Illustration : Alice (@halissss)
On pourrait dire que je suis tout l’inverse d’une personne timide. Dans une classe, je ne me gêne pas du tout pour répondre aux interrogations des professeur.e.s, donner mon avis ou encore poser des questions. Les présentations orales, j’adore. Parler devant un groupe ou en prendre le lead, même affaire. Donner mon opinion, participer à un débat, name it, je suis partante. Bref, je suis une personne qui prend ben de la place et qui aime ça être au centre de l’attention.
Pis si je me sentais obligée de faire cette description-là, de vous démontrer que vous avez affaire à une personne qui n’est pas tétanisée à l’idée de s’exprimer, c’est parce qu’à chaque fois que j’aborde le malaise dont je vais parler dans ce texte, on en fait une question de personnalité.
Je m’explique.
Bon, commençons avec une forme plus évidente et moins contestée de mon malaise. On dit souvent que les hommes prennent plus d’espace que les femmes dans l’espace public, et généralement, c’est assez facile à prouver. Plus d’hommes impliqués en politique, plus de chroniqueurs, plus de temps médiatique accordé aux hommes, etc. Pis quand tu tombes sur un hurluberlu qui croit naïvement que tu as tort, il y a énormément de statistiques pour démontrer que la réalité en est malheureusement ainsi.
Par contre, quand on se penche sur la sphère privée, aka, la vie de tous les jours, les gens ont toujours plus de misère à croire que la dynamique instaurée (soit que les hommes prennent plus de place que les femmes) c’est une question de société patriarcale plutôt qu’une simple question de personnalité.
Prenons un exemple tiré de ma vie privée à moi. J’ai une grande facilité à me lier d’amitié avec des gars. Un scénario du genre six gars et moi, en train de chiller, c’est normal. Mais, ces derniers temps, j’ai remarqué que lorsqu’on n’est pas en one on one, ou dans un petit groupe, je finis juste par m’effacer. Je les laisse parler et je me contente d’écouter.
Autre situation étrange, quand on est un nombre relativement égal de gars et de filles à chiller ensemble, au moment de discuter, ben, les gars prennent plus d’espace. Ils font beaucoup plus d’interventions, alimentent la discussion et pendant ce temps-là, ben les filles, elles sont en mode réaction : elles observent ou elles rient. Pis c’est pas que je leur en veux (aux garçons), au contraire. Ils sont drôles, pertinents, etc. Mais justement, je me faisais la réflexion fuck, pourquoi juste eux?
Pourtant, quand on est seules entre filles, ou encore quand il y a une minorité de gars présents, ben crime, les filles, elles parlent. Elles sont drôles en esti pis elles ont tellement de choses à dire. Comment ça se fait qu’elles ne participent pas dans les contextes paritaires ou majoritairement masculins, d’abord?
Mais quand je raconte toutes ces histoires, on me répond souvent des au pire dis juste whatever ce qui te passe par la tête, des sois aussi impulsive qu’eux, ou encore des laisse-toi aller, et évidemment la classique laisse tes craintes de côté! Comme si j’étais tétanisée par la peur ou genre coincée as fuck, comme si justement ce n’était qu’un problème de personnalité, et non de société. C’est comme si on rejetait la faute sur moi et mes amis (parce que je ne crois pas qu’ils aient eux non plus un plan diabolique pour prendre plus de place et faire en sorte que les femmes parlent moins) et qu’on ignorait la dynamique patriarcale dans laquelle on baigne toustes depuis notre enfance.
Mais quand on y pense, ça se pourrait tu que la dynamique inégale de l’espace public soit le produit de nos vies quotidiennes, et que le dit phénomène ne cesse de se reproduire? Pis là si je t’ai perdu dans la dernière phrase, ce que je veux dire c’est : ça se peut tu que le fait de voir constamment dans l’espace public les hommes prendre plus la parole que les femmes (voir le dernier débats des chef.fe.s où Manon Massé a beaucoup moins parlé que tous les autres chefs) fait en sorte qu’on est moins encouragées dans notre vie personnelle à prendre la parole? Bref,que la représentation médiatique inégale contribue à reproduire cette inégalité-là dans notre quotidien et que ce même quotidien participe lui aussi de cette reproduction? Comme un genre de cercle vicieux.
Pis admettons que t’as remarqué toi aussi cette même dynamique. Que tu te dis en lisant ces lignes que tu as vécu des expériences similaires toi aussi. Tu te fais probablement la même réflexion que moi, c’est-à-dire, maintenant que nous sommes conscient.e.s. de ce pattern social, comment fait-on pour le renverser?
D’abord, il faudrait peut-être commencer par nommer le phénomène. Je propose du « manspreading discursif », que je définirais comme un instinct généralement masculin à accaparer l’espace disponible à la conversation, voire à propager son discours le plus possible. Bref, il s’agirait d’une genre de pulsion intuitive de prendre la place qui pourrait pourtant être laissée à d’autres. En ayant un terme pour parler du phénomène, il deviendrait beaucoup plus facile de le dénoncer. Et si jamais tu es une chercheuse féministe, que tu lis ça, et que tu as déjà travaillé sur ce concept, pleaaaase écris-moi, et dis moi comment tu as appelé le concept.
Ensuite, je crois qu’il faut redoubler d’effort pour faire entendre la voix des femmes. Qu’on soit un homme ou une femme, dans une situation privée, il faudrait à mon avis donner la parole à une femme de manière volontaire. Pis toi Sarah, t’en penses quoi? Hey Jaïda, t’avais pas une super bonne histoire à ce sujet-là? Bon, peut être qu’on devrait parler d’autre chose que du hockey ou ben introduire plus Camille au monde des sports parce qu’elle ne peut pas placer un mot!
Pis finalement, pour ce qui est de l’espace public, pourquoi ne pas faire un effort pour penser à une femme compétente en premier lorsqu’on pense à inviter quelqu’un pour un podcast, pour commenter les nouvelles ou encore pour donner son opinion. On arriverait peut-être à rebalancer les choses?
Who knows?
Peace out,
Medusa
Médusa, étudiante en communication, dont les propos peuvent parfois être venimeux, n’a pas la langue dans sa poche. Provocante et animée par la sexualité, elle débat pour déconstruire l’image de la pute, de la vierge et de la mère.
Pour lire le dernier article de Médusa – Quand même chill pour une fille – c’est ici!