Frédérique (@visagevolant)
On a toujours été trois dans notre relation. Lui, moi et la consommation. Celle qui auparavant nous avait lié.es était maintenant au cœur de tous nos points de tensions.
C’était difficile de savoir si je vivais avec un alcoolique, parce qu’il était pas la définition exacte de ce que je pensais que c’était, un alcoolique. C’était jamais celui qui gâchait les soirées, au contraire, elles commençaient pas avant qu’il soit arrivé. Il était pas méchant ou agressif quand il buvait, c’était plutôt quelqu’un d’aimant qui pouvait pas s’empêcher de me dire comment j’étais celle qui lui était destinée. Pas un jour de job qu’il a manqué même s’il était trop défoncé, pas un black-out ou vomissement qui l’a déconcerté. À plein de niveaux, il était fonctionnel.
Mais reste que pour lui, la modération avait jamais meilleur goût. Chaque fois qu’il me disait qu’il restait juste pour un verre après son shift en restauration, c’était jamais juste un verre. C’était pas rare qu’après des soirées de brosse, il revienne à dix heures le lendemain matin, ou qu’il revienne tout simplement pas. C’était pas rare non plus que j’aie aucune nouvelle de lui pendant plus de 24 heures et qu’il réapparaisse une fois qu’il avait besoin que j’aille le chercher. Et qui disait boisson, disait poudre dans le nez. Là, ça s’est réellement corsé. Que ce soit dans sa manière de banaliser sa consommation, l’impossibilité d’arrêter ou de se tempérer, les afters qui venaient inévitablement s’incruster, les questionnements identitaires qui venaient le cloîtrer dans sa psychée, ou la dépression de lendemain de veille avec laquelle il devait dealer. Jamais j’aurais pu me douter de cette emprise insidieuse que les substances avaient sur lui. Un vrai revirement de situation qui s’est installé sinueusement dans notre quotidien.
Lui, par contre, savait pertinemment qu’il avait un problème. Depuis longtemps, il apprivoisait les effets néfastes de cette sensation insoutenable d’être toujours à un fil d’exploser. Reste qu’il comprenait pas pourquoi il persistait à agir de la sorte, à se mettre contre lui-même. À jouer le rôle de M. Good Time avec ses ami.es, mais à alimenter son autodestruction en arrière scène. À s’oublier dès qu’il avait de la poudre dans le nez. À constamment être frustré de pas être en mesure de contrôler ses excès. À négliger notre relation, même si j’étais tout ce dont il avait rêvé. C’était plus fort que lui, qu’il disait. Sa seule solution quand il ressentait la pression, c’était de s’évader dans l’intensité qu’apportent les plaisirs éphémères. Parce que l’instant d’un moment, elle finissait par s’évaporer.
Quand il dérapait trop, il avait toujours honte et faisait tout pour se rattraper. Rentrer tôt, économiser, se ramasser, pas boire, pas sniffer, pas l’échapper. Coupait toutes sources de poison et s’efforçait d’être l’image de la perfection. Dans ces moments-là, j’étais celle qui portait le fruit du bonheur de mon prince charming boyfriend. Il affirmait avec ardeur l’amour qu’il portait pour moi, remerciait l’univers de m’avoir mis dans sa vie, célébrait notre vie à deux. Il tentait avec démesure de camoufler cette lourdeur constante qui pesait sur ses épaules. Celle qui s’infiltrait malicieusement dans sa tête pour lui crier qu’il serait jamais assez, que je méritais mieux que lui. La rechute était jamais bien loin, et l’impuissance associée à ça la rendait encore plus destructrice.
Tensions après conflits sur ses habitudes de consommation, notre relation est passée de la source de mon existence au canal de mes pires insécurités. Insécurité de pas l’avoir constamment à mes côtés, de le voir rester dans des partys même si moi j’en avais assez, de pas pouvoir m’endormir jusqu’à ce qu’il soit rentré, de le sentir s’éloigner. Insécurité de sentir son ton de voix changer, de se demander si cette semaine on allait encore se mettre à dos, de pas savoir quelle facette de mon chum j’allais avoir. Celui qui savait montrer ses fragilités ou celui qui se sentait constamment menacée. Un gamble qui me paralysait dans l’ambivalence de notre relation qui nous dépassait. Plus le temps avançait, moins on se comprenait.
Bien sûr, à l’époque, il portait tout le blâme sur lui, même si c’était loin d’être la réalité. Parce que de mon côté, j’ai jamais été en mesure de bien le supporter. Je pensais jamais devenir une version aussi conflictuelle de moi-même. Prise dans la frustration de me sentir moins importante que sa consommation. Portée par cette rage constante en moi de pas être en mesure de le contrôler, de pas pouvoir nous enfermer dans cette vision parfaite de ce qu’on aurait dû être, de ce qu’on pouvait être, de ce qu’on avait été. Je le détestais de pas écouter mes besoins ou de respecter mes limites, de toujours se mettre contre moi, de penser que je voulais être contre lui. Je l’haïssais de m’accuser de lui voler sa liberté. De dire que je jouais la victime, que j’étais incapable d’être sans lui, que j’étais needy, dépendante affective, remplie d’insécurités, tout le temps en train de voir ses mauvais côtés. Il voyait pas que la distance qui s’installait entre nous deux me terrifiait, que la solitude qu’il m’imposait me consumait.
Je l’ai aimé jusqu’à haïr tout ce qui nous était associé. Et ça, il le sentait. Je faisais tout pour lui faire comprendre que c’était de sa faute si on était pas à la hauteur de mes idéations. Que ce soit par des roulements d’yeux, des commentaires passifs-agressifs, du silent treatment, ou des accusations. Je lui répétais trop souvent que s’il m’aimait assez, il serait en mesure de se tempérer, d’arrêter de consommer. Mais, plus fort je criais, plus fort il s’imposait. Et à force de s’opposer à l’autre, la réalisation qu’on pouvait tout faire pour se saboter nous laissait de plus en plus figé.es. On est rapidement devenu des fantômes de notre relation ancienne. Les bons moments se faisant de plus en plus rares, et les cycles submersifs notre nouvelle norme – s’évader dans des soirées et se sentir frustré.es, se chicaner et s’ignorer, s’excuser intoxiqué.es et s’apaiser à moitié, se sentir dépassé.es et s’oublier, exploser et recommencer. Complètement consumé.es dans cette dynamique qui alimentait notre fin.
J’ai fini par le laisser, mais jamais réellement me détacher. Toujours bercée par l’espoir que notre situation pourrait changer. Je me suis souvent imaginé que la distance allait nous donner l’espace pour mieux se retrouver, que s’aimer ça allait être assez pour tout effacer. Même si en réalité je nous ai toujours pas pardonné de nous être infligé.es tous nos mauvais côtés. Je reste intertwined dans le paradoxe de notre codépendance – s’aimer, mais savoir tout aussi bien comment se blesser.