Illustration : @visagevolant
Chère jeune et maigre moi,
Ce sont de drôles années que ton corps traverse. Dernièrement, on dirait que tu pousses juste sur le long, et presque pas sur le large. Les autres autour de toi ont commencé à te le faire remarquer. Ça a commencé en 6e année, quand un des gars les plus populaires de l’école te disait t’as pas de boules et t’appelait Planche de plywood.
Une fois, aux glissades d’eau, deux garçons d’environ ton âge t’ont lancé une grosse roche dans le dos, et t’ont dit d’aller te cacher, parce que tu étais trop maigre. C’est aussi arrivé à quelques reprises que tu te sois fait traiter d’anorexique. Cette dernière remarque t’a particulièrement bouleversée, parce que du haut de ta jeune adolescence, tu as déjà compris qu’on essaie de s’en prendre à ton apparence en utilisant un trouble de santé mentale qui peut être dangereux pour la vie. Du moment où je t’écris, les troubles de santé mentale sont un peu moins stigmatisés et tabous, mais il reste encore beaucoup de chemin à faire pour qu’on ne s’en serve plus comme des insultes. En gros, c’est normal que ces épisodes t’aient écorchée, parce que ce que tu as vécu, c’est violent.
Tout ça t’a tellement fait espérer d’être un jour « normale » pour qu’on arrête enfin de s’en prendre à quelque chose que tu ne pourras jamais contrôler. Éventuellement, tes seins, tes fesses et tes hanches ont fini par pousser. Vers la fin de l’adolescence, lorsque le décalage de ta puberté tardive s’est estompé, ton corps est devenu un objet de convoitise et de désir. En dépit de cela, tu n’as pas été plus heureuse ni de ton corps ni dans la vie. Ça, c’est parce que tu pensais à tort que tu voulais qu’on apprécie ton apparence. Mais ce dont tu avais vraiment besoin, c’était qu’on t’apprécie pour qui tu es. Tu t’es rendu compte que l’acceptation sociale de la diversité corporelle des filles et des femmes progresse moins vite que ton propre corps. Et ton corps, lui, change moins vite que la pression exercée sur le corps des filles et des femmes. Partir en quête du corps tendance, c’est occuper ton énergie, ton esprit et même ton argent à autre chose que ce qui compte vraiment. C’est une bataille perdue d’avance, parce que tu ne pourras jamais ressembler à 100% aux tendances corporelles de l’heure. Heureusement, la toi d’aujourd’hui est ailleurs dans sa vie, et tu t’en portes bien.
En plus, ton corps, il est vraiment en bonne santé. Ton pédiatre te l’a dit, et tu as de l’énergie pour faire plein de choses qui comptent à ton âge : apprendre et t’investir dans des activités parascolaires, passer du temps avec tes amies et ta famille, pratiquer du sport (je repense à quel point tu es active et je me demande où tu puises toute cette vivacité!). Je sais que c’est difficile d’intégrer cette idée que ton apparence n’est pas si importante parce que tu veux qu’on t’apprécie, mais tu ne devrais pas laisser les autres te priver de cette pureté et de cette innocence que tu avais par rapport à ton corps. Tu ne pensais même pas au fait que tu es filiforme avant que les personnes troublées qui t’ont intimidée t’attirent dans leur misère, celle de passer leur temps à scruter les corps des autres parce qu’elles sont mal dans le leur.
Je n’ai pas envie de te dévoiler la surprise de ton futur, mais du moment où je t’écris, tu as une vie qui t’occupe et qui t’anime, tellement différente, mais un peu similaire à ce que tu vis de ton côté. Tu as des tonnes de raisons de te lever le matin : tu es entourée de personnes que tu aimes, ta vie est pleine de sens, tu as plein de projets qui te donnent à la fois espoir pour le futur et qui te font sentir ancrée dans le présent. Parmi toutes ces raisons de te lever le matin, aucune n’est reliée à la façon dont tu « devrais contrôler ton corps » pour qu’il ressemble à un idéal éphémère ou au regard que les autres portent sur ton apparence.
Bref, chère jeune et maigre moi, la future toi voulait juste te faire prendre conscience d’à quel point tu es mieux dans ta peau quand tu ne te soucies pas autant de ton apparence. Je sais que ça fait bizarre, de voir tout le monde se développer en 3D alors que tu fais juste grandir sur le long, mais il y a de l’espoir pour toi. Cet espoir, c’est de cultiver ton auto-compassion, c’est-à-dire ta capacité à être clémente avec toi-même alors que d’autres personnes ont tenté de te faire sentir inadéquate.
D’où je suis, je te serre fort dans mes bras. J’espère que tu ressens dans toute ton étroitesse et ta finesse, à quel point je suis remplie d’amour et de bienveillance pour ce que tu vis. Je le sais, ce n’est pas facile. Mais toi et moi, comme toutes les femmes et les filles, on mérite mieux que cette culture qui nous distrait de nos qualités, de nos forces et de ce qu’on peut apporter dans le monde.
Mystique
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