Illustration : Layloo (@mycrazycolouredmind)
Depuis deux ans, je travaille comme guide-animatrice. En gros, ma job, c’est de recevoir des groupes de 30-40-50 jeunes du secondaire qui arrivent des États-Unis pour visiter Québec et/ou Montréal pendant quelques jours, de les animer, de leur raconter ma culture, de tout coordonner, de m’assurer qu’on arrive à l’heure à toutes nos activités malgré les retardataires, les urgences-pipi, les tempêtes de neige et le trafic, de m’assurer que tout ce beau monde là est en sécurité ET qu’iels ont du FUN! Bref, une job avec beaucoup de responsabilités et de toutes autres tâches connexes. Pis c’est pas pour me vanter, mais je rock à ma job! Je suis objectivement très bonne à ce que je fais.
Dans les bus, les jeunes sont toujours accompagné.e.s de profs et de parents qui sont là pour m’aider avec la discipline, au besoin. Mais ultimement, c’est moi qui est en charge. Au début ça m’intimidait, mais maintenant j’ai pu vraiment de mal à m’imposer, à prendre ma place. Pis la grande majorité du temps, ça se passe super bien! Mais malgré tout, une fois de temps en temps, et c’est généralement quand le prof en charge du groupe est un homme, j’ai à me battre un peu plus pour la garder ma place.
Par exemple, des profs qui m’interrompent pendant que je parle au micro pour donner les consignes à ma place ou pour en rajouter, alors que je les avaient consulté.e.s juste avant de faire mon speech pour qu’on soit sur la même page, ou même qui essaient carrément de prendre le micro dans mes mains pendant que je parle, c’est des situations assez fréquentes.
Mais bon, ça c’est quand même des exemples assez frappants et straightforward de mansplainning, mais ce que j’avais envie d’aborder dans ce texte, c’est beaucoup plus insidieux, beaucoup plus subtile. Pis c’est aussi beaucoup plus tricky à critiquer, parce que ça part d’une bonne intention. Pis comme je sais pas comment appeler le phénomène dont je vais parler, je vais commencer par en donner un exemple.
Je suis à l’extérieur, dans un lieu public, disons juste devant le château Frontenac, avec mes 47 hypothétiques jeunes et leurs 6 hypothétiques chaps (adultes accompagnateur.trice.s). Je veux leur raconter une anecdote sur la statue de Samuel de Champlain, mais parce qu’il y a plein de monde, qu’il vente, que j’ai plus la voix-moyenne-de-Maman-Ourse que la grosse-voix-de-Papa-Ours (dans Boucle D’Or) et que je veux ménager ma voix pour me rendre jusqu’à la fin de la semaine, ben je fait appel à d’autres trucs que de juste m’époumoner pour attirer leur attention. Je commence par grimper sur un banc (ou autre, selon la disponibilité) – je mesure à peine 5’4″, c’est donc primordial pour que les personnes à l’arrière puissent me voir et m’entendre – et je leur enseigne un chant de ralliement. Des fois ça prend un peu de temps, surtout la première fois, mais ça fini toujours, je me répète, toujours, par marcher. Sauf que des fois, le head chap (et c’est généralement quand c’est un homme) a l’impression qu’il doit m’aider, que j’ai besoin de lui pour attirer l’attention du groupe et lâche une gros « HEY! » tonitruant de sa voix de Papa Ours. Pis évidemment, ça marche. Mieux, non. Mais définitivement plus vite que ma méthode.
Bon, comme je le disais plus tôt, c’est vraiment tricky de faire une critique de ce comportement, parce que c’est tellement bien intentionné! Mais le problème, c’est que ultimement, le message que ça envoie aux jeunes c’est que c’est ok de ne pas m’écouter moi, parce que quand ça va devenir vraiment important, Papa Ours va se manifester.
Faque ça fait genre 2 ans que je réfléchi à ça, pis j’ai récemment réalisé que c’est un modèle de dualité homme-femme auquel j’ai été confrontée toute ma vie. J’ai eu la chance de grandir dans une famille qui se foutait pas mal des rôles genrés traditionnels, mais ça reste que j’en ai côtoyé des familles hétéroparentales où la phrases si tu continues je vais aller chercher ton père constituait le summum du potentiel d’autorité de la mère sur ses enfants! Pis tsé, je suis aussi allée à l’école primaire, ce lieu étrange où tout est de taille réduite et où les seuls hommes sont généralement le directeur et le concierge. Faque là aussi m’a te dire que la visite chez le directeur sert souvent de menace quand la prof perd un peu le contrôle de sa classe.
Donc, comme je disais, ça fait genre 2 ans que je pense à ça pis que j’essaie de comprendre pourquoi ça me dérange tant que ça pis que chaque fois que j’en parle autour de moi, je me fait répondre quelque chose comme : ben là, Padmé, y’a des choses plus graves que ça dans la vie. Tsé, il voulait juste t’aider, y’a pas de mal à ça.
Ouain, ok, c’est vrai, y’a des choses plus graves que ça dans la vie. Y’a des filles qui se font exciser. Y’a des filles qui peuvent même pas y aller à l’école, y’a des femmes qui ont même pas la chance de pouvoir travailler. Y’en a même qui ont toujours pas le droit de voter! C’est vrai, je suis chanceuse comparée à elles. Mais ça reste qu’on l’a toujours pas atteint, l’égalité.
J’ai récemment lu un livre sur les différentes manifestations des inégalités entre les hommes et les femmes en milieu de travail, pis c’était fucking confrontant comme lecture, parce que c’est beaucoup plus complexe que je croyais comme situation. Ça prend racine beaucoup plus loin que je pensais. Il suffit pas juste de dire qu’on est égalitaire pour l’être vraiment, c’est tellement plus que juste une question de salaire.
Tsé, est-ce que, à force de toujours avoir été confronté.e.s à cette dualité des rôles durant notre enfance, est-ce que ça expliquerait en partie pourquoi on écoute moins les suggestions des femmes lors de réunions, qu’on leur donne moins crédit pour leurs idées et leur travail, qu’on leur donne moins de place aux postes de décision, mais aussi qu’elle prennent moins la parole, qu’elles s’imposent moins en réunions et dans des postes décisionnels, qu’elles se sentent moins légitime de réclamer le crédit qui leur est dû…? Est-ce que la prochaine étape pour faire exploser le plafond de verre ne serait pas de réformer complètement notre modèle social?
Bref, tout ça pour dire qu’entre toutes ces réflexions et mon expérience personnelle en tant que guide-animatrice, en charge de groupes de 30-40-50 personnes et qui doit régulièrement passer pendant quelques jours par-dessus l’autorité d’hommes qui auraient souvent l’âge d’être mon père, je me rends compte que la lutte est crissement pas finie! Faque roulez vos manches, attachez vos tuques, pis prenez votre place, vous la méritez!
Be fierce,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
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