Illustration : Valérie (@val_bellefeuille)
Oui, j’ai des p’tits seins. J’ai probablement ce que les gens appellent avoir « pas de seins ». En fait, je suis vraiment tannée de cette expression. Personne dit que t’as pas de pieds si tu chausses du 5, faque pourquoi ça serait différent pour les autres parties de ton corps?
Mais ouain, je suis hyper complexée par mes seins depuis le début de l’adolescence. C’est pas tant nice grandir et réaliser que ce que la populace associe actuellement le plus à la féminité, les seins, bien t’en as pas vraiment. Moi, j’ai pas l’impression d’avoir eu une puberté et je me suis jamais sentie comme une « vraie » femme adulte. Il y a toujours cette p’tite voix qui me rappelle que je corresponds pas aux normes (arbitraires, by the way) de la féminité. Genre, moi je me sens comme une pin-up dans un corps de p’tite fille. J’ai toujours eu une expression de genre hyper féminine. Pense Elle Woods dans Blonde et légale. Ben, moi je suis sa version avec des cheveux roses, des p’tits seins, pis qui va à une université clairement moins prestigieuse.
Je sais que nos corps n’ont pas nécessairement rapport avec nos genres. Et je sais bien qu’il n’y a pas de nature féminine ou masculine, de « vraies » femmes ou de « vrais » hommes. On est ce à quoi on s’identifie, pis ce qu’on ressent au fond de nous. Pas ce que la société nous impose. Sauf que j’ai passé mon adolescence à voir des gens basher sur les trop petits seins ou les trop petites fesses des mannequins sur Facebook. Pas sur l’injonction à la minceur, sur la grossophobie ou sur le manque de représentativité corporelle. Non, juste sur le supposé manque de formes des mannequins. Parce que ce ne seraient pas des « vraies » femmes. À chaque fois que je voyais des photos de filles qui me ressemblaient, je voyais les commentaires : Elle ressemble à un garçon prépubère. Les vrais hommes aiment les formes. Seulement les chiens aiment les os.
Tsé, y’a pas si longtemps, une connaissance me disait qu’une célébrité riait en entrevue du fait qu’adolescente, elle se trouvait belle, alors qu’elle avait « pas de seins ». Cette personne-là a ensuite réalisé maladroitement qu’elle venait de me blesser en me racontant cette anecdote. Ce genre de blagues, j’en entends souvent. Je les ressens comme des micro-agressions, des p’tits commentaires répétitifs qui viennent miner mon estime de moi.
C’est comme quand j’avais des amies au secondaire qui se plaignaient devant moi qu’elles avaient des p’tits seins quand elles faisaient du C puis du D, alors que moi je faisais du AA. Merci de me laisser savoir que vous voulez pas être moi! Ou encore, la fois où je travaillais dans la section de la lingerie d’un gros magasin. J’avais eu une cliente vraiment bête qui me jugeait du regard pendant que je la conseillais et qui me faisait des p’tits commentaires comme quoi je ne pouvais pas comprendre c’était quoi d’avoir des seins.
Les micro-agressions, ça peut être aussi le fait que tous les chums que j’ai eus jusqu’à ce jour se sont fait traiter de pédos par leurs amis, parce qu’ils sont sortis avec moi. Alors que mes exs avaient tous environ mon âge. Ou encore, quand une de mes meilleures amies m’a demandé si mon (ex) chum était plus un « gars à fesses ». Comme si mes seins pouvaient pas être désirables. Pis, d’ailleurs, on peut-tu arrêter de catégoriser les femmes par leurs fesses ou leurs seins? À ce que je sache, on n’est pas du fuckin’ poulet Kentucky!
Pis là, on va se dire les vraies choses. Faut arrêter de dire aux personnes complexées par leurs petits seins qu’au moins iels n’auront pas mal au dos à cause de leurs seins, qu’iels peuvent faire du sport sans problème, ou que tu ferais tout pour avoir des plus petits seins. Je comprends que ce n’est pas dit avec des mauvaises intentions, t’inquiètes. Mais, en disant ça, darling, tu insinues que ton mal de dos est pire que la dysphorie de genre que je ressens en lien avec mes seins.
Et par « dysphorie de genre », je veux dire cette sensation de détresse qu’on peut ressentir quand on n’a pas l’impression que notre corps correspond suffisamment au genre auquel on s’identifie. Attention, je suis une fille cis! Cependant, mes seins ont toujours causé chez moi une certaine dysphorie de genre, même si ce n’est pas à la même échelle que la dysphorie que peuvent ressentir plusieurs personnes trans et non binaires. Et je suis pas la seule fille qui ressent de la dysphorie de genre liée à ses p’tits seins. Ce qui ressort souvent chez ces filles, c’est le sentiment de ne pas être assez féminine ou sexy.
Parce que nos seins nous rappellent que la distinction arbitraire entre les corps que la société catégorise comme féminins et masculins n’est pas si simple. Ça me rappelle que certains hommes cis ont des plus gros seins que moi (eux aussi, ils me le rappellent). Et j’ai souvent détesté mon corps pour ça. Sauf que sais-tu quoi? Depuis quelque temps, j’ai décidé que mon corps était aussi féminin que moi. Mes petits seins sont féminins et sexy. Pourquoi?
Parce que je m’identifie comme une femme et que je fais le choix d’être féminine et sexy. Mes seins font partie de moi. Je n’ai pas à disséquer mon corps en morceaux comme si j’étais un meuble Ikea pas assemblé. J’peux être Elle Woods, puis porter du AA.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.
Pour lire le dernier article de Daria – Ta féministe de service – c’est ici!