Illustration : Valérie (@val_bellefeuille)
Si vous avez une passion pour les films d’amour pour ados, je suis certaine que vous connaissez que trop bien le trope de la fille « laide » qui doit s’embellir pour conquérir le beau gars populaire.
Ça se traduisait apparemment, selon les films des années 90 et 2000, par le fait de raidir ses cheveux, de mettre des verres de contact et de troquer sa salopette pour une robe moulante. La morale de ces films n’était pas que les hommes hétéros devraient être moins superficiels et qu’ils devraient tomber amoureux des femmes pour leur personnalité plutôt que pour leur apparence. On leur disait surtout que les femmes doivent changer leur physique pour pouvoir adéquatement les attirer.
Pourtant, quand on inverse les rôles, des films où on donne la leçon aux femme sur l’importance de ne pas être superficielle et de prioriser la beauté intérieure en amour, … il y en a à la tonne. La Belle et la bête, Casse-Noisette, les films d’Adam Sandler, pour n’en nommer que quelques-uns. C’est toujours la même histoire ― celle d’une belle femme qui apprend à « aimer » un homme laid ou tout simplement médiocre. Cette fameuse leçon qu’on donne constamment aux femmes.
Et que doit faire le gars considéré laid pour conquérir la belle fille dans ces films? Je vous fais une p’tite liste non-exhaustive :
- la sauver d’un danger, dans lequel il l’a parfois mis à la base ;
- l’accompagner dans une série d’épreuves ;
- être gentil, mais aussi un peu manipulateur, ah pis harcelant quand même ;
- ou bien la kidnapper parce que son père a volé une fuckin’ rose dans son jardin alors qu’il est un riche bourgeois avec plein de roses (coucou la Belle et la bête !).
En regardant ça, tant qu’à moi, c’est facile de conclure que si la fille finit avec ce gars-là à la fin du film, c’est pas par amour. C’est surtout parce qu’elle se sent redevable envers lui ou qu’elle a un syndrome de Stockholm. Mais, est-ce que le fait que ça soit pas de l’amour, c’est vraiment important ? Pas pour le personnage masculin. Il a réussi à obtenir son trophée, c’est-à-dire la belle fille, et c’est tout ce qui compte.
En fait, le message envoyé aux hommes, c’est : « C’est pas grave si la fille que t’aimes ne retourne pas tes sentiments. » Parce que dans les films, t’as juste à la stalker, la harceler, lui dire que t’es un gentil garçon, que tu l’aimes beaucoup et qu’elle t’aime aussi (elle le sait juste pas encore), bref la convaincre qu’elle est la fille pour toi. Pis c’est sensé marcher…
Et j’ai un esti de problème avec ça. Parce qu’au final, les filles sont objectifiées dans cette situation. Et je parle pas d’une objectification sexuelle où on nous réduit à notre corps (quoique…). Je parle d’une objectification où nous, les femmes, on n’est pas perçues comme des êtres avec des besoins, des sentiments et des désirs qui nous sont propres. Que ce soient dans les films, les médias ou dans la vraie vie, on s’attend à ce que les femmes soient le reflet des besoins, des sentiments et des désirs des hommes.
Parce que KeVunE tombe amoureux de toi, ben nécessairement toi aussi tu dois l’être de lui. Et si tu l’es pas, ben tu fais pas d’efforts. Tu devrais lui donner une chance. C’est quoi ? Tu le trouves pas beau ? T’es ben superficiel. Kevune, c’t’un bon gars. Y a autre chose dans la vie que les dudes de 6 pieds pis des abdos, franchement. T’es trop picky, tu vas finir ta vie toute seule. Ou avec un douche bag qui va te traiter comme de la marde. Pis tu vas l’avoir cherché.
Je pense que j’ai pas besoin d’en rajouter. On a pas mal toutes déjà entendu ce genre de discours culpabilisant (qui va même jusqu’à justifier la violence conjugale). On est sensée se sentir mal de ne pas accepter d’être avec un dude qui nous intéresse pas. On peut pas avoir des sentiments et des émotions différents d’un gars. Sinon, c’est clairement fake et c’est nous le problème. On échoue à notre rôle de femme-objet sensée combler tous les petits désirs des Kevunes des alentours.
