Illustration : Éliane (@lily364)
Je me souviens d’une conversation banale lors d’un souper de famille. C’était il y a quelques années, alors que j’étais au début de ma première année de secondaire. Je racontais à mon père comment j’étais surprise de voir autant de filles s’asseoir sur les bancs et ne pas participer au cours d’éducation physique.
Ben oui, moi qui faisais de la gymnastique compétitive depuis plusieurs années et qui adorais le sport, rester assis.e durant la période faite pour bouger me semblait aussi incongru que de manger d’la crème glacée dehors sur une terrasse à -20 durant l’hiver.
Pis là, mon père m’avait fait une confidence. Lui, quand il était au secondaire, il aimait pas les filles qui disaient qu’elles avaient leurs règles pour attendre sur le banc et ne pas participer. Ça lui tapait sur les nerfs.
Depuis ce moment-là, j’ai toujours eu une perception très négative des filles qui restaient assises sur le banc en éduc. Je pourrais même aller jusqu’à dire que je les méprisais. Rétrospectivement, je crois que je les détestais d’avoir l’air faible, de rendre notre « gang », a.k.a. les filles, moins cool que celle des gars.
Quand j’ai commencé à avoir des douleurs au ventre et au bas du dos lorsque j’étais dans ma semaine, pour m’assurer de ne pas faire partie de la « gang des faibles », je continuais à faire du sport, à courir dans le gymnase, alors que, en vrai, la seule chose dont j’avais envie c’était de me coucher en boule dans mon lit et d’attendre que ça passe.
Et en vieillissant, mes douleurs menstruelles se sont empirées. La douleur était de plus en plus intense. C’était une douleur qui me coupait le souffle, qui m’empêchait de me concentrer et qui venait par vagues. Sauf que, guess what? Je n’arrêtais pas mes activités pour autant. J’allais en cours, j’allais nager, j’allais travailler, même si c’était la dernière chose dont j’avais envie.
Incroyable, non?
C’est vraiment à ce moment-là que j’ai commencé à avoir de l’empathie pour les filles sur les bancs en éduc. Avec mes douleurs chroniques qui étaient de plus en plus stridentes, j’ai commencé à les commenter, à les partager avec les autres, à m’en plaindre. Et tristement, plusieurs personnes dans mon entourage ne me croyaient pas. Ironiquement, plusieurs femmes aussi. Franchement, as-tu vraiment mal au point de te rouler en boule? Arrête d’exagérer, pis travaille! Crime, tu vas pas manquer de l’école pour un p’tit mal de ventre? C’était ça ou ben les yeux qui se levaient automatiquement au ciel et / ou les soupirs d’exaspération.
Pis je peux pas croire que j’ai été un jour aussi insensible et méprisante face à d’autres femmes qui souffraient. Tout ça pour quoi au juste? Pour avoir l’air meilleure que les autres? Pour me distinguer? Pour me donner l’impression que j’étais différente? Pour chercher l’approbation de mes comparses masculins?
Mais pourquoi, dans une société comme la nôtre, on assiste à tant de réactions hostiles à des douleurs qui elles, sont tout à fait réelles? Parce que ça dérange. Ça dérange l’ordre établi, celui qui nous dit qu’il faut constamment être productif.ve.s. Pis si oui, ok, une fois de temps en temps, on est malade, on a un rhume ou on fait de la fièvre, les gens autour de nous, la société, nous le pardonne. C’est correct parce que c’est une situation exceptionnelle. Prends-toi une journée ou deux off, repose-toi, coule-toi un bain avec des huiles essentielles, prends soin de toi, pis tu nous reviendras en forme. L’affaire avec les douleurs menstruelles, c’est que ce sont des douleurs qui reviennent à tous les mois. Pis ça énerve les gens.
Et à force d’en parler, je me rends compte qu’il y a énormément de femmes et de filles qui en souffrent autour de moi. À des degrés et des fréquences différentes, bien évidemment. Mais je rêve d’un monde où on en parle plus et où on en parle mieux.
Qu’on ne considère pas ça comme une faiblesse, mais une condition, un peu comme les allergies. Ouin, je suis vraiment désolée, je ne pourrai pas être là ce soir, mes crampes menstruelles me font vraiment trop mal. Qu’on puisse se partager librement nos trucs pour réduire les douleurs. Ah ouin, la masturbation? Oui, ça peut être un peu désagréable au départ, mais l’orgasme fait en sorte que tu te détends vraiment et que la douleur diminue. Ah ben! Moi j’aime ben ça mettre des bouillottes d’eau chaude et boire de la camomille. Qu’on reconnaisse la douleur des femmes et qu’on adapte les milieux de travail en fonction de cette condition-là.
Et surtout, je rêve d’un monde où l’on ne considérerait JAMAIS les personnes qui souffrent comme des personnes faibles et fainéantes.
Peace out,
Médusa
Médusa, étudiante en communication, dont les propos peuvent parfois être venimeux, n’a pas la langue dans sa poche. Provocante et animée par la sexualité, elle débat pour déconstruire l’image de la pute, de la vierge et de la mère.
Pour lire le dernier article de Médusa – Demi-dieu des orgasmes – c’est ici!
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