Illustration : Valérie (@val_bellefeuille)
Tout a commencé par une rencontre Tinder assez banale avec Samuel. On s’entendait bien, alors on a décidé de se voir en vrai. Ça a bien cliqué entre nous, on s’est revus plusieurs fois, puis on a fini par se mettre en couple. Pas parce qu’on s’aimait hein, parce qu’on s’entendait bien. De mon côté, l’idée du couple était encore quelque chose d’attirant, j’avais un chum, un mec, un copain, un confident. Au début, Samuel avait des journées tellement longues entre sa job, ses études et ses amis qu’il ne me faisait pas beaucoup de place dans son emploi du temps, alors que j’adaptais toujours le mien pour lui. Ça me rendait triste, je me sentais négligée. Je me disais que j’étais sûrement en train de développer des sentiments forts pour lui si ça m’affectait à ce point. Dès qu’il m’accordait du temps, je me sentais bien, je voulais être avec lui. Alors, je laissais la relation dépendre totalement de lui, et moi, je suivais sagement le rythme qu’il imposait. Je me sentais un peu rejetée à cause du fait que je ne puisse pas le voir quand je voulais, qu’il préférait passer du temps avec ses amis, etc. Ça me blessait et je le lui montrais, j’avais besoin d’être rassurée assez souvent. J’avais besoin qu’il me démontre qu’il tenait à moi.
Puis, Samuel est sorti du pays pour aller voir ses parents à Noël pendant deux semaines. Je me suis rendue compte qu’on avait pas beaucoup de choses à se dire au téléphone à part salut ça va?, tu fais quoi? et t’as mangé quoi aujourd’hui? Malgré ça, j’ai choisi de laisser passer mes doutes. On s’est retrouvé.e.s au mois de janvier et on a continué notre relation. Après tout, on habitait à côté, on s’entendait bien, il me respectait et je croyais avoir des sentiments forts vu que je me sentais vraiment mal lorsqu’il ne me mettait pas en priorité.
Depuis son retour, il avait commencé à m’accorder de plus en plus de temps et d’attention, jusqu’à ce qu’un jour, quelques mois plus tard, il me dise qu’il m’aime. Mon Dieu, j’étais tellement pas prête à ce genre de déclaration! Je me suis fermée comme une huître. Je me remettais beaucoup en question. Je ne comprenais pas ma réaction. Pourquoi est-ce que j’étais incapable de lui répondre moi aussi? Je me disais que je ressentais peut-être de l’amour pour lui, bien caché au fond de moi, mais que je n’arrivais pas à lui dire. Après tout, j’étais bien avec Samuel. J’avais envie de le voir souvent, j’aimais passer des moments intimes avec lui, alors je me disais que ça devait sûrement être de l’amour. Pourtant, sa révélation m’a fait faire un bond en arrière si grand que ça m’a instantanément fait douter de moi. Je me suis refermée, isolée mentalement, persuadée que c’était de ma faute si je n’avais pas de sentiments pour lui, comme si ce n’était pas « normal ».
Le temps passait et je ne pouvais plus m’empêcher de tout analyser dans notre relation. Quels étaient mes ressentis versus quels DEVRAIENT être mes ressentis, en tout moment.
Il sonne à la porte. Est-ce que je suis excitée de le voir? Est-ce que j’ai envie de l’embrasser? Je ne suis pas sûre, je crois que oui, mais est-ce juste de l’affection? Je me réveille à ses côtés. Est-ce que j’ai envie de le prendre dans mes bras? J’ai l’impression que non, pourquoi je n’ai pas envie? Pourquoi je me sens si loin de lui? Pourquoi je me sens si loin de moi? On va en soirée ensemble. Est-ce que j’ai envie qu’il soit là? Pourquoi est-ce que je suis plus intéressée par les autres que par lui? Pourquoi est-ce que les autres couples autour se regardent d’une manière avec laquelle moi j’ai pas envie de le regarder? Pourtant j’ai envie d’avoir envie de le regarder comme ça!
Et c’est comme ça que je me plongeais dans l’enfer qu’est l’overthinking. Il y avait lui, il y avait moi, et là, juste au milieu, ma culpabilité, mon contrôle, mes peurs, et les sentiments qui ne venaient toujours pas. Je me disais de plus en plus que j’avais un problème. Plus j’y pensais et plus je comparais mes émotions avec les émotions que selon moi “j’aurais dû ressentir”. Plus j’y pensais et plus je me sentais mal. Jusqu’au moment où ça m’a apporté une vague de mal-être tellement grosse que je ne saurais même pas expliquer. Je me sentais soudainement mal en sa présence, je ne voulais plus lui faire de calin ni être intime avec lui. Et je me sentais comme un monstre de lui faire ça, alors qu’il était si gentil avec moi. Je pleurais, je lui disais que je n’arrivais pas à l’aimer. De son côté, il le prenait super calmement, me disait de ne pas me mettre dans ces états, que ça viendrait avec le temps. Avec du recul, je pense que le mal-être que je ressentais était de l’anxiété due à la pression que je me mettais.
