Illustration : Pénélope (@pennypancakes_038)
Êtes-vous un.e Little Monster ou un.e Swiftie ? Ou êtes-vous plus irritable dès que vous entendez parler de Lady Gaga ou Taylor Swift ? Êtes-vous plus un.e Arianator ou un membre de la Bey Hive ? Ou êtes-vous plus du genre à changer de playlist ASAP dès que vous entendez un vocal run de Ariana Grande ou Beyoncé ? Êtes-vous un.e Smiley, ou avez-vous roulé des yeux quand Miley Cyrus est entrée dans sa phase Wrecking Ball ?
Que vous fassiez partie de certains fandoms d’artistes ou que vous les détestiez en bloc, il est clair que les jeunes femmes issues de l’industrie de la teenage pop ont le dos large: peu importe leurs actions, elles sont critiquées et épiées par les médias, leurs haters et même parfois leur propre fans ! Et bien que le star système n’est pas clément avec qui que ce soit, le milieu artistique est vraiment plus brutal pour elles que pour leurs équivalents masculins. Plus les années avancent, plus je me rends compte de tout ce qu’on fait vivre à nos prétendues idoles…
Adolescente, je dois vous avouer je n’aimais AUCUNE pop star, hormis Avril Lavigne (parce que je la trouvais plus rock, I guess). Miley Cyrus? OU-ACHE. Beyoncé ? Eurk. Lady Gaga ? De la mauvaise musique de danse. Mais, au fil de mes réflexions, j’ai réalisé que mon dégoût envers certaines teenage pop stars avait été crissement alimenté par la manière dont les médias et les diktats de la société patriarcale les dépeignent.
Je vous propose de faire un tour des plus grands noms du moment et du traitement qu’on leur réserve. L’industrie de la musique pop est bel et bien ingrate et évoluer dans cet univers signifie souvent une seule chose pour les jeunes femmes qui s’y aventurent: se retrouver presque toujours au banc des accusé.e.s. Que les flèches décochées à leur endroit proviennent des médias, des fans ou des haters, les critiques portent toujours sur ce que j’appelle la Sainte Trinité des attaques : le talent, la gestion de la vie privée et l’apparence.
Miley Cyrus ou l’invalidation du talent
Tout récemment, je suis retombée sur le NPR Tiny Desk show de Miley Cyrus, sorti au mois de Janvier 2021. Au-delà de la qualité insane de la performance, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est le décor: Miley est couchée sur un lit, dans une chambre d’ado, mais quelque chose cloche. Les proportions de la chambre font de la jeune chanteuse une géante dans cet univers rose / mauve plein de posters. Et rien n’est laissé au hasard dans cette théâtrale mise en scène, comme le dévoile la description du vidéo. Le décor est supposé représenter la jeunesse de Miley et sa période Hannah Montana. Puis, au fil de la performance, la Miley mature sort tranquillement de cette chambre lilliputienne, tel un papillon qui sort de son cocon. Le message est clair : l’univers rose-bonbon, Miley la good-girl, tout ça était devenu trop contraignant. Une prison dorée, en somme.
J’ai voulu parler en premier de Miley Cyrus, parce que je lui dois des excuses. Durant plusieurs années, je n’ai pas compris le hype. Je disais ne pas aimer sa voix et son style, et ma misogynie intériorisée m’avait fait rouler les yeux en arrière de la tête quand elle avait twerké avec Robin Thicke aux VMA de 2013.
Mais la réalité est bien plus subtile.
Pour moi, Miley faisait partie intégrante de la pop culture. Et ça, c’est un détail très important, car les rapports qu’on entretient parfois avec ce qui est à la mode est teinté de pseudo-intellectualisme pédant. Notre conception de la culture pop est intrinsèquement liée au mépris que certain.es lui porte. En gros, hair ce qui appartient au domaine de la musique commerciale, c’est souvent se distancier du matérialisme et se donner une profondeur intellectuelle et artistique.
Autre conséquence importante de cette ligne de pensée: si on place une jeune artiste dans une posture de produit commercial et qu’on la conçoit comme le résultat de beeeen de la chance et du timing, on aura tendance à plus vite discréditer son talent. D’ailleurs, la jeune Cyrus semble constamment critiquée par les internautes pour ses performances vocales, et ce même si des experts s’entendent pour dire que sa technique est meilleure que la moyenne.
