Illustration : Garance (@garancebb)
Quand j’avais environ 13 ans, j’ai entendu une fille se masturber dans la cabine next to mine dans les toilettes d’un arrêt routier. En fait non, je l’ai pas entendue « se masturber », je l’ai entendue avoir du plaisir sexuel. J’ai ensuite compté le nombre de pieds dans sa cabine en regardant sous la paroi – de la même manière qu’on regarde parfois le look des souliers de notre voisine de cubicule pour s’assurer que c’est bien notre amie avant de reprendre notre conversation où on l’avait laissée – cherchant désespérément des yeux une deuxième paire de souliers. Une deuxième paire de souliers qui aurait impliqué une deuxième série de jambes, et par extension une deuxième personne, rendant à mes yeux ce crime-de-sexualité-débordante-et-sans-retenue-dans-un-lieu-public beaucoup moins grave.
Mais pourquoi cette réaction de ma part? Je veux dire, outre le fait que j’étais légèrement traumatisée de l’expérience, n’ayant encore jamais été en contact, sans l’entremise d’un écran, avec la sexualité des autres. Ce qui me dérangeait, ce n’était ni le côté masturbatoire – à l’époque ça faisait déjà un petit moment que j’avais commencé à me donner du plaisir – ni l’aspect dans un lieu public – j’arrivais déjà à comprendre l’attrait, le thrill, de la chose, pis d’ailleurs j’aurais été beaucoup moins choquée si elle n’avait pas été seule – c’était la combinaison des deux.
Qu’elle se masturbe, good for her! Qu’elle fasse l’amour dans des toilettes publiques, tant que c’est pas indécent, I don’t mind! Mais qu’elle se masturbe dans sa cabine, ah là, ça ça a pas d’allure! Elle pourrait se retenir voyons, je veux pas le savoir moi qu’elle fait des choses comme ça!
Comme s’il fallait absolument taire, cacher, ignorer, nier même le concept de masturbation. Comme si en reconnaître l’existence revenait automatiquement à « avouer » pratiquer cet acte infâme et non-procréatoire, et donc à recevoir un aller-simple pour l’enfer. Hum, ni aurait-il pas un petit relent de visite-du-prêtre-à-la-maison-toutes-les-semaines-pour-voir-si-tu-fais-assez-de-bébés dans ce mépris, cette honte, du plaisir solitaire?
Comme cette ado, dans l’autobus-boîte-de-conserve-jaune qui m’amenait à l’école tous les jours, qui s’était exclamée lorsque son ami lui avait demandé combien de fois par semaine elle se masturbait elle? : « ouach! Je fais pas ça moi, je suis une fille!! » Ah bon, je savais pas que ça prenait d’avoir un pénis pour pouvoir se masturber!? Ben contente de l’avoir manqué c’te mémo-là!
Si je pense à ça aujourd’hui, c’est que cette après-midi m’est venue l’envie subite et sans raison apparente de me toucher, dans les toilettes d’un resto. J’ai un peu hésité, pis finalement ben je l’ai fait discrètement. Hop, juste quelques petites minutes de plus dans ma cabine. Y’avait pas de file d’attente pour les toilettes, même que les deux autres cabines étaient libres, pis personne qui m’attendait à ma table. Pis tsé, au pire, s’il y avait eu quelqu’un qui m’attendait, personne n’aurait osé passer de commentaire, supposant que j’avais plutôt été retenue par un honteux numéro 2, ou pire, par un changement de protection contre les méchantes menstrues!
Fut un temps, pas si lointain, où je n’aurais jamais osé faire ça. Mais j’ai pas mal voyagé dans des auberges de jeunesse au cours des dernières années. Tsé ces lieux où on dort dans des dortoirs avec dix autres personnes et où on partage des salles de bain avec tout plein d’inconnu.e.s. Tsé ces lieux où l’intimité n’existe plus. Alors naturellement, après un certain temps, n’y tenant plus, je me suis mise à considérer que les cabines de douches et de toilettes pouvaient offrir un niveau d’intimité tout à fait suffisant pour me faire jouir lorsque nécessaire.
Je n’avais encore jamais osé en parler à mes ami.e.s avant cet été. J’allais rejoindre une amie à l’université pour qu’on aille souper ensemble en ville. En la voyant arriver, je lui demande comment s’est passée sa journée. Pis là elle me raconte, de façon ben casual, qu’elle arrivait pas à se concentrer sur sa rédaction parce qu’elle avait juste envie de se masturber, faque elle s’est trouvé une toilette tranquille pis elle s’est donné du plaisir. Pis ben après, elle était ben plus productive tout d’un coup.
Pis là ça m’a frappée, je me suis dit, crime c’est pas gênant ou honteux, c’est pas mal, c’est même pas malsain, pis en plus ça fait du bien! Faque autant arrêter de culpabiliser parce qu’on se touche des fois! Pis autant en parler aussi si ça peut en aider d’autres à arrêter de se sentir comme des obsédé.e.s sexuel.le.s yenque bon.ne.s pour brûler dans le lit de Satan jusqu’à la fin des temps!
Mais attention, je suis pas en train de vous dire d’aller vous masturber en public là! Tsé, y’a une méchante différence entre se toucher discrètement, pour soi, sans déranger personne et faire ça en mode exhibitionniste, en checkant les gens qui passent comme un.e esti.e de creep. La limite est là messemble, si tu causes du mal ou de la détresse à quelqu’un d’autre par tes pratiques sexuelles, ben c’est que tu devrais pas faire ce que tu fais.
Bref, ce que j’essaie de dire au final, c’est juste que ça serait l’fun qu’on arrête de démoniser la masturbation, ou toute autre pratique sexuelle en fait. Tsé, si ça fait pas de mal à personne pis que t’es bien, pourquoi tu te priverais?
Faque c’est ça, touchez-vous don’ si ça vous tente, pis please arrêter d’en avoir honte!
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Je scrappe toutes mes relations – c’est ici!
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