Illustration : Éliane (@lily364)
Personnellement, le concept de faire la bise m’a jamais vraiment emballée. J’y étais plutôt indifférente en grandissant. J’aimais pas vraiment ça, mais je voyais ça comme une fatalité, un passage obligé des partys de famille et autres événements que trop l’fun, facque je me pliais à la coutume sans me plaindre. Mais là, depuis quelques années, je me suis mise à questionner le pourquoi du comment de la chose, pis mettons que plus j’y réfléchi, plus le concept me rend inconfortable.
Facque là, la semaine dernière, j’ai eu envie de connaître le point de vue de mes féministes préférées sur le sujet. J’ai envoyé un message sur notre convo messenger de groupe pis la discussion s’est rapidement enflammée. Ding! Ding! Ding! Les notifications arrêtaient pu, on avait toutes quelques chose à dire ou une anecdote à raconter sur le sujet!
Facque voilà, shootout à la merveilleuse équipe de Les Péripatéticiennes pour cette enrichissante discussion dont j’ai eu envie de vous partager un aperçu! Bon, je l’avoue, j’ai tweeké quelques petites affaires pour éviter les répétitions et j’ai ajouté mes impressions au travers du reste, mais promis, c’est des réponses véridiques!
Quand j’étais petite, j’aimais pas ça, au Jour de l’An, chez mes grands-parents, parce que je savais que je devrais faire une tournée de bises à genre 20 personnes de 50 ans et plus.
Same! Pis si je le faisais pas, c’était genre « ben voyons, c’est ta famille, force toi! »
Sérieux, je comprends pas pourquoi on peut juste pas se dire bonjour de la main, plutôt que se faire la bise. On s’entend, y’a des gens avec qui ça me dérange pas, mais y’en a ben plus avec qui ça me dérange pis que je le fais parce que je me sens obligée!
Pis en plus, entre hommes, c’est des poignées de mains, mais dès qu’une femme est impliquée, ah, tout d’un coup faut se donner des faux-becs sur les joues. WTF, ça a tellement aucun sens!
J’aime tellement pas ça comme pratique! En plus, j’ai vraiment la peau sensible, facque souvent ça me pique après, sur les joues, si la personne portait ben de l’aftershave ou du fond de teint.
Moi je le dis ouvertement que je fais pas ça, je préfère passer pour une personne impolie plutôt que de m’approcher autant d’une personne. C’est une proximité imposée, j’aime pas ça, c’est comme des opportunités trop bien placées d’avoir des comportements inconfortables, y’a des gens qui sont trop intrusifs, ça me rend ben trop mal à l’aise.
Ici, au Québec, j’ai l’impression que c’est une pratique assez ambigüe, surtout dans notre génération. Tu le fais dans ta famille, pis avec des gens que tu connais pas full, mais pas avec tes ami.e.s. Quand j’étais en Amérique Latine, c’était tellement banal, pis c’était un rituel que j’aimais, ça brisait la distance sociale entre les gens, ça créait pas le genre de malaise qu’il y a ici. Faut dire que là-bas, c’était juste un bec, smack, c’est tout, fini. Peut-être que ça aide, tsé ça évite le genre de malaise du passage au deuxième côté, quand t’es beaucoup trop proche de l’autre personne pis que le concept même de bulle ne peut plus exister!
Haha, c’est clair que ça fait une différence! L’année dernière, je me suis retrouvée dans une région de France où c’était quatre. Oui, oui, quatre! Quand tu penses que c’est fini, ben non, y’en reste encore! Mettons que j’ai fait un moyen saut la première fois! Déjà que j’ai jamais aimé ça faire la bise, mais là, je me sentais quasiment prise au piège. Faire une tournée de becs à quatre de la shot dans un souper de famille où je connaissais juste une des vingt personnes, c’était vraiment too much!
