Illustration : Alice (@halissss)
Je suis pas une femme forte.
Je suis pas le personnage que les hommes ajoutent dans leurs films d’action pour avoir l’air inclusifs. Genre « la fille sexy, cool, avec une grande force physique pis des connaissances en mécano, parce qu’elle a grandi avec ses cinq frères. »
J’ai même pas mon permis, alors on passera pour être la mécano sexy qui fuit les méchants au volant de son char de sport.
Je suis certainement pas Bryce dans Jurassic Park, je combats pas des dinosaures en blouse et en talons hauts.
Et je suis définitivement la première à mourir dans les films d’horreur. Je suis plus vierge, et j’ai des petites jambes pis des petits bras. Je cours comme un tyrannosaure rex, t’sais.
Je suis pas une femme forte, j’ai pas un gros caractère.
Je suis pas courageuse, je suis pas une badass.
Si tu m’insultes, je reste figée.
Ça va me prendre un bon cinq minutes avant de trouver ma réplique, et même à ça, elle va me rester pognée au fond de la gorge.
Si tu me blesses, si tu me fais mal, je vais pleurer.
Je pleure même quand je suis fâchée. Je lève à peine la voix, j’suis trop habituée à chuchoter.
Si tu m’obstines sur un sujet que je connais bien, je vais rester bouche bée.
Pis tu vas penser que tu m’as bouchée avec tes réflexions de p’tit génie, mais honnêtement je vais passer les prochains jours à m’inventer un rant dans ma tête où je contredis toutes les fuckin’ faussetés qui sont sorties de ta bouche.
Faque non, je suis pas une femme forte.
Ça me prend tout mon p’tit change pour pas me faire marcher sur les pieds. Faudrait pas que je devienne broke, on me boufferait toute crue.
Pis mes traumas m’ont pas rendue plus forte. Je suis écoeurée de regarder des films et des séries où les hommes traitent des femmes comme de la marde, les dénigrent, les violent, les agressent physiquement, pis qu’à cause de ça, elles deviennent des femmes « fortes ».
Je sais pas si c’est votre fantasme ⏤ qu’on vous remercie de « nous avoir rendues fortes »… Parce qu’on dirait que oui. Pis, c’est de la bullshit.
On vous remerciera jamais pour avoir eu des comportements de marde pis de nous utiliser comme des punching bag. On est pas vos mères pis on est pas obligées de vous sourire niaisement et de faker un amour inconditionnel.
Vous pouvez toujours essayer de nous donner des biscuits pis un verre de lait. Cette année, y aura pas de pardon, pas de merci, pas de cadeaux pour les naughty boys. Pis honnêtement, même si vous faites partie des supposés « bons gars », je passerai pas par la cheminée pour vous récompenser. Fuck off.
Je suis pas une femme forte, mais je suis pas Mère Noël non plus. Mes joues rondes et rouges, c’est pas juste de la gêne ou le froid de l’hiver à -40. Je suis en colère. Je suis en criss. Je suis en tabarnak, une vraie féministe frustrée, t’sais ?
Les hommes qui m’ont traitée comme de la marde ne m’ont pas rendue plus forte. Ils m’ont rentré dans le cerveau que j’étais faible, que j’étais pas assez, que j’étais too much, que mes besoins étaient de trop, que je savais pas ce que je voulais. Que je suis juste aimable quand je fais ce qu’ils veulent.
Je suis pas une femme forte, je suis juste à boutte. À boutte, en tabarnak, mais quand même pas une femme forte. Et comme je suis naturellement bonne en ménage, ⏤ comprenez l’ironie ⏤ j’ai jeté aux poubelles les dudes toxiques dans ma vie.
Sauf que, de temps en temps, y a un frisson qui me pogne et les souvenirs rejouent dans ma tête. Les dudes que j’ai connus étaient pas juste toxiques, ils étaient radioactifs. Ils sont instables, ils explosent. Ça laisse des traces, t’sais.
Ils sont plus là, mais moi, oui. J’ai dû apprendre à gérer la boule de colère qu’ils ont laissée dans mon ventre. Apprendre à reconnaître mes émotions. Les nausées, le cœur qui bat la chamade, le serrement dans l’estomac. Apprendre à m’ouvrir aux autres. Apprendre à connaître qui je suis réellement.
Tu verras pas ça dans les films d’action, parce que c’est un autre type de force. C’est pas moi qui combat des dinosaures ou qui fais un move de kung fu dans un suit de cuir jaune. C’est moi, une femme ben normale, qui apprends à reprendre mon pouvoir dans un monde qui fait tout pour m’en empêcher.
Alors non, je suis pas une femme forte, mais je devrais pas non plus avoir besoin de l’être pour avoir ton fuckin’ respect.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.