***Lumière sur des femmes inspirantes du passé***
Recherche et rédaction : Maude Savaria – Historienne et archiviste (@msavacou)
Illustration : Charlie (@CharlieBourdeau)
Marie-Marguerite Duplessis-Radisson (vers 1718 ~ 1740?)
Marie-Marguerite Duplessis est une autochtone mise en esclavage en Nouvelle-France dès son enfance, connue comme étant la première esclave à contester son statut devant les tribunaux de la colonie. Elle a pavé la voie pour l’affranchissement des esclaves par les tribunaux.
Probablement née en Iowa vers 1718 sous un nom inconnu, Marguerite est prise comme prisonnière de guerre par la nation Winnebago. Après un rite initiatique où elle perd un œil – pratique de guerre autochtone commune à l’époque – elle est offerte par le chef, en 1726, à René Bourassa, un commerçant de fourrures, pour sceller leur alliance commerciale. Ce dernier offre Marguerite à la femme de son associé François Antoine Lefebre Duplessis Faber, Madeleine Coulon de Villiers, alors vivant à Montréal chez Étienne Volant de Radisson. Après les décès de Duplessis et Radisson, vers 1735, elle se retrouverait aux mains de Louis Fornel, un autre négociant maritime basé à Québec.
À la fin de l’été 1740, Marguerite est vendue ou donnée à Marc-Antoine Huart Dormicourt qui planifie l’envoyer en Martinique, où il possède une plantation de sucre. Il la fait emprisonner à Québec, sûrement pour l’empêcher de s’enfuir avant le départ du bateau; ce qui n’était pas tout à fait légal. C’est là qu’elle rencontre deux religieux qui engagent l’avocat Jacques Nouette pour la représenter : elle signe elle-même la procuration lui permettant de poursuivre Dormicourt pour son affranchissement.
L’audience commence le 4 octobre 1740 devant l’intendant Hocquart. Nouette avance plusieurs arguments : elle serait née libre d’une union libre entre une Autochtone et un Blanc; elle serait la fille illégitime de Duplessis Faber; en tant que Catholique, elle est une sujette libre du roi de France. Si les deux premiers constats sont difficilement prouvables, son certificat de baptême de 1730 ne répertorie pas de parents et la classe comme Panis*, le dernier s’appuie sur une cause d’affranchissement réussie en France deux ans auparavant. Nouette dénonce aussi l’emprisonnement sans accusation officielle de Marguerite, illégal selon la loi métropolitaine française.
Dormicourt ne peut non plus prouver l’achat de Marguerite par un acte de vente, mais il l’accuse d’être “une gueuse et une libertine, une voleuse, une ivrognesse » (rien de ceci n’est prouvé). L’intendant Hocquart, chargé de régler cette affaire, possède lui-même cinq esclaves et a l’ambition d’étendre le commerce des Panis* aux Antilles françaises. Il va sans dire qu’il se range du côté de Dormicourt.
Après le procès, nous ne savons pas ce qu’il advient de Marguerite. S’est-elle rendue jusqu’en Martinique? Impossible de savoir, mais sa résistance et sa résilience ont pavé la voie pour l’affranchissement de Charlotte Trim par les tribunaux un demi-siècle plus tard.
*Panis : Ce terme regroupe toutes les personnes autochtones qui sont originaires de régions très éloignées et mises en esclavage par le biais d’une vente ou d’un don via une nation alliée ou limitrophe. Selon l’ordonnance de l’intendant Raudot du 13 avril 1709, republiée par l’intendant Hocquart en 1733, il est interdit de mettre en esclavage des autochtones de ces nations alliées.
Pour aller plus loin :
Podcast Marguerite : la traversée par Émilie Monnet, Productions Onishka et Transistor Média.
Pièce Marguerite : le feu par Émilie Monnet et Productions Onishka, présentée à L’espace Go au printemps 2022.
Alexandra Havrylyshyn, Troublesome Trials in New France : The Itinerary of an Ancien Regime Legal Practitioner, 1740-1743, maîtrise en histoire, Université McGill, 2011.