Illustration : Layloo (@mycrazycolouredmind)
L’autre jour, je suis tombée sur des photos de mon échange étudiant en Asie d’il y a deux ans. Ça m’a frappé à quel point j’en avais pas gros sur le brochet. J’avais un budget quotidien assez strict pour la bouffe, donc je mangeais à ma faim, mais définitivement pas autant qu’au Canada. En d’autres mots, j’étais remarquablement mince, avec des abdos par défaut et une taille de guêpe. Ce qui m’a choqué le plus c’est que, dans le temps, ce corps, je le trouvais trop gros. Trop gros comparé à quoi? Les standards de la société? Les images dans les médias? La mannequin qui vivait au dessus de chez moi? Je ne sais pas. Tout ce que je sais c’est que dans ma perspective, je ne me qualifiais toujours pas de mince.
Ça me rend triste de réaliser tout ça. Pas que j’étais mince sans m’en rendre compte, ça, je vais m’en remettre. Ce qui me déçoit c’est que j’avais une image complètement fabriquée de ce je voyais dans le miroir. Et, encore aujourd’hui, j’ai ce même miroir endommagé qui me fait juger ce corps qui m’appartient. Ce corps en santé, qui me soutient chaque jour et qui me permet de me déplacer, et bien, parfois je ne l’aime pas assez.
En vérité, j’ai une masse corporelle qui fluctue beaucoup. C’est facile pour moi d’en perdre et encore plus facile d’en gagner. D’un mois à l’autre, selon mes habitudes de vie, je peux être proche d’avoir des côtes qui ressortent (j’ai une grosse cage thoracique, ok.) ou carrément entretenir une bédaine. Mais, malgré le fait que mon corps ne soit pas fait de ciment, le problème c’est que la perception que j’ai de moi-même, elle, ne change pas. Le même discours joue dans ma tête peu importe ma taille réelle : je devrais perdre du poids, maigrir plus ou définir mes muscles.
Anastasia, dans 50 nuances de gris, a une déesse intérieure; moi j’ai une discrète petite voix dédaigneuse. Je vous présente donc ma petite voix interne. Celle qui me dit parfois de faire plus de sport, ou de manger moins de biscuits. Celle qui est gênée de mes poignées d’amour et de mes pieds dodus. Celle qui m’en veut quand je me « laisse aller » et gagne en masse. Celle qui m’accompagne à la plage et dans les soirées quand je porte une robe moulante.
Pourtant, si vous me connaissiez, vous penseriez que j’ai une estime incroyable et que je suis très confortable dans ma peau. Et c’est vrai! Ou ça paraît vrai. J’essaie constamment de dégager une assurance et un amour envers mon corps. Je le proclame haut et fort que j’aime mes fesses proéminentes et mes gros jambons (des cuisses prêtes à rôtir!). Et je suis véritablement confortable dans mon corps. Ça n’empêche quand même pas cette petite voix de me dire parfois que je devrais cacher mon ventre ou que je pourrais travailler sur mes bras pour avoir moins de « gras de bye bye ».
Je tiens à dire que je n’ai jamais été troublée par cette petite voix au point d’escalader cette perception maudite en véritable maladie. Ce qui est une chance en soi! Il peut être tellement facile de suivre des régimes malsains. Mon complexe est donc heureusement resté sur des terrains moins glissants.
Par contre, en revoyant ces images de quand j’étais beaucoup plus mince qu’aujourd’hui et en repensant à mes propres commentaires sur mon corps, je réalise que peu importe la forme que mon corps prendra, la petite voix ne sera jamais satisfaite… Car, aujourd’hui, j’ai cette même image de mon corps qui n’est pas assez mince ou qui est trop gros. La seule différence entre mon corps lors de ce voyage en Asie et ce qu’il est en ce début de 2020, c’est que je peux prendre mes bourrelets dans mes mains. Cette fois-ci, ils sont réels.
Tout ça en fait, je comprends maintenant que c’est de la grossophobie, que j’aurais internalisée. Cette réticence à grossir, à être grosse ou à paraître grosse, je la transporte avec moi en tout temps. Je participe activement, même sans le vouloir consciemment, à la grossophobie sociétale. Ce discours qui dit qu’être gros.se est malsain et qu’être mince est sain est normalisé, banalisé. Toxique. Ça ne devrait pas être un compliment de se faire dire qu’on a perdu du poids. Une personne ne devrait pas assumer la diète d’un.e autre ou douter de son implication dans une activité physique. C’est aussi extrêmement arrogant qu’une boutique ait un local séparé pour ses tailles 16+. Tous ces préjugés grossophobes sont des micro agressions.
