Illustration : Garance (@garancebb)
En ce moment, y’a trois bulles rouges sur mon cell, dans deux apps différentes : un sur mes messages textes, le reste sur Messenger. Je le sais c’est quoi même si je l’évite. C’est trois hommes qui m’ont écrit y’a des jours, voire des semaines. C’est pas un weird flex promis ok, c’est vraiment une source d’anxiété. C’est beeeaucoup moins révélateur de ma capacité de plaire que de mon manque de courage. Ma gêne, ma peur de décevoir, ma peur d’être seule, mon stress de m’affirmer.
Je t’explique la ligne du temps. Août 2018 : je découvre ma libido, tout change, je download Tinder, je me booke quatre dates, let’s go. Y’en a une qui colle. Gars numéro 1. On s’entend bien, on s’attire mutuellement, nice. On commence une relation bien bien simple, on se voit que la nuit (tu vois le genre).
Septembre 2018 : gros contrat professionnel. Je dis bien franchement au Gars numéro 1 que j’aurais pu le temps pour se voir. Pas de mal de son bord. Une fois le contrat fini, j’ai même pas le temps de le texter que je me mets à voir un autre gars, une connaissance, d’un œil différent. Quelques semaines de messages flirty plus tard, on se met à se voir presque tous les jours. Gars numéro 2. Six mois plus tard, rendu en avril, il me laisse. J’étais tombée amoureuse pendant ce temps-là, pas lui… Plate de même.
Juin 2019 : j’ai attendu quelque temps pour remettre mon coeur en place. Je retexte Gars numéro 1. On retrouve nos habitudes. Belles conversations, bonne musique, bon sexe, pas plus compliqué que ça.
Quelques mois passent, d’autres personnes entre-temps, rien qui reste. Quand la pandémie arrive en mars 2020, je venais tout juste de me faire à l’idée que les relations juste sexuelles, j’étais un peu tannée. C’est bien là, mais je souhaitais… Tomber en amour, bon.
Juillet 2020 : l’été permet les dates dehors. Je prends mes vacances de job et je saisis l’occasion. Je retourne sur les apps de rencontre, je me mets à swiper et à liker. Je rencontre des gens, je rencontre une personne nice, bonne conversation, bon sexe… Eeeet j’ai déjà vu ce film là. Gars numéro 3. C’est la même histoire qu’avec Gars numéro 1. Gentilles personnes, mais pas d’amour.
Des fois ça me garde réveillée la nuit, l’idée que ça m’arrivera jamais. De l’amour mutuel, de la tendresse, de l’amitié mélangée. Je suis retournée à chaque fois sur les apps, j’ai essayé de rencontrer des hommes différents et j’ai aussi essayé vraiment de rencontrer des femmes. Mon dieu, j’essaie tellement de rencontrer une personne…mais ça débloque tellement rarement! Avec la majorité des gens, la conversation arrête vite. Et je matche avec si peu de femmes en plus d’être tellement awkward avec elles… Je suis quadruplement intimidée par elles et j’ai tellement peur d’être inadéquate, moi qui n’ai daté que des hommes, que je suis pas moi-même. Mon sentiment d’imposteure et ma gêne rendent difficiles de vraies conversations pré-date, donc ça n’aboutit pas. Ça fait que je tombe à chaque fois sur le même genre de personne; des gars, début trentaine, super gentils, vraiment doux, mais dont je suis pas amoureuse (sauf un, on se rappelle le Gars numéro 2!).
Et à travers tout ça, je ne « finis » jamais rien avec personne. Je continue toutes ces relations casuals ad vitam eternam. Et c’est un peu parce que ça feel weird de mettre « fin » à une relation qui me semble, en fait, pas une « vraie » relation amoureuse (à tort, toute relation est « vraie »… je crois). Et c’est aussi parce que, ben des fois, j’ai encore envie de texter « hey ça va » à quelqu’un et qu’on se rejoigne le soir même. Faque Gars numéro 2 me retexte quelques mois après m’avoir laissée pour qu’on se voit, sans sentiments. Je le prends quand ça fitte dans mon horaire, on passe quelques heures ensemble quand on peut. Ça marche honnêtement très bien. Gars numéro 1 me texte encore, je le vois quand ça fonctionne. Gars numéro 3 me texte, on se trouve un temps si possible.
Et maintenant qu’on est en janvier 2022 (pire mois de l’année sérieux, fait frette que le criss pis noir à 16h), je retourne sur les apps en tentant de m’empêcher sérieusement de retomber dans la facilité et dans les mêmes patterns : swiper sur pas mal tout le monde, en ghoster la majorité, abandonner toutes les conversations sauf celle du gars plus entreprenant, refaire la même histoire. Alors j’essaie d’être plus sélective à la base, d’être présente pour vrai dans les conversations, et de continuer même si je suis intimidée, ce qui arrive trop souvent dans des conversations avec des femmes. Puis comme je garde le peu d’énergie sociale (encore une fois, janvier!!) que j’ai pour swipper sur Tinder et liker sur Hinge, ben je réponds pu aux gars précédents (1, 2, et 3 de leurs ptits noms). Ou peu, ou évasivement. Puis je me sens mal, tsé. Même si y’a pas de sentiments tant que ça, on est pas un couple, on est même pas si ami.e.s, je me trouve poche. Le fait est que j’ai pas envie de les voir. Pour un boutte.
