Illustration : Garance (@garancebb)
Saviez-vous que tout récemment, une artiste montréalaise de la scène underground, Backxwash, a gagné le prestigieux prix Polaris (notre équivalent canadien des Grammys, genre)? Un prix qui, par les années passées, avait eu un effet considérable sur le nombre d’auditeurs mensuels sur les plateformes d’écoute en ligne comme Spotify. Mais quand on consulte à ce jour le nombre d’abonnés de Backxwash sur Spotify, on ne remarque pas une explosion aussi fulgurante de sa popularité. Hasard, ou manque de talent ? Ni l’un ni l’autre! Il semblerait bien que pour les femmes, le chemin soit long avant d’atteindre la reconnaissance sur les plateformes d’écoute en ligne. Le manque de représentation et le gap de popularité des musiciennes femmes sur ces plateformes ne sont pas uniquement dû.e.s à la longévité de la carrière ou le manque de talent : le problème de la parité dans notre Spotify, c’est crissement plus gros qu’on pourrait le penser.
Si on observe nos comportements de consommateurs de musique, on se rend vite compte qu’on est loin d’être équitables… Car pour la grande majorité d’entre nous, la balance penche encore et toujours en faveur des artistes masculins. Le phénomène est international et transcende toutes les barrières de genres musicaux. Depuis leur invention, les algorithmes de lecture aléatoire, les playlists auto-générées et les compilations de Top 40, Top 100, Top 200, désavantagent les femmes.
Même qu’en 2017, le problème de la représentation des femmes était tellement flagrant que Spotify a créé une application temporaire en collaboration avec la compagnie de vodka Smirnoff. Le but de cette nouvelle application Smirnoff X Spotify était de permettre aux utilisateurs de la plateforme de calculer leur pourcentage d’artistes féminines dans l’ensemble de leur bibliothèque (les artistes suivies, et celles dans les playlists likées).
Les résultats ?
Sur un échantillon de 5 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices, ceux s’identifiant comme des hommes écoutaient à 94,2% d’artistes masculins, contre 3,3% d’artistes féminines. Pour les auditrices, ce pourcentage s’élevait à 55% d’artistes masculins pour 30,8% d’artistes féminines.
Personnellement, ma réaction initiale à ces données m’a fait l’effet d’un coup de pelle dans la face. Immédiatement, j’ai pris le « test Smirnoff ». No way que JE vais tomber dans ces chiffres-là. Pfff. Je suis musicienne. Je suis féministe. Pas moi. Ahem… Bon. J’ai eu 38-39% d’artistes féminines. Mieux que la moyenne, certes, mais loin d’être aussi glorieusement paritaire que je l’aurais pensé. Et ça mes ami.e.s, ça m’a mis le feu au cul! Je me suis lancée dans une grande croisade intersectionnelle musicale! J’ai pris mes 4-5 genres favoris et j’ai passé des heures à googler « female artistes in xyz », ou encore « black classical artists ».
Je pensais un peu, à la défense de ma conscience, que si je n’écoutais pas tant de musiciennes femmes, c’était parce que mes genres de choix avaient une histoire d’exclusion féminine assez forte. Ce n’était pas de ma faute si le rap, le jazz et le rock avaient une longue tradition sexiste, right? J’avais tort. J’avais tellement tort. Mes recherches google ne mentaient pas : les artistes s’identifiant comme des femmes étaient là, devant moi, étalées comme une grande tapisserie de mon ignorance. Elles sont parfois moins nombreuses dans certains genres, certes. La plupart du temps moins connues, certes. Mais elles sont bien là, vivantes, créatrices, ingénieuses et libérées.
Les exemples issus de mon parcours personnel pleuvent : J’étudais au Cégep dans un programme jazz, donc je connaissais John Coltrane, mais je n’avais jamais remarqué à quel point sa femme, Alice Coltrane, avait des choses à dire sur le plan artistique. Pour moi, cette artiste que j’adore aujourd’hui à été une victime de l’effacement des femmes en musique : je n’avais jamais pris le temps d’écouter ses albums. Elle était juste la femme de…
Mon adolescence passée à aduler Radiohead, Tame Impala et Foals m’ont parfois fait oublier que sur la route du rock-indie, il y avait Feist, Stealing Sheep et Cat Power qui faisaient également partie de cette scène dans les mêmes années.
Mon début de vingtaine à Montréal, en concordance avec ma découverte tardive du rap, se passait au son de LLA, Kendrick Lamar et Soweto Kinch. J’aimais la force des textes pis l’irrévérence de la chose. J’ai encore oublié que le feu et la force ne sont pas des traits exclusifs aux hommes. J’ai ENCORE passé à côté du message que m’aurait gueulé Strange Froots et Malika Tirolien sur la pièce « Afro Punkass ».
Souvent, l’argument que j’entends le plus de la part de celleux qui ronchonnent contre ma croisade musico-paritaire, c’est ouin mais c’est pas ma faute, je vais quand même pas me forcer à écouter des bands de femmes, non?
Euh, oui? Un peu, au moins?
