Illustration: Pénélope (@penelop.e_charlebois)
Ça y est. Je suis rendue là. Cet âge fatidique où les personnes de mon entourage commencent à avoir des bébés. Dans la dernière année, trois de mes bonnes amies ont mis au monde de merveilleux bambins et bambines. Et c’est maintenant le moment où je commence sérieusement à me demander si c’est mon tour d’être maman. Après tout, j’ai 30 ans.
J’ai toujours voulu avoir des enfants. Quand j’étais petite, comme beaucoup d’autres petites filles et petits garçons, je jouais à la famille. La question ne se posait pas: j’aurais des enfants plus tard. Plus tard, ma certitude a été un peu ébranlée. Il y a même eu un moment, il n’y a pas si longtemps, pendant lequel je ne pensais plus en vouloir. Mais c’est revenu, et je crois que ce sentiment est là pour rester. Je me souviens très bien du moment qui m’a convaincue, en fait. J’étais à un spectacle de Gilles Vigneault et je l’écoutais raconter qu’un des plus beaux cadeaux qu’on peut lui faire, c’est de dire qu’on chante ses chansons en berceuse aux enfants. Je me suis rendu compte, à ce moment-là, que je m’étais toujours imaginé chanter des chansons à mes enfants pour les endormir, les rassurer, ou juste pour le plaisir de jouer de la musique. C’est devenu très clair et très simple: je veux être mère. À partir de là, les questions ont commencé.
Est-ce mon tour? Est-ce que je suis prête? Peut-on vraiment être prêt.e à devenir parent??
Ça fait peur, pour toutes sortes de raisons. D’abord, les grandes questions existentielles: mon écoanxiété fait en sorte que je me demande vraiment dans quel monde mes futurs enfants vont grandir, si je ne les condamne pas à une existence dure, toujours dans l’incertitude quant à l’avenir, dans le fatalisme et la peur. Les événements politiques entrent aussi en jeu. Le mépris par rapport à la vie et à la dignité humaine que nous voyons partout autour de nous me désespère. Je me demande parfois si je ne suis pas un peu égocentrique de vouloir des enfants. Le monde s’écroule, mais moi, je veux avoir des enfants. Après tout, je le ferais pour moi, par envie, par désir, pas par altruisme.
Il y aussi les plus petites questions. Les questions plus personnelles. Je suis heureuse en couple, mais je sais que la venue d’un.e enfant, même si c’est un événement fondamentalement heureux et souhaité, peut chambouler une dynamique. J’ai pris du poids au fil des ans, et même si je parviens peu à peu à m’accepter comme telle, je sais que mon corps changera si je décide de porter un.e enfant. Mes seins vont peut-être s’affaisser, mon ventre, dont la peau n’est déjà plus aussi ferme qu’elle l’était, portera les marques de la grossesse, et je devrai peut-être reconstruire peu à peu la confiance que j’accumule depuis quelque temps.
L’accouchement aussi, ça fait peur. Ça se passe bien dans la plupart des cas, mais il demeure que c’est un événement dangereux, autant pour le parent qui porte l’enfant que pour l’enfant lui-même. C’est la douleur la plus intense qu’une femme peut vivre, selon certain.es. Il peut y avoir des complications, l’enfant comme la mère peuvent mourir. Quand on a des infirmières comme amies, on les entend toutes, les histoires d’horreur. Les déchirures des organes génitaux, les problèmes de santé mentale comme le postpartum, le temps de guérison qui peut être long et douloureux… ce ne sont là que quelques exemples. Et puis il y a des problèmes de santé dans ma famille, que je pourrais très bien transmettre à mes enfants. J’ai des membres de ma famille qui n’ont pas du tout la vie facile en raison de leur santé mentale. Ce n’est pas évident de me dire que je vais peut-être léguer ces conditions de vie difficiles à mes enfants.
Récemment, malgré toutes ces questions qui demeurent en suspens, j’avais décidé que j’étais prête. Let’s go, on y va! Mais une opportunité professionnelle s’est présentée à moi. Cette opportunité, elle n’est pas immédiate; elle arrivera dans environ… 9 mois. Si je tombe enceinte dans les prochains mois, je vais la manquer. Je partirai en congé de maternité et d’autres personnes auront le poste que j’aimerais tant avoir. C’est la première fois de ma vie que j’ai été fâchée d’être une femme. Fâchée d’avoir enfin décidé, d’être vraiment excitée par la perspective d’être mère, pour me rendre compte que si je voulais avancer dans la carrière que j’ai choisie, je devais mettre tout ça sur pause. Fâchée, surtout, de me dire que si j’avais été un homme, je n’aurais pas ce problème. J’aurais pris un congé parental court de quatre à six semaines, comme le font beaucoup d’hommes, et je serais retournée travailler. Ma carrière ne serait presque pas affectée.
Je n’ai pas encore digéré cette situation. J’ai de la misère à démêler, dans ma tête, ce que ça veut dire, ce que ça implique. Je suis triste de ne pas pouvoir embarquer dans cette aventure tout de suite, alors que je me sentais enfin prête à le faire. Le timing était bon, mais maintenant, j’ai peur de l’incertitude, de ce que l’avenir peut apporter. C’est sûr qu’il peut y avoir du bon dans cet avenir, mais l’inconnu, ça fait peur. Peut-être que je suis infertile. Je n’ai pas vraiment de moyen de le savoir avant d’essayer d’avoir un enfant. Peut-être qu’essayer prendra si longtemps que ma grossesse sera à risque en raison de mon âge. Peut-être que mon copain et moi vivrons des problèmes dans notre relation. Ce ne serait pas la première fois. Peut-être que même en mettant ce beau projet sur pause, je n’aurai même pas la job que je veux.
J’ai réalisé il y a quelque temps déjà que ça ne me tentait pas de me définir par mon emploi, que je préférais trouver le bonheur dans ma vie personnelle plutôt que dans ma vie professionnelle. J’ai pourtant l’impression de mettre ma vie personnelle sur pause pour faire avancer ma vie professionnelle. Ça me fait chier de me trouver carriériste. Ça me fait chier de devoir choisir entre ma job et un enfant. Finalement, comme quand j’écoutais Gilles Vigneault parler de ses chansons, ces réflexions des derniers mois m’ont fait réaliser que je veux vraiment être mère.
Alors pour l’instant, j’attends. Je suis prête, mais ce n’est pas mon tour.
Je serai maman, mais pas tout de suite.