Illustration : Anonyme
Je me suis cassé deux fois le coccyx durant mon adolescence. La première fois, à 13 ans, c’était en faisant de la luge avec une amie. Je n’ai pas été diagnostiquée; la docteure que j’ai vue étant beaucoup trop blasée et moi juste une autre petite jeune qui se plaignait pour rien. La seconde fois, un an plus tard, c’était en tombant dans des escaliers de pierre. La radiographie que j’ai passée à l’hôpital a révélé deux fractures : une toute neuve et une plus ancienne, déjà cicatrisée. Je comprenais enfin pourquoi j’avais eu mal pendant des mois. Et voilà que ça recommençait!
Au final, j’ai passé près de deux ans dans la douleur, et encore plus de temps dans la peur de la revivre. Et, sans le savoir, je me suis bousillé le plancher pelvien* à force d’être beaucoup trop tendue.
Quand, à 16 ans, j’ai eu ma première relation sexuelle, j’avais déjà anticipé la douleur que j’ai ressentie. En fait non. Je ne m’attendais pas à connaître une douleur comme celle-là. Parce que rien n’aurait pu me préparer à avoir l’impression que quelqu’un m’enfonçait un couteau dans le bas du ventre. Rien ne m’avait laissée imaginer que ça me ferait autant mal, que j’en aurais le souffle coupé et l’envie de pleurer. Mais disons que je m’attendais à ressentir de la douleur. Tout le monde le dit de toute façon que la première fois, y’a des bonnes chances que ça te fasses mal. Alors j’appréhendais, je redoutais. Et même si je n’avais pas pensé que la douleur serait aussi intense, aussi prenante, je n’ai pas été particulièrement surprise non plus. J’avais eu tellement peu d’information concrète sur la chose au préalable que j’ai cru que c’était normal. Ainsi donc, que son pénis ne rentre même pas dans mon vagin parce que ça m’était insupportable – et que, de toute façon, y’avait pas la place tellement mes muscles étaient crispés – ben j’en ai pas fait de cas. J’ai passé outre ce détail, croyant que ça allait s’améliorer. Ça allait forcément s’améliorer, right? La prochaine fois, il allait rentrer. Et la prochaine fois, ça n’allais pas me faire mal, right? Right?!
Mais ça ne s’est pas amélioré. La douleur revenait systématiquement à chaque fois. Même quand on prenait notre temps. Même quand j’en avais vraiment – vraiment – envie et que j’étais très, très mouillée. Même quand j’étais super détendue et que je prenais des grandes respirations. Peu importe ce que je tentais pour la faire disparaître, ou à tout le moins l’oublier, la douleur était toujours là. Toujours au rendez-vous. Toujours.
Mais comme j’avais entendu dire que la douleur de la première fois pouvait persister pendant plusieurs rapports consécutivement au premier, je ne me suis pas inquiétée. Encore une fois, je croyais que c’était normal, ou plutôt j’essayais de me convaincre que ça l’était. Mais en même temps je n’osais pas en parler, au cas où ça ne serait pas normal justement. Et si c’était de ma faute? Et si c’était parce que je faisais quelque chose de pas correct? Et si j’avais un problème d’ordre médical? Et si c’était grave? Mais non, mais non, ça doit juste être mon corps qui a besoin de temps pour s’y faire, c’est quand même une sensation nouvelle que d’avoir un pénis à l’intérieur de moi. Je me disais que mon corps allait finir par s’habituer. Peut-être qu’il lui fallait juste un peu plus de temps qu’aux autres. Ou peut-être même que c’était comme ça pour toutes les femmes et qu’il me suffisait d’apprendre à ignorer la douleur.
Mais les années ont passé, j’ai eu d’autres partenaires, et bien que la situation semblait parfois s’améliorer, la douleur était toujours au rendez-vous. Elle revenait à chaque pénétration, ne me laissait jamais seule, ne me laissait jamais apprécier pleinement ma sexualité. Car même si je ressentais du plaisir, je n’arrivais jamais à m’abandonner dans l’acte.
Puis un jour j’en ai parlé avec des amies. Et j’ai appris que ce n’était pas normal.
Je me suis renseignée, c’était traitable. J’en ai parlé avec ma physiothérapeute; elle avait la formation pour faire ce genre d’intervention. Alors j’ai commencé des traitements de rééducation périnéale**. Une fois par semaine, j’allais la voir et je m’étendais sur une table, sans mes culottes, dans une salle fermée. Elle enfilait des gants puis nous passions les 50 minutes suivantes à discuter pendant qu’elle me massait l’intérieur du vagin pour faire partir des noeuds et des raideurs ou m’enseignait des exercices de renforcement ou de contrôle musculaire.
Je dois dire que j’étais un peu mal à l’aise au début. C’était quand même la première fois qu’une femme, autre que moi-même, allait mettre ses doigts dans mon vagin. Et en plus, ma physiothérapeute, je la connaissais bien, ça faisait déjà deux ans qu’elle me suivait pour toute sorte d’autres raisons. Alors ça me gênait qu’elle voit ma vulve, qu’elle y touche, qu’elle entre comme ça dans mon intimité, d’une façon froide et évaluatrice. J’avais peur qu’elle ne me découvre une quelconque malformation. Un défaut majeur, impossible à corriger. Mais mon stress n’a perduré que pendant les 5-10 premières minutes du premier rendez-vous. Elle était si professionnelle et respectueuse que j’ai rapidement passé outre mon malaise pour apprécier pleinement la beauté de la chose. Elle allait réellement pouvoir m’aider. Me libérer de ma souffrance, enfin! Et c’était incroyablement efficace : après une seule séance, je me sentais déjà beaucoup plus légère. Et ensuite, entre mes traitements et mes exercices / étirements / massages à faire à la maison, j’ai fait des progrès fulgurants. En moins de trois mois, tout était réglé. Contrôlée, rangée, remisée bien bien loin au fond du grenier, la douleur, avec la ferme intention de ne jamais aller l’y rechercher.
Et depuis, je n’ai plus jamais eu l’impression de me faire poignarder en faisant l’amour, j’utilise la DivaCup avec succès tous les mois et je ne pourrais plus m’imaginer vivre autrement qu’en harmonie avec mon vagin – car c’est surtout ça que j’ai appris en fait. Seul bémol, mon coccyx va très probablement se fracturer une troisième fois lors de mon premier accouchement. Avoir su, je l’aurais fait replacer à l’époque où c’était encore possible aka avant qu’il ne se ressoude…
Donc, si vous avez un problème avec votre plancher pelvien (douleur durant les rapports sexuels, incontinence, urgences mictionnelles, fuites urinaires à l’effort, dysfonction érectile, descente d’organes…), faites-moi – et faites-vous – plaisir et n’attendez pas pendant des années comme je l’ai fait : consultez. La solution est probablement toute simple, et vous vous sentirez tellement mieux après!
Live long and prosper,
Padmé
* Pour faire simple, le plancher pelvien comporte les muscles qui soutiennent les organes génitaux et qui contrôlent l’ouverture de l’urètre, du vagin et de l’anus.
** La rééducation périnéale est une branche de la physiothérapie qui vise à renforcer et/ou assouplir les muscles du plancher pelvien.
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Le mythe de la première fois – c’est ici!
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