Illustratrice : @viraesworks
Y’a environ cinq ans, j’ai accueilli le féminisme dans ma vie. Je pourrais pas donner un moment exact ou une expérience particulière qui m’a transformée à tout jamais, mais disons que le féminisme est devenu assez central pour moi. Tellement central que j’en suis aujourd’hui à me considérer comme une militante féministe. Je dirais même que j’ai été, durant ma dernière relation, militante féministe jusque dans mon couple. Keep reading, tu vas catcher ce que je veux dire.
Bref, le féminisme, c’est maintenant mon mode de vie. Je réfléchis constamment aux formes d’oppressions que les femmes subissent, autant dans la sphère publique que dans ma vie personnelle. Et comme je passe au moins 20h à chaque semaine à administrer ce beau Collectif et à essayer d’éduquer et de sensibiliser les gens à différents enjeux féministes, j’ai pris l’habitude, depuis les dernières années, de le faire aussi dans ma vie privée.
Du genre, j’ai souvent initié des conversations avec mes amis de gars sur le consentement pis le sexe et ça m’est arrivé de leur point out leurs comportements problématiques. Je suis aussi celle qui ne peut pas s’empêcher d’intervenir quand une personne que je ne connais pas dans un party random dit « boys will be boys and girls will be girls » et de lui expliquer pourquoi c’est extrêmement dangereux de dire des choses comme ça. Sans compter que je suis souvent la personne qui flag quand les gars prennent toute la place dans une conversation, et qui tente de donner la parole à d’autres femmes. Bref, you get the idea. Je fais constamment de l’éducation féministe avec mes proches, pis aussi avec des gens un peu moins proches.
Pis ça été le cas dans ma dernière relation de couple aussi. Le gars en question, c’était l’ami d’un ami. À la fin d’une soirée bien arrosée, on a dormi dans le même lit, pis on s’était revu.e.s une couple de fois après. Le sexe était très rafraîchissant / challenging. J’avais l’impression de découvrir des choses que je n’avais jamais faites avant, de sortir de mes propres limites et, ça me fait un peu chier d’admettre ça, mais si j’apprécie autant mon corps nu aujourd’hui, he’s got a lot to do with it. L’affaire, c’est que, pas très longtemps après avoir couché avec, j’ai appris qu’il avait été très très insistant et wack avec une des mes amies, quelques années auparavant. Sauf que, j’avais tellement eu de fun avec lui que je me disais qu’il avait sûrement changé, et que si c’était pas le cas, que moi je pourrais le changer.
Faque ouin, mettons que mon pattern de sauvetage de causes perdues s’est emparé de moi à la vitesse grand V. On est rapidement devenu un couple, et lui, il est rapidement devenu mon projet de transformation féministe. Je sentais que je devais lui faire un genre de makeover à la Journal d’une princesse, mais au lieu d’être axé sur le physique, c’était axé sur les valeurs profondes pis les comportements. Bonjour le défi quasi impossible à surmonter! Mais je croyais vraiment en mon pouvoir de sensibilisation.
Je suis capable de sensibiliser un dude au point de le rendre pro-féministe! Je peux lui faire voir les oppressions qu’on vit à tous les jours en tant que femmes! Je peux lui faire comprendre c’est quoi le consentement! Je peux lui apprendre que certains comportements sont lourds en crisse! Je peux lui montrer que la masculinité peut être toxique des fois! Je peux lui inculquer que les oppressions, le patriarcat, le racisme, c’est systémique! Je peux l’encourager à fermer sa gueule de temps en temps pour laisser les autres parler! Je peux lui démontrer que mes poils ont le droit d’exister! Je peux l’initier au fait que mon corps, j’en fais ce que je veux!
Pis, on dirait que j’y ai cru pendant un petit boutte. Je croyais vraiment qu’on pouvait éduquer une personne qui semblait à la base réfractaire au féminisme et la sensibiliser à la cause. Chaque minuscule changement que j’observais chez lui me rendait super fière. J’avais l’impression qu’il comprenait un peu plus la lutte féministe. Je remarquais qu’il prenait ma défense à certains moments et il est même allé jusqu’à call out ses boys et s’excuser de son comportement de marde auprès de mon amie. Je pensais que je me rapprochais un peu plus chaque jour de mon objectif de le rendre pro-féministe.
