Mes poils et moi avons, depuis peu, une relation amour-haine. Je précise depuis peu parce qu’avant c’était pas mal juste de la haine et que ça fait vraiment pas longtemps que l’amour se glisse avec précaution dans la balance. En fait, mes poils c’est comme tes parents que t’entends faire l’amour dans la pièce d’à côté : en pensant ben ben fort à autre chose, t’arrives à te convaincre que, dans le fond là, tu les aimes pis qu’ils sont là pour ton bien, mais tu préfèrerais quand même qu’iels soient plus discret.ète.s.
Mais bon, y’a ben fallu que je me rende à l’évidence, quand t’as des poils comme les miens, les gens peuvent pas faire autrement que de les remarquer. Ils sont foncés, ils sont épais et ils poussent vite. Très vite. Mais surtout, ils sont nombreux. Très nombreux. Ils ont d’ailleurs commencé à me complexer très jeune. D’aussi loin que je me rappelle, ça m’a pas mal toujours préoccupée.
Dans un de mes premiers souvenirs de l’école, je suis assise seule dans mon banc d’autobus-jaune à la fin de la journée et je me sens misérable et honteuse : quelqu’un s’est moqué de mes poils de bras, que j’essaie tant bien que mal de cacher avec mes manches courtes. Ça date de la maternelle. J’ai été gênée de montrer mes bras pendant des années après ça.
Quelques années plus tard, c’étaient mes poils de jambes qui attiraient les moqueries. Je me rappelle très clairement encore de la remarque d’un garçon de ma classe, en 4e année, durant un cours d’éduc : regardez, Padmé elle est aussi poilue qu’un gars. Tiens, dans ta face tes complexes! Non mais c’est fou comment la pression de la beauté commence jeune!
Quel soulagement quand mes parents m’ont enfin donné la permission de m’épiler pour la première fois à 12 ans! J’étais tellement contente, pis fière, ça avait même pas de bon sens. My god que j’aimais ça faire mes jambes à l’époque! Ça me faisait sentir super bien. Genre full belle, pis rayonnante, pis féminine, pis toutte là. Comme dans une annonce de Veet esti!
Mais ça pas été long que je suis sortie de ma pub pour revenir dans la réalité par contre. Parce que quand t’as des poils comme les miens, t’as jamais – jamais! – des jambes soyeuses comme dans les magazines. Même pas quand tu viens tout juste de les faire. Entre les poils incarnés, les poils qui repoussent à la vitesse de l’éclair et ceux qui ont tout simplement refusé catégoriquement de se laisser déraciner, ça prend pas plus que quelques jours avant que tes jambes aient le même look que celles de tes amies qui auraient vraiment besoin d’aller chez l’esthéticienne là parce que ça fait genre trois semaines pis qu’elles sont vraiment dues là. Ben oui c’est ça, vas chier avec tes trois petits poils sur la cheville! Mais bon, chacun.e ses tourments j’imagine.
C’est il y a deux ans environ que j’ai commencé à les aimer mes poils. Je me suis retrouvée en voyage, sans épilateur, pendant plusieurs mois et j’ai donc laissé, par la force des choses, mes poils pousser en paix. C’est qu’avec des poils comme les miens, le rasoir ne fait pas partie des options si je ne veux pas avoir des repousses aussi abrasives que du papier sablé, que j’avais vraiment pas les moyens de me racheter un nouvel épilateur, et encore moins de rendre visite à un.e esthéticien.ne. Et comme ça faisait déjà un petit moment que je voulais apprendre à m’en foutre, mon mode de vie de nomade sans attache semblait être l’opportunité parfaite pour tenter l’expérience. Après quelques semaines à peine, j’étais donc plus poilue que jamais et ça me faisait beaucoup de bien. J’ai découvert la joie et la légèreté associées au fait de ne plus me soucier de ce que les gens peuvent bien penser de mon apparence. Je levais les bras sans me demander avant si mes aisselles étaient couvertes par mon chandail. Je me changeais sans gêne dans les dortoirs des auberges. Je me surprenais même à me flatter les aisselles quand j’étais seule avec mes pensées, de la même façon qu’un homme se triture la moustache ou la barbe en réfléchissant. (By the way, c’est vraiment doux des poils d’aisselles!)
Tout était maintenant tellement plus simple depuis que je ne me préoccupais plus de mes poils. Pas besoin de chercher le temps et la motivation de m’épiler. Pas besoin de guetter les repousses et les poils incarnés. Pas besoin d’essayer de me convaincre que ça fait pas si mal en fait pis que de toute façon faut souffrir pour être belle (bullshit!). J’étais enfin bien avec moi-même et avec mes poils. Maudit que c’était l’fun! J’étais de retour dans ma pub, fourrure en prime.
Alors depuis, je sors l’épilateur uniquement (ou presque) lorsque j’en ai envie, ce qui n’arrive vraiment pas souvent. Je porte des camisoles, des robes, des mini-shorts, des maillots de bain ou de la lingerie que je sois épilée ou non. Mais apparement, ça choque les gens que j’exhibe comme ça mon corps velu. En fait, ça choque surtout les femmes. Selon ma grand-mère, c’est parce que ça atteint les gens dans leur orgueil de leur montrer que tu réussis quelque chose qu’iels n’ont même pas le courage d’essayer. So, j’ai troqué les séances d’épilation contre les regards sombres de passantes et les remarques occasionnelles de ma mère, ma soeur, mes amies. Et quelques fois ça m’atteint plus que je ne le voudrais et je sors mon épilateur de sa cachette même si l’envie d’avoir les jambes lisses ne vient pas de moi. Comme quoi j’ai encore du chemin à parcourir avant de m’en foutre pour vrai.
Longue vie et prospérité à vos poils,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
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