J’ai essayé de relativiser. J’ai eu l’impression d’y arriver jusqu’à ce que je me rende à Ottawa quelques jours plus tard pour une conférence, sans lui. Je n’ai pas ressenti le moindre manque. Je trouvais ça anormal, je me jugeais, je m’en voulais. Alors comme à mon habitude, j’essayais de forcer les choses, je l’appelais, je lui disais que j’avais envie de le voir… Fake it ‘til you make it comme on dit. Je sais, ça parait horrible, mais je pense que sur le moment, je me mentais plus à moi-même qu’à lui.
Quelques semaines plus tard, on partait ensemble à l’étranger dans ma famille. Ce séjour est marqué en moi comme un cauchemar. Pas à cause de lui du tout, il était très aimable, comme d’habitude. Tout venait de moi, j’étais dans ma bulle de remise en question chaque seconde. Je me rendais malheureuse et je n’arrivais plus à le regarder sans le filtre de ma culpabilité. Mes pensées étaient si fortes qu’il n’était même plus une personne que j’appréciais, dont je reconnaissais les qualités, avec qui j’aimais passer des moments. Il était devenu le personnage principal du film dramatique que je me faisais dans ma tête. Sa personne en soi m’était devenue complètement étrangère. Mais, par culpabilité, je n’étais toujours pas prête à le laisser.
Après avoir vécu de nombreux rejets de ma part, refus de câlins, d’intimité, ma difficulté à partager ce que je pensais, Samuel a développé un énorme sentiment d’insécurité avec moi. Ça a finalement rendu notre relation invivable, malgré tous mes efforts pour sortir de ma tête et sauver notre statut de couple. Dès que je faisais des activités sans lui, il le prenait mal. Dès que j’étais heureuse de quelque chose qui m’arrivait, on dirait qu’il fallait toujours qu’il me fasse redescendre de mon nuage de bonheur parce qu’il ne pouvait pas le partager avec moi. Il voulait que ce soit LUI qui me rende heureuse. Je ne peux pas lui en vouloir, je pense qu’à sa place, mon comportement m’aurait rendue tout aussi anxieuse. Finalement, je l’ai quitté cinq mois après notre retour à Montréal, alors qu’on était toustes les deux épuisé.e.s. Je sais que j’aurais probablement dû, pour son bien et pour le mien, le quitter bien plus tôt. Mais je n’y arrivais pas. J’étais convaincue que si ça ne marchait pas, c’était de ma faute. Je pensais qu’il fallait juste que je règle le problème de mon côté pour que ça fonctionne, que j’y mette plus d’efforts.
Je suis sortie de cette relation complètement secouée, malheureuse et vidée. Vous voyez les scènes de film ou les amoureux s’embrassent passionnément? Quand j’étais ado, je les dévorais, je les regardais en boucle en espérant vivre un jour la même chose. Après ma relation avec Samuel, ces moments me donnaient envie de vomir, j’étais dégoûtée. Je pourrais même dire qu’ils me donnaient de l’anxiété, au point de tourner la tête pendant ces scènes.
J’étais convaincue d’avoir laissé des séquelles émotionnelles importantes à Samuel, séquelles qui allaient peut-être prendre du temps à guérir et lui causer des problèmes dans ses futures relations. Re-bonjour culpabilité! J’étais aussi complètement perdue parce que je ne comprenais pas ce qui venait de m’arriver. Comment éviter ce genre de situation dans le futur? Est-ce que j’étais juste trop immature pour être dans une relation? Est-ce que c’était juste pas « le bon »? Mais dans ce cas-là, comment j’allais faire pour savoir quand j’aurai rencontré « le bon »? Et en attendant, comment faire pour éviter de détruire quelqu’un émotionnellement?
Je n’ai pas trouvé réponse à ces questions-là, mais j’ai quand même bien entamé ma recherche. Déjà, je soupçonne que ma petite voix culpabilisante vient de toutes les attentes que j’ai à force de m’être auto-éduquée à coup de The Notebook, Titanic, The Vow et tous les films à l’eau de rose. Try me, je suis incollable! Des heures et des heures à me repasser les scènes de baisers, à pleurer toutes les larmes de mon corps parce que Jack est mort ou toute autre fin émouvante.
