Illustration : Garance (@garancebb)
Il y a six semaines, mon ex a repris contact avec moi après des mois de silence. En plus de me donner des nouvelles, son message témoignait d’une énorme avancée dans ses questionnements identitaires. En bref, mon ex est une femme trans et elle commence enfin à l’accepter.
Elle : […] Sinon, côté relation, je vis une énorme peine d’amour (et je crois que je comprends mieux maintenant ce que tu as vécu l’été dernier). C’est la première fois que ça m’arrive d’aimer autant quelqu’un et que ça soit pas moi qui mette fin à la relation, c’est dur. Mais on est encore très proches et elle m’apporte beaucoup dans mes questionnements de genre. Depuis que je lui en ai parlé, elle a commencé à s’adresser à moi au féminin (ce que je fais aussi quand je suis avec elle) et je me rends compte que je me sens beaucoup mieux dans une identité de femme. Je ne me vois plus trop rester dans ce corps « d’homme » bien longtemps, mais j’ai la trouille de faire une erreur irrémédiable. J’ai peur de tous les changements sociaux que ça va engendrer. Je suis pas prête à m’assumer avec tout mon entourage, j’ai aucune envie de devoir répondre à des questions pour leur expliquer ce qu’iels ne peuvent pas comprendre. Tout ce que je te dis ne nécessite pas forcément de réponse de ta part, je crois que j’avais surtout besoin de le dire à une personne de confiance. Alors voilà, si t’en as envie, ça me ferait plaisir que tu t’adresses à moi au féminin dorénavant. […]
Moi : […] Bien sûr que ça va me faire plaisir de m’adresser à toi au féminin! D’ailleurs, ça devrait pas être à moi de voir si ça me convient, c’est ton identité après tout, c’est à toi de me la dicter, pas le contraire. En tout cas, je suis super contente pour toi que tes réflexions avancent, même si je suis désolée que tu aies à passer par des moments aussi difficiles pour y arriver. […]
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Ma première pensée en lisant son message : une immense joie pour elle que ses questionnements cheminent. Je savais déjà que c’était un sujet qui la tracassait beaucoup au quotidien vu qu’elle m’avait parlé à quelques reprises de ses questionnements du temps de notre couple, au printemps dernier. Mais la dernière fois qu’on en avait parlé, l’été dernier, peu avant notre rupture, elle n’était pas prête à chambouler sa vie et ses relations en en parlant autour d’elle. C’était tout un changement qu’elle m’annonçait là, dans ce message un peu sorti de nulle part.
Depuis, dans les dernières semaines, passé ce premier et bref moment de joie, je me suis mise à ressentir toutes sortes d’autres émotions, parfois contradictoires et dont je ne suis pas toutes fière.
Encore de la joie pour elle, qu’elle ait trouvé une autre personne de confiance avec qui explorer son identité, surtout que jusqu’à tout récemment, j’étais la seule personne au monde à être au courant de ses questionnements.
De la tristesse aussi, qu’elle ait à passer par une peine d’amour parce que son amour pour cette autre femme n’est qu’à sens unique.
Le soulagement de me sentir enfin au moins un peu comprise dans ma détresse et ma colère de l’été dernier. Je me rappelle encore très bien l’entendre me dire, pas longtemps après qu’elle m’ait laissée, t’es forte, tu vas t’en sortir alors que je venais de ravaler ma fierté pour lui exprimer à quel point je trouvais ça dur émotionnellement de vivre ce double deuil : la fin de ma grossesse et la fin de notre relation. Alors, d’être validée dans ma peine plutôt que regardée de haut, j’en suis pas particulièrement fière, mais maudine que ça m’a fait du bien.
La jalousie. La jalousie de ne pas être cette femme qui l’a fait brûler d’amour, qui lui fait vivre une peine d’amour digne de ce nom. La jalousie de ne pas être celle qui aura réussi à la faire progresser dans ses réflexions.
Le dégoût face à ma jalousie, parce que j’ai toujours l’impression d’être sale lorsque j’en ressens. Le dégoût de moi d’avoir ressenti de la satisfaction en apprenant qu’elle s’était fait briser le coeur par une autre.
La culpabilité de ne pas avoir tenté un peu plus de percer sa coquille, de ne pas avoir été plus à l’écoute, d’avoir été trop centrée sur mes difficultés pour l’aider dans les siennes. L’impression que j’aurais pu faire plus pour l’aider l’été dernier.
La compréhension soudaine de plein de choses qui se sont passées dans la dernière année entre nous deux. Sa fermeture complète par rapport à moi suite à son retour en France au début de l’été, alors qu’on tentait l’impossible en entamant une relation à distance. Nos soudaines difficultés de communication qui n’étaient finalement pas attribuables à la distance ni au décalage horaire. Le fait que j’aie arrêté de savoir – ou de comprendre peut-être, je sais pas trop – ce qui se passait dans sa tête une fois qu’elle a quitté le Québec. Son incapacité à m’écouter et à me soutenir dans mon processus de deuil suite à ma fausse couche, se coupant complètement de moi dès que j’abordais le sujet. Son soudain mal-être si évident, mais dont je n’arrivais pas à saisir l’élément déclencheur. Le vide dans son regard quand on faisait l’amour suite à nos retrouvailles en France au mois d’août. Son détachement de moi. Sa fascination envers les femmes fortes et le féminisme en général. Sa difficulté à me voir m’effondrer sous le poids de la tristesse, moi qui lui servais en quelque sorte de phare depuis quelques mois.