Moi je suis aussi tout le temps super mal à l’aise, parce que les gens te parlent aussi en même temps. Je sais comme jamais quand répondre que oui, oui, ça va bien à l’université et que ben non, j’ai toujours pas de p’tit chum à présenter. Quand je suis beaucoup trop proche de ton oreille ou quand je suis beaucoup trop proche de ta bouche? C’est lequel qui est le moins inapproprié et malaisant?
Mais, les filles, vous avez pas des fois l’impression que y’aurait peut-être aussi une dynamique de pouvoir là-dedans? Genre, vous verriez vous arriver à une entrevue d’embauche pis faire la bise à votre potentiel.le futur.e boss? Ou conclure un deal d’affaire avec deux becs sur les joues? Trouveriez-vous que ça ferait sérieux si Trudeau pis Trump se donnaient des becs avant leurs conférences de presse conjointes? Moi non.
Ben je sais pas sérieux. J’ai l’impression que c’est pas tellement le geste en lui même qui est problématique, mais plutôt la signification sociale qui va avec, ici au Québec, maintenant en 2020. La vision de la bise est pas pantoute la même dans d’autres pays, comme en France par exemple. Pis probablement que ça a évolué aussi depuis 20-50-100 ans. Pis que ça va continuer d’évoluer. Bref, c’est vrai que ici ça fait pas sérieux / professionnel / powerful, mais on peut imaginer des contextes sociaux où ça l’est peut-être.
Ouain, c’est vrai, y’a une grosse question de contexte, c’est clair. Mais je pense que moi, ce qui me dérange le plus là-dedans, c’est qu’y’existe des façons différentes de se saluer en fonction de notre genre social! C’est pas nécessaire messemble. Pourquoi est-ce qu’on aurait besoin de saluer les hommes et les femmes différemment? On laisse se construire une distinction insidieuse entre les gens dès le moment où on se présente, en fonction du genre qui nous a été attribué socialement, pis c’est tellement habituel et banal dans nos vies qu’on le voit même pas!
Pis après ça y’en a qui disent que le féminisme sert pu à rien pis que l’égalité est atteinte, haha! Moi, tant que je vais me sentir obligée de faire la bise pour pas créer de malaise, je vais considérer qu’on l’a pas atteinte, l’égalité.
Quand je relis tout ça, ce qui me sidère c’est pas tellement qu’on soit autant à ne pas aimer faire la bise, ça c’est pas si surprenant que ça, ni que je n’étais pas la seule à poser un regard définitivement féministe sur la question, ça non plus c’est pas si surprenant (!). Ce qui me sidère, c’est qu’on soit autant à prendre sur nous et à continuer faire la bise malgré notre inconfort marqué, par sentiment d’obligation ou par peur de froisser les gens ou de créer un malaise. Je trouve ça tellement frustrant. D’abord parce que je me sens impuissante face à une habitude ancrée aussi solidement / profondément dans nos moeurs. Mais aussi parce que je me retrouve encore une fois à pas vraiment savoir comment faire fitter mes valeurs féministes dans ma vie sociale, ici principalement mes soupers de famille. Pis finalement, parce que j’ai l’impression, comme pour ben d’autres sujets, que j’aurai beau m’insurger gentiment ici, ça changera pas grand chose au final, ou pas assez vite à mon goût.