Donc, à 14 ans, Miley incarnait pour moi ce summum de conformité et d’accessibilité. Par un amalgame louche, cela me donnait donc le droit de la basher, car pop = médiocre. Dans ma tête d’ado (et dans la tête de bien des adultes encore à ce jour, oserais-je dire), son ascension au stardom ne pouvait qu’être le fruit d’une bonne dose de chance. N’importe qui aurait pu faire ce qu’elle faisait, tsé?
À la lumière de tout ce que j’ai appris durant mon adulescence, je me questionne : à 15 ans, est-ce que je haïssais vraiment, fondamentalement, Miley Cyrus ? Probablement pas. Mais le moussage médiatique et la polarisation des opinions dans les fanbases m’ont poussé à me camper dans une optique de I’m not like other girls, et donc de rejeter tout ce qui pouvait s’apparenter à de la pop planétaire. Le système a gagné, et j’ai passé toute mon adolescence à discréditer le travail de Miley Cyrus comme étant un mélange de chance et de facilité commerciale : son père étant déjà une figure artistique connue, la porte d’entrée du showbusiness était clairement déjà ouverte pour elle. Curieusement, face aux stars masculines du même genre, je m’insurgeais moins. Double standard, quand tu nous tiens…
Ariana Grande ou les émotions sous la loupe
Une autre enfant-star issue de l’écurie de talents Disney, Ariana Grande a la chance, elle, de ne jamais avoir eu son talent remis en cause. Ses prouesses vocales (son ambitus, sa capacité à projeter des notes aigues et ses runs à la Christina Aguilera) la mettent à l’abri de certaines critiques qu’on lançait à Miley. On ne peut nier le caractère impressionnant de ce qu’elle peut faire. Sur ce plan, Ariana est safe. Fiou ? Pantoute.
Quand on ne peut s’attaquer à tes aptitudes vocales et artistiques (le côté carrière), l’écrasante machine médiatique de consommation se met en marche pour trouver une autre faille: la vie privée et sentimentale. Depuis 2017, Ariana Grande est la victime d’une enquête exhaustive sur sa vie privée qui frôle le ridicule. Attention gang, on devient malaisés et on se met dans la peau de la chanteuse dans 3,2,1…
~ Vous êtes maintenant dans la peau d’Ariana Grande ~
-En Mai 2017, un attentat est commis en Angleterre durant un de tes concerts. 23 morts, 1000 blessés. Imagine-toi le traumatisme. Ça fesse.Tu souffres de PTSD et d’anxiété depuis cet événement.
-En Mai 2018,à peine un an plus tard, tu quittes une relation toxique et compliquée avec ton copain rappeur, Mac Miller. Ça devrait être positif, non ? Beeen non: deux semaines plus tard, il est impliqué dans un accident de voiture, sous l’effet de substances. On t’accuse sur Twitter: c’est de TA faute ! Tu l’as laissé ! Il est en peine d’amour ! On te shippe toute cette responsabilité inutile, comme si les actions d’un autre pouvaient être le résultat de tes choix de vie. Ça a même un nom ça, btw : le Yoko effect.
-En Septembre 2018, à peine quatre mois plus tard, le même ex / rappeur de tantôt est retrouvé mort d’une overdose. Tu encaisses la perte d’une personne qui a été signifiante pour toi malgré tout. Une armée de petits fans bornés et misogynes t’attaque encore. C’est la cerise sur le sundae. Là, c’est vrrrrrraiment ta faute.
– Quelques mois plus tard, tu mets fin à tes fiançailles avec ton plus récent copain, Pete Davidson. On te brand comme étant émotionnellement instable, romantiquement volatile, alouette.
– Finalement, quand tu te maries à Dalton Gomez en Mai 2021 après l’avoir fréquenté pratiquement incognito pendant quelques mois. On passe au peigne fin tes réseaux sociaux. On s’insurge de ne pas l’avoir su avant. On fait du voyeurisme pis on essaie à tout prix de tout savoir sur ton mariage intime. Pas de quartiers.