La compassion face au lourd cheminement au travers duquel elle tente de progresser. L’impression de peut-être être en train de retrouver la personne dont je suis tombée amoureuse l’année dernière, après des mois d’incapacité à communiquer. La nostalgie des beaux moments de notre relation. L’excitation de potentiellement pouvoir les revivre un jour.
La peur de lui accorder de nouveau ma confiance et de me faire encore briser le coeur. La frustration de devoir me restreindre de lui faire pleinement confiance pour me protéger moi, parce que je déteste avoir à me méfier des gens.
Le stress de ne plus savoir comment lui parler après tous ces mois de silence, de ne plus savoir la place que je peux me permettre d’occuper dans sa vie. Le besoin d’exprimer certaines choses, à propos de sa quête identitaire mais aussi de notre relation, mais la peur d’être maladroite dans mes propos et de déclencher une autre coupure de contact entre nous.
La peur de donner l’impression de ne pas accepter son choix en soulevant des questionnements. L’inquiétude que mes questionnements ne soient en fait que le reflet d’une incapacité à accepter la situation. Que mon inquiétude ne soit en fait qu’une forme d’attachement envers ce corps « d’homme » que j’ai tant aimé et désiré. La peur de découvrir que je ne suis peut-être pas aussi ouverte et pleine d’acceptation envers la différence que je le voudrais. La remise en question de moi, en profondeur.
L’indignation, la colère de vivre dans un monde qui met encore en danger des personnes qui cherchent juste à être elles-mêmes. La frustration envers mon besoin urgent de la mettre en garde alors qu’elle est très certainement déjà consciente de l’omniprésence de la transphobie et déchirée par la peur, et qu’elle a probablement bien plus besoin d’être rassurée.
La détresse de ne pas savoir ce que je peux me permettre de dire, de ne pas savoir quel rôle je peux me permettre de jouer dans son processus.
La colère, envers elle, de m’avoir encore mise, avec son message sorti de nulle part, dans une situation où j’avais besoin de pouvoir lui parler pour me sortir d’un certain niveau de détresse psychologique, mais où je n’avais pas de moyen de la rejoindre, de prendre moi-même les devants de la communication. Le besoin d’exprimer cette colère, d’exprimer mes limites. La frustration de ne pas pouvoir le faire sans risquer que mon message soit mal interprété. Le sentiment d’être égoïste de penser à ma petite personne alors que c’est elle qui a besoin d’écoute en ce moment. Le besoin, tout de même, de lui parler et d’exprimer toutes ces choses, parce que ça me bouleverse tellement que j’en ai du mal à dormir.
Puis, au fil des jours et des semaines, parce que toutes ces émotions tournaient en boucle dans mon corps, l’envie, le besoin de lui parler de vive-voix et la frustration de ne pas pouvoir le faire pour toutes sortes de raisons. Parce qu’on est dans deux pays différents avec une différence horaire de six heures. Parce que j’étais en fin de session pis que j’étais débordée par tous mes cours et travaux à faire à distance. Parce qu’elle était, encore, dans un lieu avec pas vraiment de réseau ou d’accès Internet (oui, ça existe encore des endroits comme ça, si vous en cherchez, vous devriez demander à mon ex, c’est vraiment une pro pour dénicher les endroits les plus reculés et les moins accessibles / joignables qui existent). Parce que la journée où on devait enfin s’appeler, son cell s’est brisé. Parce que c’est entre autre sa façon a elle de gérer ses émotions, couper complètement la communication avec ses proches en se repliant sur elle-même.
Mais, bien que je comprenne ces différentes raisons, je ressentais de plus en plus l’envie, le besoin, de lui parler plus que tout. Pour moi, parce que je suis confuse et perdue, parce que je m’ennuie de nous, parce que j’ai toujours aimé lui parler et que nos longues conversations sur la vie me manquent. Mais pour elle aussi, parce que je veux l’aider et la soutenir dans son cheminement. Mais surtout pour moi en fait, pour lui poser des questions et me rassurer, parce que je m’inquiète pour sa santé, sa sécurité, son avenir. Parce que je n’arrive pas à me sortir de la tête toutes sortes d’histoires d’agressions transphobes et que j’aurais juste envie de lui dire de ne surtout pas aller dans cette voie, même si je sais que ce n’est pas un choix autant qu’un besoin d’être en accord avec son identité réelle. Le besoin de lui parler pour m’assurer qu’elle est consciente de ce qui l’attend.
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Pis là, aujourd’hui, six semaines plus tard, je me retrouve à être encore ben confuse par rapport à toute cette histoire. Parce que ça m’a pris un petit moment, et une bonne discussion avec sa soeur, qui est aussi une bonne amie à moi et qui avait été mise au courant entre temps, pour comprendre pourquoi ça me bouleversait autant. I mean, c’est pas moi ici qui me questionne sur mon identité de genre, alors pourquoi est-ce que ça me cause autant de stress?