Mais là, 2020 nous tombe dessus avec une opportunité unique de faire bouger les choses : une énorme pandémie qui va marquer l’histoire de l’Humanité. On se retrouve du jour au lendemain à vivre dans une société en situation de crise, qui se réinvente à chaque instant pour tenter de s’en sortir avec le moins de dégâts possible. Du jour au lendemain, on se retrouve à devoir revoir et changer tout plein de petites habitudes du quotidien. Se tenir à deux mètres de distance, se désinfecter les mains en entrant et en sortant de l’épicerie, toucher le moins de choses possible, pis ben d’autres affaires encore. D’un coup, l’habitude d’avoir des contacts physiques – se serrer la main, se faire la bise, se prendre dans nos bras, s’embrasser, se donner un high five ou un fist bump, name it! – devient obsolète, et même synonyme de danger. D’un coup, on se retrouve avec le prétexte idéal pour réfléchir, repenser, revisiter et modifier nos habitudes. #restezchezvous
Alors oui, bien sûr, je suis bien consciente que c’est une tragédie qui se déroule en ce moment autour du globe (#notaflatearthbeliever). Bien sûr, je suis incroyablement triste qu’autant de personnes soient déjà décédées, et je trouve ça absolument horrible de penser à toutes celles qui vont encore mourir d’ici la fin de cette crise. Bien sûr, comme tout le monde, je trouve ça angoissant de ne pas savoir ce qui va arriver dans les prochaines semaines et dans les prochains mois. Bien sûr, je trouve ça anxiogène de ne pas savoir si je vais pouvoir travailler cet été, de ne pas savoir quand tout ça va revenir à la « normale », quand je vais pouvoir aller faire l’épicerie sans penser en permanence à toutes les façons dont je pourrais attraper ou transmettre le virus sans m’en rendre compte. Bien sûr, je trouve ça lourd de devoir me tenir à distance de mes proches, de ne pas pouvoir les toucher. Bien sûr, je perçois l’ampleur de la tragédie.
Mais j’essaie de me raccrocher à mon optimisme naturel, à de l’espoir pour l’avenir. Je me dis que, si on en profite pour revoir et modifier nos comportements problématiques, ben au moins y’aura un peu de positif qui va ressortir de tout ça. Si on en profite pour repenser notre mode de vie aliénant, pour alléger nos emplois du temps surchargés. Si on en profite pour repenser notre économie. Si on en profite pour reconnecter avec l’agriculture locale. Si on en profite pour créer des liens forts d’entraide au sein de nos familles et de nos voisinages. Si on en profite pour réaliser que c’est possible de diminuer nos déplacements et nos émissions de GES. Si on en profite pour rééquilibrer la division des tâches à la maison. Si on en profite pour réaliser collectivement l’ampleur du travail invisible réalisé quotidiennement par les fxmmes, autant à la maison que sur le marché du travail. Si on en profite pour revaloriser les jobs typiquement féminines qui sont souvent regardées de haut et qui pourtant sont de l’ordre des services essentiels. Si on en profite pour prendre le temps de communiquer pour vrai, de parler de ce qui nous importe réellement, avec nos enfants, nos parents, nos frères et soeurs, nos ami.e.s, nos collègues. Si on profite simplement de cette crise pour prendre du recul sur nos vies et notre société, pour réfléchir collectivement et évoluer. Si on en profite pour laisser tomber nos habitudes inutiles et néfastes, pour avancer ensemble vers un futur meilleur, ben selon moi on va avoir réussi à renaître de nos cendres.
Pis moi, ben j’en vois une habitude inutile et néfaste ben ben simple à laisser tomber : se faire la bise! Parce que le consentement, c’est la clé, pis que j’ai l’impression qu’il s’est un peu perdu dans le concept social de la bise.
En plus, ça sera même pas compliqué à changer comme habitude. On a déjà arrêté de le faire, question de santé publique. Facque on aura juste à pas recommencer. Point.
Tsé, y’a pas de mal à se contenter d’un chaleureux salut accompagné d’un signe de main ou d’un hochement de tête.
Facque c’est ça, au travers de l’overwhelming complexité de la situation actuelle, j’avais envie de partager un message d’espoir, parce qu’un jour, tout ça va être derrière nous, et j’ai envie de croire que ce jour là, on va prendre des décisions collectives pour évoluer vers un monde plus égalitaire et safe! Pis qu’on aura pu à se sentir forcé.e de faire des choses qu’on a pas envie.
D’ici là, prenez soin de vous, de votre famille – surtout de vos aîné.e.s! – de vos ami.e.s et de votre voisinage!
Ça va bien aller,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
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