~ De retour à la réalité ~
Faque, c’est quoi la morale dans tout ça, hein ? Après avoir tellement shamé la pauvre chanteuse qu’elle a décidé de limiter le partage de sa vie privée, les fans-vautours et les médias-racailles s’arrachent le moindre petit détail de sa vie et crient à l’injustice. Tout ça après avoir invalidé son vécu, critiqué sa gestion de ses relations et lui avoir fait porter le chapeau des erreurs de son ex ?The bar is in hell, people. Basically, on instrumentalise le vécu et les émotions d’une jeune femme et on les retourne contre elle. Célibataire ou en couple, au fond, peu importe : quand tu es une femme dans le milieu de la musique, toutes les décisions personnelles que tu peux prendre seront inévitablement critiquées. Faire plaisir à tes fans, c’est s’attirer la haine de ses haters, mais aller à l’encontre des attentes de tes fans revient à se les mettre à dos, en plus de donner raison aux haters, et même si la haine ne surgit pas toujours du même groupe, faire carrière en musique signifie souvent n’être à l’abris d’aucun unsollicited advice. En bref, il y aura toujours quelqu’un.e, quelque part, pour te détester bien comme il faut. Damned if you do, damned if you don’t, comme y disent.
Billie Eilish ou la redevance de l’image
Devenue célèbre à 16 ans, le cas de Billie Eilish est un peu différent des autres girls dont j’ai parlé jusqu’à présent, en majeure partie dû au fait que tout ce qui entoure la production et le style de la jeune femme est très DIY. Son premier album faisait moins dans la pop industrielle, elle n’était pas une enfant issue du monde télévisé ou d’une grosse boîte comme Disney. Le fait que Eilish se place dans une posture plus fringe, plus indie, aurait dû faire de son parcours une histoire différente, n’est-ce pas ? Ben non.
Après avoir arboré un look vestimentaire différent de ses habitudes pour la couverture du magazine Vogue, la jeune artiste s’est retrouvée inondée de critiques par ses détracteurs et même ses fans sur les réseaux. De son habituel look décontracté aux couleurs sombres, Billie Eilish nous offre pour cette couverture de magazine des vêtements inspirés de la lingerie: c’est rose, c’est moulant, c’est révélateur. Ce qu’on lui reproche ? Avoir trahi son image. Trahi ses fans. En bref, selon ses fans et plusieurs médias, elle n’était plus authentique, et elle avait cédé à la pression conformiste.
Comme si, en se projetant dans des vêtements plus amples et une image moins léchée au début de sa carrière, Billie Eilish avait fait une promesse étrange à son public, soit celle de ne pas porter des vêtements révélateurs et mainstream. Une promesse qu’elle aurait maintenant démolie en une seule apparition médiatique hors de son look habituel.
Honnêtement, tout ça me donne envie de casser tous les index moralisateurs pointés vers une jeune femme de 18 ans qui ne doit à personne son image de marque ; que celui qui n’a jamais changé de coupe de cheveux ou de style vestimentaire à l’adolescence jette la première pierre! J’attends…
La réalité, c’est que Billie Eilish ne nous doit rien, et aucune pop star non plus! Iels ne nous doivent pas de continuer à créer de l’art dans une certaine veine, iels ne nous doivent pas une image, un clout, ou une constance pour mériter notre soutien. On peut aimer ou pas la musique d’un artiste, fine. Mais se sentir personnellement attaqué quand iels changent de direction artistique, c’est se donner des droits que nous n’avions jamais en premier lieu. L’argument de l’authenticité est une vue de l’esprit. Franchement, je trouve beaucoup plus crédible et authentique de voir une jeune femme expérimenter et sortir du moule. C’est tout à fait normal ! Je trouverais au contraire plus louche de la voir figée dans le temps, perméable aux changements évidents du passage de l’adolescence à la vie adulte.
Toute cette histoire, ça sent le body agency sélectif à plein nez. Les fans originaux de Billie Eilish ont souvent défendu son style décontracté en évoquant le laisser-vivre, le laisser-faire et le come as you are. Cependant, face à son nouveau look, certains membres de son fan club ont semblé oublier bien vite leurs beaux principes, et ça m’a fait sourciller en s’il-vous-plaît.
