Illustration : Arielle (@ririelle16)
J’ai un amour quasi-inconditionnel pour les romcoms (ou comédies romantiques, en bon français). Depuis toujours, j’adore ces histoires très peu réalistes dans lesquelles une femme extraordinaire a le coup de foudre pour un homme médiocre et après quelques péripéties, qui sont bien souvent le résultat d’un simple manque de communication, “ils furent heureux et eurent beaucoup d’enfants”. Je sais que c’est comme un conte de fées pour adultes et que plusieurs personnes jugent ce type de contenu. Je sais que beaucoup des romcoms sont très problématiques, à plusieurs niveaux. Dans certains films de ce genre, par exemple, un homme tente de convaincre une femme qu’il est son âme-soeur, même si elle dit non à plusieurs reprises, et finit par la convaincre qu’ils doivent être ensemble. Pour le respect du consentement, on repassera. Je sais que les romcoms sont souvent extrêmement sexistes envers les femmes, tout en étant dénigrantes envers les hommes. Elles perpétuent des stéréotypes de genre, incluant celui de la femme contrôlante, organisée, mince, belle, blanche, et de l’homme décontracté, facile à vivre, qui sait avoir du fun et qui apprend à l’héroïne comment se laisser aller. Mais je ne peux pas m’empêcher de les aimer quand même.
C’est la même chose pour les drames d’époque. J’ai dévoré Downton Abbey quand cette série est apparue sur nos écrans et je regarde religieusement les adaptations télé des romans de Jane Austen. J’écoute beaucoup de documentaires historiques sur les diverses monarchies européennes. Ça veut évidemment pas dire que je suis d’accord avec le principe – j’aime juste ben ça, les documentaires sur les Romanov et les Tudor. Je suis consciente de ce qui était problématique à cette époque, incluant la place très limitée des femmes dans la société, l’oppression des classes ouvrières par les classes dirigeantes, le racisme et l’esclavagisme, le manque d’éducation des femmes et généralement des classes ouvrières, et bien d’autres encore. Mais des fois, j’ai juste envie d’aimer les choses sans porter tout le poids des luttes dont je suis consciente sur mes épaules. Apprécier des séries et des films sur ces époques révolues, c’est devoir ignorer ou mettre de côté des luttes qui me tiennent à cœur.
J’ai parfois envie de me laisser bercer par la douce valse d’Hollywood, par ces expert.e.s scénaristes, producteurs.rices et autres, qui savent exactement quoi dire, quoi écrire pour me faire oublier mes problèmes, oublier que je suis une féministe, et me donner le goût, juste pour une journée, d’être comme ces personnages et de faire de la broderie dans une grande drawing room dans ma magnifique robe de jour, avant de me changer dans une autre robe tout aussi magnifique et un peu plus fancy pour dîner en famille. Honnêtement, cette vie là, au-delà des luttes de classe et de l’oppression de la femme, a l’air plate pas mal. Quand on lit un roman de l’époque de Jane Austen, on comprend bien vite que pour une femme bien née, la vie n’était pas passionnante. La broderie, c’est bien beau, mais une vie composée uniquement d’événements sociaux et de salons de thé, ça me semble insipide. D’autant plus que derrière toutes ces structures qui permettent aux grandes dames de faire leur broderie dans leur grand domaine, habillées de leur belle robe, il y a des gens qui souffrent, qui travaillent d’arrache-pied pour survivre, voire même de l’esclavage. Des fois, c’est dur de décrocher quand je pense à toutes ces personnes qui ont dû vivre dans la misère pour permettre à une minorité de vivre dans un luxe infini. Mais pour vrai, j’aime ça pareil, Downton Abbey.
Je suis aussi consciente qu’il y a des trucs vraiment horribles dans les classiques, par exemple. It’s a Wonderful Life, le film classique de Noël, que j’adore sincèrement, qui contient des scènes où le personnage principal profite du fait que sa douce est nue et cachée dans un buisson pour se faire du fun à ses dépends, où il niaise la cuisinière / servante de sa famille blanche bien nantie, qui est évidemment une femme noire. Je sais que c’est inacceptable, je suis consciente de l’aspect problématique de scènes comme celles-là et des torts qu’elles peuvent perpétuer. Mais chaque année, j’écoute quand même ce classique. J’écoute quand même The Ugly Truth, ce romcom complètement ridicule qui me fait grincer des dents et lever les yeux au ciel avec ses stéréotypes arriérés. Je suis quand même fascinée par la vie des monarques britanniques d’antan et de leurs problèmes, même s’ils et elles étaient les personnes les plus privilégiées de leur époque.
Les plaisirs coupables, pourquoi c’est coupable? Pour certain.e.s, c’est le true crime, pour d’autres, c’est les téléréalités. Pourquoi on se cache un peu d’écouter Occupation Double? Pourquoi je me suis sentie ok de le dire à mon entourage que j’écoutais enfin OD pour la première fois, mais seulement en disant aussi que j’écoutais Les Ficelles, l’excellent podcast féministe sur l’émission, à titre de justification? C’est correct, j’écoute ça pour le plaisir, mais tsé, pas vraiment, je fais une analyse féministe, alors c’est acceptable. En tant que « bonnes » féministes, on dirait qu’on est socialement obligées de tout faire comme il faut, d’aimer seulement les choses qui respectent nos principes en tout point, sans quoi on est des hypocrites. On doit être des féministes parfaites, sans aucune contradiction. Mais ça n’existe pas, la perfection. Porter une lutte, la soutenir, y penser constamment, faire de l’activisme dans la vie de tous les jours, c’est épuisant. On a droit au repos. On a le droit de mettre notre cerveau à off et de se conformer au monde dans lequel on vit, qui est, après tout, patriarcal et capitaliste. On a le droit d’écouter des téléréalités, du true crime, des comédies romantiques et autres, même si elles contiennent des scènes qui ne sont pas politically correct.
J’aime les choses pas politically correct. Et ça ne fait pas de moi une mauvaise personne, ni même une mauvaise féministe.
Perséphone