Illustration : Garance (@garancebb)
Je me rappelle de la première fois que j’ai embrassé un garçon. On était dans un corridor de notre polyvalente, à côté de mon casier. J’avais 14 ans. La cloche a sonné et ça s’est fini là. J’ai appris quelques années plus tard qu’il était gai.
Je me rappelle de mes premières règles. J’avais 14 ans (Ben oui, j’ai commencé à être une vraie femme bien longtemps après toutes mes amies. Je peux vous dire que j’avais hâte que ça arrive!). J’étais au restaurant avec mes parents et ma soeur pour fêter la fin de l’année scolaire. Je partais le lendemain pour 5 semaines chez mon oncle aux États-Unis. Je n’en ai parlé à ma mère qu’une fois en route pour l’aéroport.
Je me souviens de mon premier french. 14 ans encore. Sur la plage, les pieds dans les vagues, au clair de lune. Le cadre était parfait, pourtant je n’en garde pas un très bon souvenir et ça m’a pris un moment par la suite pour aimer embrasser avec la langue. Comme quoi le romantisme de la scène ne garantit pas la réussite de l’acte.
C’était aussi la première fois qu’un garçon touchait à mes seins et, malgré les plusieurs couches de vêtement qui s’interposaient entre la peau de sa main et celle de ma poitrine, il y avait des feux d’artifices dans le bas de mon ventre.
J’ai ensuite attendu mes 16 ans avant de mettre les mains sur un pénis. La première fois c’était avec mon copain de l’époque. Sous la couette, devant la télé, avec sa mère assise dans le divan d’à côté.
Je ne me souviens pas de la première fois que j’ai vu un pénis par contre. Ni de ma première fellation. Je fais une sorte de blocage et même encore aujourd’hui je n’arrive pas à regarder la bête en face.
Je ne me souviens pas très bien de ma première fois non plus. Je me rappelle vaguement qu’on était chez mes parents et qu’environ 2 mois s’étaient écoulés depuis mon premier contact avec sa verge. Pour la énième fois depuis quelques semaines, j’avais décidé durant la journée que c’était ce soir-là que ça se passerait. Ça n’a pas abouti. Mon vagin était trop tendu, la pénétration n’a pas réussi. J’ai pleuré. Je culpabilisais.
Je ne me rappelle pas très bien d’aucun des quelques autres rapports que j’ai eu avec lui d’ailleurs.
J’ai toutefois un souvenir très précis de la première fois (et de la 2e, et de la 3e, et de la 4e…) que je me suis sentie comme un objet. Toutes ces fois où il me pénétrait, faisait ce qu’il avait à faire et me laissait seule dans la pièce une fois qu’il s’était vidé les couilles. Comme si l’acte sexuel se résumait à une éjaculation masculine. Comme si, une fois qu’il était venu, c’était terminé, il n’y avait plus rien à faire. Il avait obtenu ce qu’il voulait de mon corps et n’avait donc plus besoin de me donner de l’attention. Comme si son plaisir était plus important que le mien. Ben, je vais vous dire, ça laisse des traces. Encore aujourd’hui, même si je sais que mon plaisir est important, je suis à chaque fois déstabilisée lorsqu’un homme s’en soucit.
Je me souviens clairement de mon premier examen gynécologique, à 16 ans. J’étais terriblement gênée, je n’arrêtais pas de descendre mon chandail sur mes hanches. Comme si ça pouvait empêcher le docteur de voir ma vulve! Je n’osais pas approcher mon bassin du bout de la table où le médecin m’attendait avec sa gigantesque lampe. Avec ça, c’était certain qu’il allait tout voir! Il me faisait la conversation alors qu’il avait la face entre mes jambes écartées, puis les doigts dans mon vagin et j’avais juste hâte de pouvoir me rhabiller et partir.
J’ai un bon souvenir de la première fois, à 17 ans, que je me suis vraiment sentie désirée par un partenaire. C’était avec un ami, à la fin d’une soirée. On s’est revu quelques fois par la suite quand on avait besoin de tendresse. Ça faisait tellement de bien à mon estime.
Je me rappelle bien de mon premier rendez-vous de rééducation périnéale*. J’avais 18 ans et c’était la première fois qu’une femme mettait ses doigts dans mon vagin. Je connaissais ma physiothérapeute depuis déjà deux ans et j’étais un peu mal à l’aise au début (suivre ce lien pour plus de détails sur mon expérience). Mais ça en a valu 1000 fois la peine, car c’est après mes quelques semaines de traitements que j’ai eu ma première pénétration sans douleur.
Je m’en souviens extrêmement bien, c’était la première fois que je faisais l’amour et que je n’avais pas mal. J’avais 18 ans, il en avait le double et il me faisait enfin me sentir comme une femme. Quand il me regardait, il ne voyait pas que mon corps, il me voyait moi. Avec lui, j’étais finalement importante, mon plaisir était aussi important que le sien. On faisait l’amour et j’existais encore à ses yeux. Deux ans après avoir perdu ma sacro-sainte virginité, c’était toute une première! Ma meilleure expérience en fait. Et pourtant, il n’y avait pas de chandelles pour tamiser l’atmosphère de ma chambre, pas de musique pour donner l’ambiance, pas de courant d’air pour faire théâtralement virevolter les rideaux. Il y avait juste lui et moi et l’attention qu’on se donnait l’un.e à l’autre. C’est tout, pas besoin de plus.
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Des premières fois, on en vit régulièrement, presque à tous les jours. Certaines sont mémorables alors que d’autres sont sitôt vécues sitôt oubliées et d’autres encore passent inaperçues. Certaines représentent des expériences positives, valorisantes, enrichissantes; d’autres sont plutôt désagréables ou ennuyantes. Certaines se prévoient, s’anticipent, s’appréhendent. D’autres surprennent ou s’improvisent, s’ancrent solidement dans l’instant présent.
Des premières fois, on en vivra tout au long de notre vie. Alors pourquoi accordons-nous autant d’importance à la première relation sexuelle (ou plutôt à la première pénétration vaginale par un pénis)?
Qu’en est-il des homosexuel.le.s? Et des victimes d’agressions sexuelles? Et des jeunes filles qui se font reconstruire l’hymen pour être bonnes à marier? À quel moment perdent-iels leur virginité? À leur première pénétration? Même quand ça n’a pas de sens?!
Et si on décidait qu’on s’en fout? Et si on pouvait chacun.e décider par soi-même l’expérience qu’on voudrait bien considérer comme notre première fois? Parce qu’à mettre la première pénétration sur un piédestal comme nous le faisons présentement, non seulement nous dénigrons toutes les autres pratiques sexuelles, mais nous entretenons également le mythe de la première – fois – merveilleuse – dont – on – se – rappelle – toute – sa – vie – tellement – l’ambiance – était – romantique – grâce – aux – innombrables – chandelles.
Padmé
* La rééducation périnéale est une branche de la physiothérapie qui vise à renforcer et/ou assouplir les muscles du plancher pelvien (muscles qui soutiennent les organes génitaux et qui contrôlent l’ouverture de l’urètre, du vagin et de l’anus).
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Sois belle et tais-toi! – c’est ici!
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