Évidemment, je ne me rendais pas compte au quotidien à quel point ça me grugeait de l’énergie d’essayer de le changer. Mais quand j’y réfléchis, dans les faits, durant ces presque trois ans de relation, j’ai beaucoup pris sur moi. J’ai pilé sur mes propres croyances et mes valeurs féministes pour maintenir la paix dans notre relation. J’en suis même venue à défendre ses comportements et ses attitudes clairement sexistes. J’ai tassé du revers de la main les (trop nombreuses) fois où il était fâché et criait des insultes à ma sœur ou à mes amies. Je me disais que ce n’était pas de sa faute, qu’il n’avait pas appris à exprimer ses émotions. Et je me disais la même chose quand il se moquait de mes ami.e.s pour « faire des jokes ». Je me disais, c’est pas de sa faute, il a pas appris à socialiser comme du monde, le pauvre, il ne sait pas qu’il a pas besoin de faire ça pour avoir l’air cool, il n’est qu’une pauvre victime de la masculinité toxique. J’en suis même venue à me convaincre que s’il avait agressé mon amie, il y avait de cela quelques années, c’était parce qu’il n’avait jamais été éduqué sur le concept du consentement. Je refusais de croire qu’il puisse intentionnellement agir comme une merde, faire volontairement du mal à d’autres pis en avoir rien à crisser de leur douleur.
J’ai aussi ravalé ma salive à de nombreuses reprises. J’acceptais qu’il me mette constamment la pression pour qu’on couche ensemble, j’acceptais sa jalousie. J’ai supprimé, au meilleur de mes capacités, la colère et la frustration qui m’habitaient par moment. Je prenais une grande inspiration et je tolérais quelques-uns de ces propos super insultants. Souvent, j’évitais d’aborder certains sujets avec lui parce que je me disais qu’il n’était pas encore prêt à en entendre parler. Je savais qu’il me pèterait une coche, qu’il m’accuserait de ne pas être « objective » et d’être « fermée d’esprit ». Mais je me disais que c’était normal, qu’on ne peut pas tout comprendre du premier coup. J’ai été hyper patiente. Je me rassurais en me disant qu’on ne devenait pas féministe après une seule conversation, et que c’était normal qu’il ne se transforme pas en un claquement de doigts. En même temps, je sais pas trop à partir de quel moment j’aurais pu déclarer la fin de mon makeover féministe. Quand il allait être capable de me citer par cœur Angela Davis ou Judith Butler? Quand il allait prendre conscience par lui-même des nombreuses oppressions quotidiennes vécues par les femmes? C’était un objectif tellement flou et pas évident à mesurer. Ironiquement, je ne me suis jamais demandé si lui, il avait vraiment envie de changer ses attitudes et ses comportements sexistes.
Au bout du compte, je me sentais personnellement responsable de ses moindres faits et gestes. J’étais constamment sur le qui-vive quand on allait quelque part ensemble. Qu’est-ce qu’il allait encore dire? Est-ce que j’allais devoir le défendre? Est-ce que j’allais devoir lui expliquer que ses propos étaient super insultants? Est-ce qu’il allait se pogner encore avec quelqu’un? Allais-je devoir encore intervenir? J’avais tellement peur qu’il me fasse honte, qu’il blesse quelqu’un et qu’il nuise à ma réputation. C’était tellement de stress à gérer de manière quotidienne.
En plus d’être en permanance sur mes gardes, il fallait constamment que je lui explique les différentes dimensions de la lutte féministe. C’était tellement épuisant, mentalement et physiquement, d’être en lutte constante avec le dude qui était supposé être mon partner. Celui qui aurait dû me supporter, ben finalement, il fallait toujours que je lui explique comment pis pourquoi il aurait dû me supporter dans mes combats au quotidien. C’était un travail émotionnel pis une charge mentale énormes, que je réserve normalement à mon militantisme, à ce Collectif. Le faire auprès de la personne avec qui je partageais mon quotidien pis mon intimité, c’était rough en esti.
Et là, j’imagine que ce que je m’apprête à dire est plutôt obvious, mais j’ai fini par le laisser.
Mais, naïve et pleine d’espoir, je me disais, au moins, j’aurai réussi à lui inculquer le concept du consentement, pis une couple d’autres concepts féministes. Même si lui pis moi ça marche pas, j’aurai contribué à rendre le monde plus safe.