L’amour est toujours passionnel!
Le vrai amour ne s’arrête jamais.
Quand tu trouves le bon, tu ne doutes pas.
Tu vas croiser son regard pour la première fois et PAF, coup de foudre!
L’amour est plus fort que tout.
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
C’est bien beau tout ça, mais ça manque un peu de nuances. Déjà c’est quoi le « vrai amour »? Cette notion de « trouver le bon » comme s’il n’y en avait qu’un? Et genre y’a vraiment des couples qui n’ont jamais douté? Et forcément à la fin d’une relation, soit il y en a un qui meurt soit ils sont heureux toute leur vie, sans obstacle? On voit déjà les enfants courir dans les champs et les parents se regarder avec passion. Finalement, avec une autoéducation à l’amour pareille, c’était quasi obligatoire que je me dise qu’il y a quelque chose qui cloche chez moi pour que mes relations soient si imparfaites et surtout que mes sentiments amoureux soient si fragiles et longs à venir..
Dans toutes mes relations, il y a toujours un moment où je me suis mis la pression toute seule de ressentir de l’amour et où ça menait directement à de l’anxiété. Avant même de me laisser le temps de me connecter avec mes émotions, mon cerveau prend le contrôle pour me dire ce que je DEVRAIS ressentir. Résultat: je n’arrive pas à ressentir autre chose que la culpabilité et la pression que je me mets. Tout bien réfléchi (ou plutôt après des années de torture mentale, des tentatives d’autopsychanalyse ratées et finalement quelques séances de psy bien méritées) j’ai compris que c’était surtout lié à une peur inconsciente de l’engagement ou du sentiment d’amour en lui-même. Mon dieu ce que ça fait du bien d’enfin poser des mots sur mon mal-être!
Je travaille encore là-dessus, des années et quelques relations chaotiques après celle avec Samuel. Mais j’ai déjà compris plein de choses. Je ne veux plus laisser mes peurs et mon anxiété guider mes relations. J’ai compris que la peur et les sentiments amoureux ne sont pas de très bons amis. Alors pour éviter de ressentir de la peur, je dois arrêter de me mettre la pression.
First step : accepter que mes relations puissent être temporaires, laisser des personnes entrer et sortir de ma vie sans être obligée de construire quelque chose de « viable » dans le temps avec elles.
Second step : faire la paix avec les relations non passionnelles.
Third step : me laisser le temps de voir si je développe des sentiments et accepter que ce ne soit pas toujours le cas ou qu’ils se dissipent avec le temps. Parce que l’une des choses les plus importantes que j’ai apprises, c’est que chaque personne est différente, et que moi, contrairement à plein d’ami.e.s ou aux personnages de rom-com, j’ai besoin de beaucoup, beaucoup de temps pour développer des sentiments et me sentir à l’aise avec quelqu’un.
Last (but not least) step : en attendant, le temps d’apprendre à connaître la personne, il faut que je sois très patiente avec moi-même. Il faut absolument que j’arrête de comparer ce que je ressens avec ce que j’ai l’impression qu’il faudrait que je ressente ou encore ce que j’ai ressenti dans le passé avec quelqu’un d’autre. Je ne peux pas contrôler mes sentiments, alors la seule chose que je peux faire, c’est lâcher prise et profiter du moment présent!.
Fleur du désert
Merci pour ton article, je suis un gars qui a eu une relation très similaire qui s’empêtre dans la culpabilité, et depuis je me demande comment faire…
Là j’ai mis fin prématurément à un début de quelque chose avec quelqu’un que j’apprécie vraiment beaucoup, et ça me fend le cœur. Mais je veux plus jamais me réempêtrer dans une relation où j’ai cette boule au ventre, cette « envie d’avoir envie » comme tu dis si bien. Ne serait-ce que par respect pour l’autre !
Je ne sais pas quoi y faire, tes solutions semblent sympathiques, mais ça ne se décide pas vraiment comme ça… Peut-être qu’aussi il ne faut tout simplement pas se forcer avec quelqu’un pour qui il n’y a pas de feeling particulier mais juste une grande sympathie ? Mais bon, toujours très difficile d’être fixé sur ce qu’il y a ou non quand on passe son temps à l’analyser, après ça fait des prophéties auto-réalisatrices presque. Je suis perdu :/
En tout cas merci pour ton texte qui m’a touché par sa ressemblance avec ma situation perso, ça reste agréable de voir qu’une autre personne vit ça, que ce n’est pas « n’importe quoi ».