S’il existe un Test de Bechdel pour le cinéma, pourquoi pas pour la musique? Si l’on reconnaît que les femmes ont été historiquement désavantagées en musique, pourquoi ne pas activement travailler à un juste retour du balancier? Au dernière nouvelles, la Terre est toujours ben peuplée de 49,5% de femmes, non? Si l’on souhaite une représentation juste, diverse et riche de notre culture télévisuelle, politique et sociale, pourquoi pas dans les autres sphères artistiques comme la musique? Et ça ne nous empêche pas non plus de critiquer les grandes institutions autant qu’on veut au passage…
Looking at you, Spotify et vos algorithmes désavantageant encore les femmes malgré les quelques initiatives prises dans les dernières années : un pas dans la bonne direction, c’est un début, pas une finalité… Looking at you, studios d’enregistrements à 98% masculins qui agissent comme s’il n’existait pas de femmes productrices. Looking at you, les geeks du gear de l’industrie qui ont encore des idées aussi brillantes que de nommer une pédale de guitare le « Pussy melter ». Looking at you, les techniciens de son qui pensent que toutes les filles traînant une guitare ou un drum qui passent la porte du bar sont « les blondes de…». Looking at you, maisons de prod qui signent uniquement des artistes masculins, quand ce n’est pas carrément leurs patrons qui sont des êtres tout croche (la saga Dare to Care, anyone?)… Cependant le changement commence souvent par une introspection et une modification de notre propre comportement à nous, en tant que consommateur.trices de musique. Ça peut avoir l’air drastique mon affaire, mais j’y crois. Encore faut-il convaincre celleux qui pensent que la parité est un méchant complot anti-hommes qui vise à faire tabula rasa sur l’histoire de l’humanité…
L’argumentaire en défaveur de la parité, quelle qu’elle soit, tourne souvent autour de la qualité. La maudite qualité qu’on a toujours curieusement peur de perdre en augmentant son « ratio féminin ». Ok mais genre…si je me force à écouter plus de femmes, juste parce qu’elles sont des femmes, j’vais devoir me forcer à aimer des groupes moins bons? Parce que y’a une moins grande sélection, tsé? J’veux dire, parce que ya moins de femme en musique, c’est normal.
Ah, ce discours classique ! Mais laissez-moi rassurer les pauvres gardien.ne.s de la qualité musicale qui craignent devoir déployer un effort quasi insoutenable pour trouver des groupes féminins compétents. Oui, il y a moins de femmes œuvrant en musique dans certains genres. Bonne chance pour trouver une pléthore de femmes faisant du Deathcore, on s’entend, ok? Ok.
Mais là où il faut tendre l’oreille et rentrer dans le tas, c’est quand le fameux parallèle qualité / femme se dessine! Comme si augmenter son ratio de femmes équivaudrait automatiquement à baisser ses attentes… Menute papillon! Cette crainte de la femme, déguisée sous une préoccupation pour la qualité du contenu, est vieille comme le monde : on la retrouve partout où on tente d’imposer des quotas. Il n’existe aucune preuve à ce jour qu’en augmentant la pluralité des perspectives (sous-entendu : laisser plus de places aux femmes, aux personnes issues de minorités ethniques ou culturelles, aux personnes de la communauté LGBTQIA2+), on perd en qualité de contenu. C’est un argument fondé sur la peur, souvent formulé par des hommes s’agrippant au status quo comme si leur vie en dépendait, comme si en partageant le spotlight, les hommes seraient soudainement désavantagés, moins privilégiés.
Bref, depuis trois ans, date à laquelle j’ai eu mon fameux wake-up call, mon portrait de consommatrice Spotify a drastiquement changé : il est moins blanc, il est moins eurocentriste, il est moins commercial et il est surtout beaucoup, beaucoup, plus représentatif du monde dans lequel on vit. Ma grande croisade musico-féministe est constante, mais j’en récolte le fruit à toutes les fois où je mets mes écouteurs dans le métro, press play et me dit criss que c’est bon.
Je vous encourage fortement à observer vos habitudes d’écoute musicale. Faites votre propre portrait. Que voyez-vous? Les chances sont que, tout comme moi il y a quelques années, une majorité écrasante de la musique que vous écoutez soit interprétée par des hommes.
Pis vous, comment se porte la parité dans votre Spotify? Très bien, correct, désert féminin?
Pour celleux qui ne sauraient pas par où commencer, voici ma shortlist d’artistes du moment : 100% femmes ou personnes non-binaires, 100% scène underground-ish, 100% québécoise (bonus), et triées par genre. On se lance à go, ok? GO !
Suggestions d’artistes à écouter :
Rap/hip-hop/soul
Modlee
Bad Nylon
KAYTA
Strange Froots
Backxwash (fallait ben, tsé)
Anachnid
Rock
NOBRO
Kathia Rock
Les Shirley
Folk/ Indie
Andromède
Bayta
Eve Parker Finley
Kanen
Hidegarde
Artiste pluridisciplinaire et étudiante en enseignement de la musique, Hildegarde est aussi une experte en films de Disney et de Pixar. Préoccupée par le rôle des femmes dans les médias et la culture populaire, elle en fait un combat de tous les jours. Pour les fans d’Harry Potter, sachez qu’elle est Serdaigle de la tête aux pieds.
Pour lire le dernier article de Hildegarde – (RE)METTRE MON EX AUX VIDANGES – c’est ici!