Illustration : Laurène (@somepieceofsheet)
Je me suis toujours mis de la pression. Ma mère m’a raconté qu’une fois, alors que j’avais cinq ou six ans, je traînais un matin, ce qui a fait en sorte qu’elle était en retard pour le bureau. Elle s’est fâchée et quand elle m’a déposée à l’école, je me suis excusée et je lui ai dit la prochaine fois, je serai parfaite. Elle m’a dit à quel point ça l’avait choquée d’entendre ça de la part de sa fille, dont la seule faute (à ce moment-là) était d’être lente le matin. Elle est sortie de la voiture et elle m’a expliqué que ce n’était pas ça qu’elle me demandait. Au diable le bureau.
Je me souviens de lui avoir expliqué, quand j’étais rendue à la fin de mon adolescence, que je n’aimais pas quand elle me reprochait des trucs. Pas parce que je n’aimais pas me faire chicaner (quoique – who does?), mais parce que tout ce qu’elle me reprochait, je me le reprochais déjà, et mille fois plus. Je me reprochais tout et rien à la fois; les grosses insécurités comme les plus petites manies. Quand elle me reprochait de procrastiner, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à toutes ces fois où j’avais été hyper sévère envers moi-même à cause de cette fâcheuse habitude. Quand elle me reprochait de ne pas assez participer aux tâches ménagères, je ne faisais que me rappeler ma propre déception de ne pas être aussi attentionnée que je le devrais envers ma mère, qui s’est toujours occupée de moi. En fait, c’est pas compliqué : dès que quelqu’un.e me reproche quoique ce soit, je me le suis probablement déjà reproché. Même si je ne m’attends pas à recevoir un reproche, j’ai déjà anticipé les critiques potentielles qu’on pourrait me faire. S’il y a bien une personne qui sait que je ne suis pas parfaite, c’est moi.
Quand j’ai commencé à fréquenter mon copain, il me disait souvent t’es parfaite. Étant donné mon historique face au perfectionnisme et, plus généralement, à mes insécurités, vous comprendrez que ça m’irritait un peu. Les premières fois, j’ai trouvé ça intense, mais sans plus. Puis plus il me le disait, plus ça me rendait vraiment inconfortable. Je me mets déjà assez de pression comme ça, je n’avais pas besoin de m’en faire mettre encore un peu plus sur les épaules. Son petit commentaire qui se voulait flatteur et inoffensif était allé chercher mon angoisse existentielle de toujours, mon syndrome de l’imposteure, celui qui me chuchote tout le temps à l’oreille que je suis pas assez bonne et que tout le monde va s’en rendre compte un jour. J’avais don’ peur que mon copain aussi s’en rende compte.
Le vase a débordé le jour de Noël, une semaine avant qu’on emménage ensemble. J’avais décidé de faire un dessert qui prenait des heures de préparation (ben oui, évidemment que la pression que je me mets s’étend aussi à mes choix culinaires). On devait partir incessamment pour le party familial, je n’étais ni habillée ni maquillée. Je lui ai fait remarqué que s’il voulait être prêt lui aussi, il devrait sans doute prendre sa douche. Je lui ai dit d’une façon qui lui a déplu. J’étais stressée, mon sirop voulait juste PAS épaissir. J’ai senti son énervement, et soudain, j’ai craqué. Allo la crise d’angoisse. Toutes mes pensées se sont bousculées, tout ce qui me préoccupait m’a submergée, et j’ai commencé à hyperventiler, à pleurer, à me sentir étourdie. Je me suis cachée dans la salle de bain, j’essayais de me maquiller en même temps. Pas facile d’appliquer du mascara quand tu pleures et que t’arrives à peine à respirer.
Tout d’un coup, toutes les histoires que j’avais construites dans ma tête, les pires scénarios que j’avais imaginés, sont devenus ultra vivants. Ces petites pensées que j’aurais jamais exprimées, mais qui existent au plus profond de mes insécurités. Ça y est, il se rend compte que je suis pas parfaite du tout. C’est sûr qu’il regrette son choix d’emménager chez moi. Il doit mettre en doute toute notre relation. Il va rester chez ses colocs. Il va me demander qu’on prenne un break. Il va me laisser. Pourquoi j’ai agi comme ça? Est-ce que je vais le perdre pour une bêtise?
Bien sûr que non. Il m’a trouvée dans la salle de bain, je lui ai expliqué entre deux sanglots ce que je ressentais, puis il m’a prise dans ses bras. On est allé.e.s au party de Noël et on a eu ben du fun. Mon dessert a été un franc succès.
Un peu plus tard, j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai expliqué pourquoi j’aimais pas quand il me disait que j’étais parfaite. Des fois, c’est pas facile de dire des choses qui peuvent sembler anodines, surtout quand ça vient d’une position de vulnérabilité. J’étais encore au tout début de mon propre parcours pour dealer avec mes insécurités, mais je trouvais important de lui partager à quel point ça m’affectait. Il a compris et il a arrêté.
Quand on y pense, de toute façon, c’est pas un peu le pire compliment ever? Les gens parfaits, ça gosse, non? Les personnages sans failles, dans les romans et les films, sont les plus plates, les plus énervants. Les personnes qui me fascinent le plus, au contraire, sont celles qui sont complexes, avec pas mal de défauts et beaucoup de qualités. Ça existe pas, la perfection.
Ça m’a fait du bien de le réaliser. C’est un travail constant de me dire que je n’ai pas à être parfaite, et que personne ne peut me reprocher de ne pas l’être. Je continue à être extrêmement sensible face à mes échecs. Mais mettre le doigt sur le problème, ça m’a permis d’examiner mes insécurités et de tenter, du mieux possible, d’accepter mon imperfection.
Perséphone
Candidate à la maîtrise et musicienne à ses heures, Perséphone est une nerd assumée et une grande fan de drames romantiques d’époque. Introvertie qui aime les gens (même si ça a l’air contradictoire!), elle croit fermement au droit des fxmmes de faire ce qui peut bien leur plaire!
Pour lire le dernier article de Perséphone – J’ai pris du poids et je me reconnais plus – c’est ici!
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