Illustration: Florence (@femmes.sauvages)
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être parfaite. Sans faille. Sans travers. People pleaser. Je mettais la table à six ans et j’interrogeais ma mère d’un air inquiet: est-ce que c’est bien comme ça, maman?
Je carburais aux étoiles dans la marge, aux Bravo! écrits en lettres attachées stylisées par mes enseignant.e.s dans mes cahiers Canada, aux beaux bulletins que je rapportais à la maison. J’haïssais pas une médaille aux olympiades scolaires, non plus. Je courais le 100m comme si ma vie en dépendait.
Je voulais être celle à qui tout réussit, qui n’échappe rien, qui se démarque. J’étais présidente de ma classe, seule fille dans mon équipe de baseball, je connaissais l’autre mot fancy pour désigner des bleuets (des myrtilles) ou du melon d’eau (une pastèque). Mais derrière cette façade d’excellence se cachait une petite fille anxieuse, désireuse qu’on lui accorde de l’attention, qui craquait sous la pression. Vouloir plaire à tout le monde, ça gruge en maudit.
À 11 ans, quand j’ai réalisé que j’avais oublié mon cours de piano à 15h30 et que j’étais plutôt allée jouer avec mes amis dans la cour d’école, je me suis défaite. J’ai pleuré une demi-heure nonstop. Ça donne le ton. J’étais mon juge le plus sévère, et reine de l’autoflagellation.
Quand ma mère est décédée alors que j’avais 13 ans, j’ai voulu prendre sur moi et ne pas ajouter au stress que vivait mon père. Donc, j’ai fait ce qu’il fallait pour passer sous le radar, pour ne pas créer de vagues, pour ne pas inquiéter. J’ai contenu ma peine comme je l’ai pu. Dans ma tête se construisait cette pensée toute sournoise que si je faisais passer les besoins des autres en premier, si je mettais tout en œuvre pour leur faire plaisir, si j’étais irréprochable, iels allaient m’aimer en retour. C’était si simple, que je me disais. Le problème, quand tu donnes toujours autant, c’est qu’on t’en demande toujours plus. Et tu plies, un peu, pas mal, tu te dis que c’est pas grave. Ça ne te tente pas pantoute d’aller à cette soirée, mais ton amie, elle, elle a vraiment le goût et elle veut vraiment que tu l’accompagnes? Voyons, ce serait poche de dire non! Tu étouffes tes propres envies, tu ne perçois plus tes frontières, tu finis par devenir une coquille vide sans essence. Tu ne sais plus qui tu es.
J’ai souvent frôlé l’épuisement au travail sans jamais m’y rendre. Je pesais sur la pédale de frein avant. Souvent, c’est mon corps qui réclamait une pause, ou plutôt me l’imposait. J’avais une bonne grippe qui me clouait au lit pendant quelques jours, une pharyngite, la covid, une migraine de la mort, name it. J’étais bien obligée de m’arrêter. C’était plus facile que d’avoir à mettre mes limites au moment opportun.
La même logique prévaut dans ma vie personnelle. Je suis la fille qui dit toujours oui. Un souper au resto? Oui. Une amie qui m’appelle en pleurs parce que ça ne va pas dans son couple? Oui, c’est pour moi. Une sortie au cinéma, même si ça fait quatre jours que je n’ai pas été chez moi et que j’ai crissement hâte à une soirée à végéter sur mon sofa? Bring it on. Brûler la chandelle par les deux bouts pour faire plaisir aux autres, c’est l’histoire de ma vie. Une fucking people pleaser, c’est ce que je suis.
Ce qui est tough aussi, c’est qu’avec le temps et bien de la thérapie, j’ai réussi à mieux reconnaître mes besoins, les nommer et les prioriser, mais la culpabilité n’est jamais bien loin, parce que quand on veut plaire, on ne veut surtout pas décevoir. Décevoir, c’est pire, je pense. Sérieusement, quand je dis à une de mes amies que je n’ai pas le temps de lui parler là là et que je l’appelle plus tard, et que j’entends la déception dans sa voix, ça me fait toujours de quoi. Je me sens comme une mauvaise amie. C’est pas reposant tout le temps, être moi. Pis, souvent, je finis par être en crisse et par avoir du ressentiment pour mon entourage, parce que j’ai l’impression qu’on me demande toujours quelque chose. Il y a des moments où je me sens envahie juste quand je reçois un texto et que je dois répondre de quoi. Je m’haïs quand ça arrive, mais c’est souvent mon cue qui m’indique que je suis trop loin et que je dois me recentrer un peu plus sur moi.
Je ne pense pas être la seule à trouver ça pénible, cette facette que la société semble attendre des femmes. Être fine, être douce, être tolérante, être conciliante, être attentive aux autres. C’est fucking lourd.
Faque c’est un work in progress, mais tout de même, je sens que je m’améliore. Je le sais maintenant qu’avant de dire oui à quelque chose, je dois prendre un pas de recul, respirer, me demander si j’en ai vraiment envie ou si je le fais juste pour faire plaisir à l’autre. C’est pas parfait, il m’arrive encore de retomber dans mes vieux patterns. Mais hey, ce texte, je l’ai écrit sur mon divan une soirée où j’ai refusé une proposition de sortie parce que je n’avais envie que de me time. Il y a de l’espoir, je me dis.
Kali