l’aise et sur le bord des larmes. J’ai pas souvenir que quelqu’une soit vraiment intervenue pour me défendre cette fois-là.
18 ans. Réfléchir sérieusement à me faire une augmentation mammaire. Pour être honnête, j’y ai pas juste réfléchi à 18 ans. Je sais que ça coûte 8 000 piastres, pis que mes seins sont dans toutes les photos Avant-Après. J’ai jamais fait refaire mes seins, parce que j’avais ben trop peur du jugement pis des conséquences que ça pourrait avoir sur mon corps. J’avais aussi vraiment peur que, si je me faisais une augmentation mammaire, les gens m’avoueraient qu’ils me trouvaient laide avant, mais que maintenant je serais rendue belle.
Pis, tsé, selon des hommes cis-hétéros chirurgiens esthétiques, des seins comme les miens, on appelle ça de l’hypotrophie mammaire. Comme si c’était une maladie. Juste parce que ça respecte pas leurs standards de désirabilité. L’audace, quand même. Fuck le male gaze médical, pour vrai.
En plus de tout ça, j’étais tellement consciente de mes seins que je ressentais physiquement le « vide » entre ceux-ci et mon t-shirt. Fait que pour être plus confortable, je plaçais un oreiller sous mes seins quand j’étais allongée sur le ventre. Des fois, c’était weird, c’est comme si j’avais des seins fantômes, je ressentais des seins que j’avais pas. Un peu comme un membre fantôme, après une amputation? Je ne sais pas comment l’expliquer autrement.
19 ans. Être obsédée par mon ventre. J’avais peur qu’il soit plus gros que mes seins. Pis, à force, pendant tout mon secondaire, de seulement me faire complimenter sur le fait que j’étais petite, j’avais intériorisé que ma minceur était la seule chose qui me rendait désirable. À chaque jour, je devais aller vérifier mon profil dans le miroir. Je le faisais aussi aux toilettes du cégep, pendant les pauses entre mes cours. J’y pensais tout le temps. Je faisais exprès de porter du linge lousse, ce que je ne faisais jamais avant, et de porter des brassières push-up. Ça m’arrivait de skipper mes dîners pour me punir, mais je me réfugiais dans du fast-food après.
Avec les gars, j’avais des fois l’impression d’être fétichisée, parce que j’avais l’air jeune, que j’étais petite et que je faisais du 32AA. Mon chum de l’époque m’a déjà demandé de me faire deux lulus avant de le sucer. Un dude qui me cruisait m’a comparée à une lolita. En fait, j’avais des fois l’impression que la seule manière que je pouvais être sexy, c’était si j’étais fétichisée et donc infantilisée.
Aujourd’hui. Je me suis enfin trouvé des amies qui ont des seins comme moi et qui les aiment vraiment. Des amies qui portent même des décolletés. Je suis vraiment inspirée et en admiration devant elles. J’ai encore l’impression d’être fétichisée par des gars cis-hétéros, mais j’ai plus confiance en moi qu’avant. J’ai moins une fixation sur mon ventre, même si j’ai encore une perception distordue de mon corps. Je ressens encore le sentiment de vide par rapport à mes seins. Par contre, j’aime plus mes seins qu’avant. J’apprends à les trouver beaux. Je m’achète de la lingerie cute sur Internet (là où il y a ma grandeur). Je me familiarise avec ma sexualité. Mais, je vous mentirais si je vous disais que j’ai une meilleure image corporelle qu’avant. J’ai juste shifté mon attention sur mon nez à la place.
C’est fou quand même que la féminité, ça soit gatekeepé par les hommes cis-hétéros. Moi, je veux juste être féminine pour moi, selon mes propres termes. Sans que des cis dudes que je connais pas m’imposent d’être plus sexy pour gagner ma carte d’abonnement mensuel à la féminité. J’ai pu le goût de souffrir parce que je ne correspond pas à un idéal corporel qui change anyways à toutes les décennies.
J’veux être ma propre Keira Knightley.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.
Pour lire le dernier article de Daria – Une histoire de noune un peu gluante – c’est ici!