Ben parce que les problèmes de communication, entre autres choses, qui ont mené à notre rupture, ne sont pas disparus magiquement du jour au lendemain lorsqu’elle a repris contact avec moi il y a six semaines pour m’annoncer être une femme trans. Bien sûr, ça m’a aidée à comprendre et à lui pardonner ben des affaires. Mais ça m’a aussi mise dans une situation un peu invivable où j’étais au courant de quelque chose de vraiment très gros dont je ne pouvais pas parler, ni à ses proches ni à elle. Dans une situation où j’en savais très peu au final, laissant beaucoup de place à mon imagination pour me créer des peurs, sans avoir la possibilité de lui parler pour me rassurer.
Pis même si je suis super contente pour elle et que j’accepte à 100% sa démarche, je suis fâchée qu’elle m’ait encore placée dans une posture d’infériorité dans la communication. Dans une posture où je dois attendre qu’elle revienne vers moi pour pouvoir lui exprimer comment je me sens sans risquer qu’elle s’éloigne encore plus. Ça avait été pareil vers la fin de notre relation. Elle qui était soudainement injoignable (c’est pratique quand même de se retrouver à aller faire un stage de plusieurs semaines sur une ferme sans accès Internet juste au moment où t’as une couple de discussions profondes à avoir!) et moi qui était laissée dans le néant, à avoir vraiment besoin de lui parler mais à devoir attendre qu’elle ait le temps / la possibilité / l’envie de m’appeler. Et plus je lui exprimais mon besoin de lui parler au téléphone, moins elle était disposée à m’appeler. J’ai donc appris à attendre en silence, et à me garder disponible en vu du moment où mon téléphone sonnerait enfin.
J’avais essayé, l’été dernier, de me sortir de ce déséquilibre de pouvoir entre nous, de lui exprimer le tort que ça me causait, en vain malheureusement. Mais je m’étais aussi jurée de réagir plus vite la fois suivante, de pas laisser le déséquilibre s’installer. Sauf que là, dans les dernières semaines, j’étais encore pognée. Tsé, comment réussir à écrire, par messenger, à quelqu’un quelque chose comme Salut! Je suis super contente que tes questionnements avancent et je veux être là pour toi, mais pour me protéger je peux pas accepter d’être toujours en attente de toi, si on veut pouvoir continuer notre relation j’ai besoin de savoir que je peux te contacter quand j’en ai besoin, que la disponibilité pour l’autre est pas juste à sens unique entre nous deux, pis que ça passe bien? Comment est-ce que j’aurais pu exprimer mes limites plus tôt, sans que ça passe pour de la non-acceptation de son identité?
Bref, tout ça me fait me questionner sur les relations (oui, encore!). Comment trouver l’équilibre entre je prends soin de l’autre et je prends soin de moi? Comment exprimer ses limites quand l’autre à besoin de notre soutien sans passer pour un.e sans-coeur? Sans donner l’impression qu’on ne l’accepte pas dans ses struggles?
Sérieux, je sais pas, j’ai pas encore trouvé de réponse. La bonne nouvelle par contre, c’est qu’on a finalement pu se parler elle et moi cette semaine. On est restée 5h au téléphone ensemble, pis ça s’est super bien passé. J’ai pu exprimer tout ce que j’avais besoin de lui dire, pis ça a été bien reçu. C’était presque 100% comme avant, comme au début, comme si on ne s’était jamais fait du mal mutuellement. Pis ça m’a rassurée. Parce que la personne avec qui j’ai parlé cette semaine ressemblait ben plus à celle que j’ai rencontrée et dont je suis tombée amoureuse au printemps dernier qu’à celle qui m’a fait souffrir à la fin de l’été.
Mais je reste prudente. J’apprends tranquillement à respecter et à faire respecter mes besoins, à affirmer mes limites. Donc, pour prendre soin de moi, même si j’accepte à 100% son identité et que j’ai envie de la soutenir dans son cheminement, j’ai décidé de ne pas lui accorder tout de suite ma confiance. Peut-être un jour, on verra, mais elle devra la mériter.
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Moi : J’aurais envie de pouvoir t’accompagner dans ton cheminement. J’aurais envie que les choses se soient passées différemment entre nous. J’aurais envie d’être capable de te donner la chance de regagner ma confiance. J’aimerais que le fardeau émotionnel de notre histoire soit déjà loin derrière moi pour pouvoir me concentrer sur notre amitié sans faux espoirs irréalistes et destructeurs. J’aurais envie de tellement de choses qui me sont malheureusement inaccessibles pour l’instant et ça rend la décision tellement difficile à prendre. Je tiens beaucoup à toi et à notre amitié et j’espère de tout coeur qu’on arrive un jour à reconstruire une relation saine. Mais pour l’instant, ça me fait encore trop mal. J’ai besoin de prendre soin de moi. J’ai besoin de prendre mes distances pour un certain temps.
En apprentissage constant,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
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