Des fois je me dis que je vais leur écrire « Allo, excuse-moi du délai de réponse (ce que je dis tout le temps, ça veut plus rien dire mais je peux pas m’en empêcher), écoute c’est pas un bon moment pour se parler ou se voir… Je te réécrirai si ça change ». Mais c’est même pas si honnête, c’est du défilement pour pas avoir à dire « je veux plus qu’on se voit »… En essayant de pas déplaire en étant trop honnête, j’ai l’impression d’être lâche. Et je me sens comme si j’exigeais que la relation / non-relation existe que selon mes envies et mes désirs à moi, alors qu’on est deux. Pourtant, je sais très bien en quelque part que c’est pas méchant de dire « je veux pas te voir en ce moment », ou bien « je veux plus qu’on se voit ». Zéro, là. C’est vraiment normal. Mais, comme je me sens déjà pas bien, ben je me perçois vraiment négativement… Donc je me trouve pas fine de me défiler d’eux comme ça. Des fois, en plus, une petite voix me dit que je devrais être contente d’avoir ces relations-là, je devrais les apprécier. Au moins, ces gars-là m’apprécient, même s’ils m’aiment pas.
D’autres fois, je me dis que je devrais juste dire que j’ai plus envie de les voir du tout, que je veux passer à autre chose. Mais j’ai déjà eu des passes de non-envies et de non-réponse comme ça, puis j’ai changé d’idée. Après une pause, je me remettais à les voir fréquemment. Mais j’trouve que ça fait dur; y’ont beau pas être mon chum, c’est chien, de garder ces relations là dans ma poche au cas où ça me tente plus tard, right? De la mettre dans un coin pour un bout, au cas où j’aurais envie ou besoin de me faire dire que je suis hot à mané? Encore une fois, si tout le monde est honnête et les dates prennent des pauses et reprennent et tout le monde est content… C’est clairement 100% chill. Mais mon cerveau me laisse pas tranquille avec cette culpabilité là. Et ça me fige.
Honnêtement, des fois je pense à juste répondre que je ne veux plus leur parler, et je peux sentir le poids se lever de mes épaules. Je serais tellement libérée! Pu de petits points rouges sur Messenger ou par texto. Pu de regarder mon cell et d’être rappelée, à tout heure du jour pis de la nuit (je regarde mon cell souvent tsé) de ce que je devrais faire, mais que je suis pas capable de faire. Tellement peu me sépare du but; répondre un mini peu, même évasivement, et je serais libérée. Mais je le fais pas. Et ce qui était juste une notification y’a un mois grossit chaque jour pour être une preuve que je suis pas… Une bonne personne. Straight up c’est ce que mon cerveau se répète à lui-même. Pas assez bonne, pas assez forte, pour juste… Répondre. Prendre deux secondes pour acknowledge une autre personne et lui offrir le respect de répondre.
Les obstacles entre moi et le soulagement d’avoir répondu, d’avoir fait disparaître les points rouges, d’avoir fermé la conversation au moins pour un bout m’apparaissent comme un mur insurmontable. C’est con là vraiment, j’essaie de me comprendre, mais je tombe dans des « trous » (j’appelle comme ça mes passes tough, mes cercles vicieux où je vais de moins en moins bien) et je trouve ça dont ben dur de juste… Répondre. Faque je semi-ghost. Je fais attendre. Je laisse les messages non-lus pour ne pas perdre la notification pour ne pas oublier de répondre. Je finis par écrire « excuse-moi du délai, ouais ça va, beaucoup de job, et toi le nouvel emploi? » je réponds peut-être à un autre message, et je disparais. Une autre semaine.
C’est dur de comprendre ce qui m’empêche autant de régler ce problème qui peut apparaître si simple. Ma meilleure piste, c’est celle-ci : dire à ces personnes-là que je ne veux plus les voir, fermer ces portes-là, c’est me retrouver seule pour vrai. Et j’ai envie de ça, parce que ça peut m’ouvrir à chercher pour vrai ce que je souhaite, quelque chose comme de l’amour. Une relation qui se déroule plus que juste la nuit et qui se passe pas en cachette. Si je repars à zéro, que j’arrête d’entretenir les relations avec ces gars-là, je m’ouvre peut-être à trouver l’amour, ou en tout cas je libère de l’espace et du temps pour ça.
Mais si je fais ça, j’aurai pu de filet; j’aurai pu personne à texter quand j’aurais envie, en plus de sexe, de voir quelqu’un et de sentir que je suis encore attirante. Et si je me lance sans filet, et si je me plante? Et si la petite voix qui me dit que je trouverai pas mieux a raison? Pire, et si la voix qui me dit que je devrais juste me contenter de voir des hommes et arrêter cette lubie de bisexualité (tu vois la biphobie internalisée?) a raison elle aussi? Je me serais coupée de ces relations qui, somme toute, m’ont souvent fait du bien, pour rien. Fait que je reste avec cette peur, qui est un peu celle d’être seule, un peu celle de me tromper, un peu la peur de me sentir complètement inintéressante. Et donc je traîne ces relations-là avec moi, dans ma tête, et le stress qui vient avec, la pression de répondre qui les accompagne.
Faque, c’est pas un grave problème, pis c’est grave en même temps, tsé. C’est rien pis c’est quelque chose. J’écris ça pis j’ai rien résolu. Les p’tits points sont sur mon cell dans le moment même. Ça doit être clair en me lisant maintenant, que c’est vraiment pas une histoire de tombeuse ici, au contraire, c’est une histoire de chicken. Et je sais juste pas encore comment trouver du courage.
Mystique