Au fond, ce que ses soi-disant fans et détracteurs lui reprochent réellement, ce n’est pas de ne plus être authentique. C’est de ne plus correspondre à l’image originelle qu’iels se sont fait d’elle. Et ça, si c’est pas l’histoire éternelle d’une vie en tant que femme, I don’t know what is.
J’aimerais aussi souligner que quand des artistes masculins effectuent un changement drastique ou un rebranding, on applaudit souvent leur incroyable capacité de renouvellement et leur versatilité (pensez à Harry Styles et sa métamorphose de gars-en-jeans-t-shirt-ben-straight à full on Elton John en robe, boa et boucles d’oreilles). Mais quand t’es une femme, ces mêmes actions te font passer pour une girouette, ou pire, une menteuse…
Olivia Rodrigo ou la Sainte Trinité des attaques
La plus récente sensation pop américaine à faire des vagues est sans conteste Olivia Rodrigo. À peine six mois après la sortie de son premier album ‘’Sour’’, la jeune artiste possède de 20 à 306 millions de vues sur ses chansons les plus populaires sur YouTube. Son influence sur les jeunes est telle qu’elle a été invitée à la Maison Blanche afin de rencontrer le président Biden et d’encourager les jeunes à se faire vacciner contre la Covid19. Tout ça, à 18 ans.
Avec Olivia Rodrigo, on a la Sainte Trinité des critiques typiques : le corps, le talent et l’identité. En effet, il suffit d’un court passage sur les réseaux sociaux de la chanteuse pour voir les nombreux commentaires liés à son corps. On lui reproche en particulier…sa maigreur. Ben oui ! Dans la cruelle industrie du visuel, il est bien important de ne pas être grosse (l’horreur!), mais tout aussi important de ne pas être trop maigre, faute de quoi on risque de se faire diagnostiquer un trouble anorexique par des experts autoproclamés sur les réseaux sociaux.
En ce qui concerne son talent et ses marqueurs identitaires, les piques à l’endroit de la jeune pop star sont surtout au niveau de l’originalité de son contenu et des thématiques de son album. Puisant dans sa rupture avec son collègue de la chaîne Disney, Olivia Rodrigo a en effet pondu un album complet sur la thématique du break-up. Au lieu d’être saluée pour son authenticité, la musicienne a fait remarquer, dans plusieurs entrevues, que ce choix était constamment infantilisé. La thématique de la rupture amoureuse serait-elle devenue trop commune ? Trop plate ? Trop prévisible ? C’est du moins ce que les critiques d’Olivia Rodrigo lui reprochent. C’est l’exemple parfait du double-standard des pop stars masculines et féminines:
quand une adolescente pond un (brillant) album complet sur les émotions, on fait la moue et on se désole de son manque d’inventivité. Quand une star comme Justin Bieber, équivalent masculin des teenage pop stars, sort single après single sur les mêmes sujets (pensons à ‘’STAY’’ ou ‘’Don’t go’’, deux chansons sorties dans la dernière année), personne ne s’insurge, personne n’en parle.
Bref, j’aurais aimé croire que l’époque des couvertures médiatiques trash et des fans-pitbulls était derrière nous. Que le traitement horrible à la Britney Spears circa 00’s et toute la bullshit anti-féministe qui vient avec avait fait place à plus de maturité émotionnelle de la part des fans, des consommateurs, des médias et tout le reste. Force est de constater qu’on y est pas encore.
Pis quand je vois à quel point les avis sont polarisés sur le talent et la pertinence de nos pop stars favorites, j’essaie de me rappeler qu’elles ne sont pour la plupart que des jeunes artistes qui doivent composer avec le paysage industriel qui leur est donné. La surmédiatisation de chacun de leurs faits et gestes, la comparaison maladive et leur infantilisation constante participent à ce climat toxique. L’histoire nous dira si on apprendra un jour à être plus tendres, plus conciliants, plus humains avec nos teenage pop stars… Mais pour le moment, ça fait pas mal dur.
Hildegarde
Artiste pluridisciplinaire et étudiante en enseignement de la musique, Hildegarde est aussi une experte en films de Disney et de Pixar. Préoccupée par le rôle des femmes dans les médias et la culture populaire, elle en fait un combat de tous les jours. Pour les fans d’Harry Potter, sachez qu’elle est Serdaigle de la tête aux pieds.