Et là, je parais très critique de la mentalité derrière ce trope, mais je m’y suis déjà conformé plus jeune. J’ai déjà daté des gars que j’aimais pas vraiment pour être la bonne fille qui leur donnait une chance. Je suis un bon exemple de ce qui arrive aux filles qui finissent par céder et accepter de dater le personnage principal dans les films. Par exemple, j’ai daté et même sorti avec des gars qui m’attiraient pas physiquement, parce que je voulais pas être la fille superficielle. Je me sens encore coupable quand je retourne pas les sentiments des gars amoureux de moi. Toute ma fuckin’ vie, j’ai priorisé les sentiments et les émotions des hommes autour de moi. J’ai jamais vraiment été en amour, et pourtant je suis sortie avec une couple de gars. Dont une relation qui a duré quelques années.
J’ai vraiment essayé de les aimer.
À la place, je suis devenue vulnérable à la manipulation et au contrôle de mes partenaires sur moi. Parce que j’étais jamais capable de ressentir la même chose que les gars que je datais, je mettais pas mes limites. Je les laissais me marcher dessus, parce que je me sentais coupable. Parce que j’avais l’impression d’être une mauvaise personne. Et je voulais tellement être la bonne fille, comme celle qu’on voit dans les films.
Le truc c’est que notre société est orientée vers les désirs, les émotions et les besoins relationnels des hommes blancs cis-hétéro. Et nous autres, on doit donner, donner, donner, jusqu’à ce qu’il nous reste plus rien. Moi, j’ai donné en tabarnak. Et sais-tu quoi, aucun des gars à qui j’ai donné ont été reconnaissants, parce que pour eux, c’était un dû.
Mais bon, assez parler des gars. Parlons de mes besoins relationnels. À moi, pis à nous toustes.
Maintenant, je sais qu’on mérite toustes une personne envers qui on est attiré.e physiquement. On mérite une personne envers qui on est attiré.e romantiquement. On mérite une personne intéressante qui est capable de nous écouter et de nous poser des questions sur nous (genre pas un dude qui pense qu’une conversation, c’est un espace pour raconter son autobiographie non-stop). Aussi, on mérite une personne qui respecte nos limites et qui valide nos émotions. Et on mérite une personne qui est capable de s’excuser sans dire « Je m’excuse que tu l’aies vécu de même », alors que réellement elle sous-entend : c’est ta faute de l’avoir vécu de même, parce que moi je suis une personne irréprochable et là c’est ton cue pour que tu te sentes mal d’avoir insinué que je fais des erreurs ».
Honnêtement, c’est juste la base et ça fait zéro de nous des personnes superficielles ou trop demandantes. Pis, pour ma part, j’ai tellement passé ma vie à vouloir plaire aux gars et à jouer le rôle de la bonne fille… Et là, je me retrouve à presque 23 ans, à réaliser que je suis même pas attirée romantiquement envers les gars. Pis à quelques mois après mes coming-out comme bisexuelle, je suis en train de me questionner sur mon attirance physique envers les gars… J’ai l’impression d’avoir été pendant toutes ces années sur le mode autopilote, pis là soudainement, je change pour le mode manuel (aucune idée si c’est une bonne métaphore, j’ai pas mon permis, hahah).
Pour une fois, je me permets d’explorer mes désirs en dehors de ce que la société attend de moi. Je reprends peu à peu mon pouvoir. Je suis enfin réveillée. C’est insécurisant, c’est plein de questionnements, mais c’est ma vie.
C’est enfin moi le personnage principal du film de ma vie. Moi. Pas les dudes intéressés à moi. Eux, ils font plus partie du casting.
Daria
Étudiante en relation d’aide, Daria change de couleur de cheveux plus souvent qu’elle renouvelle sa passe d’autobus. Elle a soif de justice sociale et d’équité entre toustes en plus d’être drivée par les concepts de charges sexuelle et émotionnelle des femmes (cis ET trans). P.S. : sa Totally Spies préf, c’est Clover.