Selon moi, le problème est le piédestal sur lequel la minceur se repose. Du haut de son privilège, elle définit des tendances corporelles inatteignables pour la majorité. Il ne devrait pas y avoir qu’un seul standard acceptable. Parce qu’un standard ne laisse pas de place à l’originalité, à la différence. Pourtant, le corps humain n’est pas conçu pour être normatif dans son individualité. Chaque corps est unique, original et transformatif. La preuve de cette constante évolution est de voir que ta petite soeur te dépasse maintenant d’un pouce. Umm, c’est moi la GRANDE soeur! La réalité d’un.e n’est pas la réalité d’un.e autre. Ce qui signifie qu’une personne typiquement mince, peut ou peut ne pas être en santé. Une personne typiquement grosse, peut ou peut ne pas être en santé. À chacun.e sa réalité.
Un autre truc qui me dérange dans le discours grossophobe, c’est que la minceur est associée à la beauté. Oh, la majestueuse beauté inatteignable! Une autre arme de guerre de la grossophobie. Mais en pratique, la corrélation est mince! Pourquoi est-ce que le poids ou la forme d’une personne déterminerait sa beauté? Mais quelle bullshit. Pourtant, je suis tombée maintes fois le nez droit dans le piège. En y réfléchissant bien, le but ultime de la petite voix qui joue en boucle dans ma tête est d’être attirante, d’être belle et de plaire. Et pas juste pour trouver un amant, mais pour me positionner dans la société (on en parlera une autre fois des dynamiques de pouvoirs si vous voulez). Pis la grossophobie que j’ai internalisée fait comprendre à la petite voix que pour y arriver, je dois être mince.
Faque ce discours de grossophobie, je l’ai adopté sans le vouloir. Je l’ai pris dans les messages des médias et dans ceux des adultes autour de moi, dans les publicités hypersexualisées, dans les images normalisées (corps très mince et musclé, peau blanchâtre, cheveux lisses aux couleurs du rayons de soleil, etc.) et sans diversité (où sont les personnes noires, asiatiques, latinas, autochtones?) de la télé, etc.
Le plus difficile maintenant est de déconstruire ces messages. Certes, c’est décourageant quand tu réalises qu’ils ont imprégné la société, mais il faut tout de même commencer le travail. Il faut abolir ces idéaux de beauté qui promeuvent la grossophobie et qui la normalisent. Il faut diversifier les images que nous voyons et favoriser la diversité des corps (et des personnes). Il faut avoir des dialogues ouverts sur les troubles en lien avec l’apparence. Il faut parler de ces pressions sociétales qui se transmettent de générations en générations et qui affectent le bien-être de plusieurs.
En d’autres mots, celleux au métier de photographe ne devraient pas juste photographier des modèles taille 0. Celleux qui produisent des vêtements doivent être plus inclusif.ve.s dans les grandeurs disponibles. Celleux qui travaillent en boîte de marketing devraient réévaluer les publicités qu’iels créent et se demander si l’image n’est pas opprimante. Celleux qui promeuvent les produits amaigrissants devraient se renseigner sur l’impact de ceux-ci. Celleux qui élèvent des enfants ne devraient pas les féliciter sur leur apparence.
Et moi, je devrais pardonner la petite voix qui ne savait pas mieux. Je devrais aussi la guider avec soin vers un nouveau discours plus inclusif. Dorénavant, la petite voix sait que ses paroles étaient néfastes et je vais me faire un devoir de ne plus véhiculer des idées grossophobes. Envers moi-même et envers les autres.
C’est ainsi que je commence 2020.
Donc Princesse Chihiro de 2017, t’es une bombe et je t’aime.
Princesse Chihiro de 2020, t’es aussi une bombe et je t’aime autant! Continue de prendre des habitudes de vie saines, et laisse ton corps tranquille vis-à-vis de tes jugements. Maintenant, tu sais que ces jugements ne t’appartiennent pas réellement.
Bye bye (de mon gras de bye bye),
Princesse Chihiro
Princesse Chihiro, jeune femme d’affaires accomplie, enthousiaste des sports et fanatique du continent asiatique, elle voudrait donner une voix à celles.ceux qui ne peuvent pas se le permettre et est horrifiée lorsque les survivant.e.s d’agressions sexuelles ne sont pas pris.e.s au sérieux. #metoo
Pour lire le dernier article de Princesse Chihiro – Je n’étais pas vraiment prête pour ma première pénétration – c’est ici!
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