Sauf que, depuis notre rupture, j’ai reçu des témoignages à son sujet autant de mes amies les plus proches que d’amies d’amies. Conclusion : mon ex a agressé et violé plusieurs filles. Il a posé des gestes et des actions inexcusables pendant qu’on était ensemble et pas longtemps après que je l’aie laissé. Oh, et avant aussi. Ce n’était malheureusement pas juste une erreur de parcours comme j’avais tellement voulu le croire.
Et d’apprendre tout ça, plusieurs mois après notre breakup, ça m’est rentré dedans comme pas grand chose d’autre dans ma vie. Un peu comme si j’avais été percutée par une vague que je n’avais pas anticipée, qui m’avait happée de plein fouet, qui m’avait envoyée valser dans le fond de l’eau et qui me faisait ressortir avec la peau égratignée de bord en bord et les yeux rougis à cause du sel. Bref, ça m’a complètement décâlissée.
J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’ai été en tabarnak comme jamais je l’ai été dans ma vie. Mais surtout, je me suis sentie coupable de la racine de mes cheveux jusqu’au bout de mes pieds. Responsable de ses actions dégueulasses. Je le ressentais comme le plus grand échec de toute ma vie. D’autres filles ont souffert à cause de mon incapacité à lui transmettre des concepts de base, à le sauver, à le rendre décent. J’avais aussi l’impression que c’était de ma faute, parce que c’était moi qui l’avait, en majorité, présenté à ces filles qu’il a blessé. J’ai dû unpack tout ça avec ma psy pendant des mois pour que la culpabilité commence à me crisser patience et à me laisser un peu le droit de vivre semi-sereinement.
Parce que non, ce n’est vraiment pas de ma faute. Je ne suis pas responsable de ses actions, et encore moins de ses actions dont je ne connaissais pas l’existence. Et j’ai ben beau vouloir créer un milieu de vie safe pour les femmes, je peux ben essayer de changer le monde de toutes les manières possibles, mais je ne peux pas être responsable de ses actes à lui. Oui, j’ai, dans ma grande générosité et dans ma conviction que tout le monde mérite une deuxième chance, tenté de l’éduquer. J’ai même mobilisé beaucoup d’énergie dans cette mission que je m’étais donnée. Mais, à un moment donné, il faut que l’autre personne fournisse des efforts conséquents et souhaite elle-même en apprendre plus pour modifier ses comportements. Y’a des fucking limites à vouloir éduquer quelqu’un.
Le plus fou dans tout ça, c’est que je n’aurais jamais réalisé que c’était pas normal comme relation si je n’avais pas eu la chance de dater, quoique très brièvement, un dude woke. J’étais constamment étonnée de ne pas avoir besoin de justifier mes positions féministes et anti-capitalistes. À partir ce moment-là, j’ai pris la décision que si j’avais un autre chum, je voulais qu’il soit déjà pro-féministe. Et ça me fait sentir un peu égoïste de dire ça parce que c’est certain que derrière un dude pro-féministe, y’a clairement plusieurs femmes qui ont fait un travail d’éducation avant que j’arrive. Mais j’ai juste pu la force de me battre dans mon propre couple.
Maintenant, je consacre mon énergie pis mon temps aux multiples projets qui me tiennent à coeur au lieu de l’investir à « convertir » mon ex. Être militante féministe dans mon couple, je le ferai pu jamais. Parce que, j’ai beau vouloir travailler à rendre le monde plus juste et plus féministe, je suis pas obligée de faire de ma vie privée une expérimentation féministe pis de m’épuiser pour changer quelqu’un. Au contraire, j’ai besoin d’un réseau d’amitiés et de partenaires qui me soutiennent et me comprennent au quotidien pour pouvoir revenir énergisée, prête à continuer la lutte.
Peace out,
Médusa
Médusa, bachelière en communication, dont les propos peuvent parfois être venimeux, n’a pas la langue dans sa poche. Provocante et animée par la sexualité, elle débat pour que les femmes ne soient plus réduites au stéréotype de la pute, de la vierge et de la mère.
Pour lire le dernier article de Médusa – Why the fuck j’me ramasse toujours avec des estis de losers – c’est ici!