Illustration : Éliane (@lily364)
Ça doit bien faire 45 minutes qu’il fait des va-et-vient, toujours au même rythme, entre mes cuisses. Je dis 45 minutes mais en fait j’en sais rien puisque l’horloge indique 2h34 depuis le début. Parce que oui, c’est tellement long et plate que j’ai eu au moins 10 fois le temps de remarquer que son horloge est brisée. J’ai bien essayé de m’investir dans le rapport, mais rien à faire, il n’est pas du tout à l’écoute et ne me laisse pas prendre les devants. Ça fait donc – je suppose – 45 minutes qu’il m’irrite le vagin et qu’il me lèche, me mordille, que dis-je, me dévore les talons et les orteils. Pas que j’ai un problème avec le fait qu’il aime particulièrement les pieds. C’est juste que je n’arrive pas à me sortir de la tête que j’ai passé des heures à marcher en sandales aujourd’hui, et même pieds nus dans du sable et de l’herbe par moment. Et qu’il doit bien faire 35°C à l’ombre, donc que j’ai eu chaud. Bref, que mes pieds sont vraiment sales quoi!
J’entends ses colocs entrer dans l’appartement. La porte de sa chambre est grande ouverte, j’espère qu’iels ne viendront pas par ici. Je pense à mes culottes de dentelle qui attendent patiemment (peut-être trop même) mon retour sur le plancher du salon. Il continue de gémir bruyamment. Trop bruyamment. Génial, maintenant en plus de n’éprouver aucun plaisir, je suis mal à l’aise, gênée. J’ai peur qu’on nous surprenne et j’ai hâte que ça soit fini.
Puis tout à coup, alors que je commençais à désespérer : changement de rythme. Il accélère et fait une drôle de face, on dirait presque qu’il est en transe. Yes, ça devrait plus être très long! Et c’est à ce moment-là qu’il me lance cette phrase tout à fait charmante que je ne suis pas près d’oublier :
« Can I come in your face?! »
Ce à quoi je répond un non très catégorique. S’ensuit alors une scène plutôt étrange. Il argumente, essaie de me convaincre, avance qu’il trouve ça tellement plus sexy. Je garde mon boutte, je n’ai vraiment aucune envie qu’il m’éjacule dans le visage. Il revient à la charge, encore et encore, tout en continuant ses va-et-vient incessants, encore et encore. Et je finis par lui demander, excédée, de se dépêcher à venir pour qu’on puisse en finir. Ce qu’il a pris pour un consentement de ma part. Me suis-je mal exprimée? En tout cas, il n’a clairement pas compris ce que je voulais lui dire. Il se retire donc – à mon grand soulagement – se branle quelques instants – à mon grand étonnement – et me projette son sperme en pleine face – à mon grand désarroi.
Il se laisse retomber sur moi. Je le repousse sur le côté, m’extirpe du lit et ramasse rageusement mes vêtements éparpillés un peu partout dans sa chambre et son salon avant de me diriger vers la salle de bain. Je me lave rapidement le visage et les cheveux et part en claquant la porte de son appartement. Je ne suis plus du tout mal à l’aise à l’idée d’être entendue par ses colocs, au contraire. Je veux qu’ils comprennent que, contrairement à ce qu’iels ont pu s’imaginer, je n’ai pas pris mon pied (haha.), loin de là.
Je suis en tabarnak! Déjà, je n’avais pas particulièrement envie de coucher avec lui dès le départ. Mais on avait passé une belle soirée. Il m’avait payé à boire et à manger. Et, surtout, je n’avais pas eu le coeur de dire non, car je savais qu’avec lui, j’aurais eu à m’expliquer, à argumenter et ça, je n’en avais ni l’envie ni l’énergie. Pis la baise comme telle a été super plate. Mais encore là, je me disais que c’était pas trop grave, ça arrive de tomber sur des mauvais.es amant.e.s. Je suis capable d’assumer mes mauvais choix et je me disais que ça m’aurait au moins appris une leçon. Mais là, là, c’était trop. Je lui avais pourtant dit noir sur blanc que je ne voulais pas qu’il me vienne dans le visage, que je trouvais ça dégueulasse et dégradant, et il l’a fait quand même. Esti!
***
Je ne sais toujours pas, à ce jour, si on peut appeler ça un viol, c’est tellement flou la définition d’un viol. Mais ce dont je suis sûre, c’est qu’il y a eu agression puisqu’il n’y avait pas consentement du début à la fin.
Ce que je sais aussi, c’est qu’une agression, c’est pas toujours abracadabrant à en faire la une des journaux. Ça n’implique pas toujours un pervers en imperméable, une arme ou une ruelle. Ça peut même parfois sembler banal. Je ne compte plus le nombre de fois où je me suis fait pogner une fesse dans un bar. Ni la quantité de commentaires dégradants – du genre retourne don’ dans ta cuisine – que je me suis fait dire à travers les années parce que je n’étais pas d’accord avec l’opinion ou la décision d’un homme. Ou encore, l’année dernière, quand j’ai été hélée dans la rue par un homme qui pensait m’amadouer en faisant des bruits de bisou, de la même façon qu’on appelle un chat. Alors, même si ce n’est pas toujours violent, ce qui est certain c’est qu’une agression ça cause toujours du tort à la victime. Et il faut que ça cesse.
Bref, assurez-vous don’ du consentement de votre partenaire tout au long et à chacun de vos rapports sexuels, quitte à vous répéter. Le consentement, c’est pas une carte de membre pour la vie. Au contraire, ça se renouvelle constamment. La preuve, j’étais consentante à une pénétration vaginale, mais pas à une éjaculation faciale! Pis de toute façon, – comme le dit si bien Médusa – le consentement, esti que c’est turn on!
#moiaussi
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Maudits poils! – c’est ici!
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