Illustration : Pénéloppe (@pennypancakes_038)
J’ai pas eu la vie la plus cute du monde. J’ai pas eu la pire non plus, mais j’essaie de ne plus me dire ça. Je sais que c’est pas parce que je viens d’une famille de classe moyenne, que j’ai toujours eu de la facilité à l’école, que j’ai des proches que j’aime et qui prennent soin de moi, que je ne suis pas tant marginalisée, bref ce n’est pas parce que j’ai certains privilèges, que ça invalide tout ce que j’ai vécu de pas cool dans ma vie. En gros, quand je fais abstraction de mon sentiment que mes difficultés sont invalides à cause de mes privilèges, je suis fière de ma guérison.
Quand j’étais jeune, j’ai été catapultée trop vite dans le monde des adultes. À 7 ans, ma mère m’a dit de prier le p’tit Jésus parce que ça allait pas super bien entre mes parents et qu’il fallait pas qu’ils se séparent. Je me souviens de m’être endormie en priant et en pleurant, parce que si mes parents se séparaient, ça allait être de ma faute parce que je n’avais pas prié assez fort. Un jour, je me suis confiée à ma mère sur le fait que je trouvais mon père distant, et elle s’est mise à pleurer en disant je pensais pas que ça allait être de même, avoir des enfants avec lui. C’est lourd à porter, pour une enfant, de savoir que ta mère souffre des décisions qui l’ont menée à t’avoir. Je me disais qu’elle aurait peut-être été mieux avec quelqu’un d’autre et que je serais jamais née si elle avait été dans une relation plus heureuse. J’étais aussi au courant, vers l’âge de 10 ans, que ma mère avait eu un ex-conjoint violent. Qu’il l’avait déjà, entre autres, frappée et menacée avec un couteau de toute lui défaire sa belle p’tite face. J’avais ces images graphiques en tête, et c’était traumatisant de savoir que ma mère avait vécu ça.
Mon père lui, c’était une autre game. Quand on parle de masculinité toxique, j’imagine entre autres mon père. Un homme pas capable de vivre ses émotions, pas capable de nous dire qu’il nous aimait sauf genre une fois par année à la fête des pères, qui criait chaque fois que quelque chose marchait pas à son goût, qui se désengageait de notre éducation et qui laissait beaucoup trop de charge mentale de l’éducation des enfants à ma mère. Il travaillait de soir, n’a jamais fait les devoirs avec nous, et si on avait une permission à demander, il nous disait d’aller la demander à notre mère. Il n’était juste pas tellement là, physiquement et émotionnellement. Toute mon enfance, on passait aussi sous silence le fait que mon père buvait de la bière à 11h tapantes la fin de semaine, et le soir en rentrant du travail. Aujourd’hui, avec mes yeux d’adulte, je sais que c’est pas parce que quelqu’un est capable d’être fonctionnel en société que sa consommation d’alcool est saine. Il avait beau être capable de rentrer travailler, d’interagir avec sa famille et ses amis relativement normalement, il consommait pour oublier et s’évader.
Puis, au début du secondaire, ça s’est mis à mal aller entre mes parents (c’était plus tard dans l’adolescence, parce que thank God, j’avais prié assez fort à 7 ans). Je me suis déjà réveillée la nuit parce que mon père criait fort après ma mère. Ma mère s’était fait un certain portrait de la violence conjugale. Elle croyait que c’était de recevoir des coups et de craindre pour sa vie, mais, dans les faits, elle en vivait aussi avec mon père, sous forme de violence psychologique. Socialement, on s’imagine que la violence conjugale c’est quand tu te fais battre, mais les mots, les insultes et les cris peuvent laisser des traces aussi marquées que les coups.
Quand j’avais 15 ans, mes parents se sont séparés suite à l’initiative de ma mère, parce que leur relation était empreinte de communication absente ou violente, et que la consommation d’alcool de mon père la dérangeait de plus en plus. Là, je suis legit devenue la mère de mon père. Je prévoyais l’épicerie, je cachais ses bières, je gardais ma sœur et mon frère, je faisais le ménage. Mon père a sombré dans une dépression qu’il traitait pas, et il a laissé sa vie lui glisser entre les mains jusqu’à temps qu’il fasse pas une, pas deux, mais trois tentatives de suicide. Pis moi, j’étais là, à devoir lui amener du shampoing et des mots croisés quand il était hospitalisé à l’aile psychiatrique, pour qu’il puisse se laver les cheveux et se « changer les idées ». Aujourd’hui, avec mes yeux d’adulte, je sais que c’était pas parce que mes parents étaient divorcés et que je suis l’aînée de la famille, que c’était à moi de faire tout ça.
J’en épargne long ici, parce que mon but c’est pas de narrer tous mes traumas. C’est juste qu’avec le temps, j’ai réalisé que ces modèles-là ont vraiment façonné ma façon de communiquer, d’éviter mes émotions (surtout celles qui me rendaient vulnérable, parce qu’en étant responsable de mes parents, particulièrement de mon père, je pouvais pas me permettre de me laisser ralentir par la tristesse) et surtout, d’entrer en relation. Quand j’y repense, mes relations interpersonnelles, et surtout mes relations amoureuses, étaient chaotiques.
J’ai tout de même eu trois relations amoureuses significatives dans ma vie, et elles ont toutes été malsaines. J’étais jamais capable de m’excuser, je me pognais tout le temps, j’avais tout le temps peur que mes chums me trompent ou me laissent, je pétais les plombs si une fille s’approchait de mon chum. Ce qui m’accrochait à ces relations, c’est que j’étais complètement éprise de mes idéaux romantiques, de la passion qu’elles m’apportaient. Je m’imaginais un happily ever after alors que clairement, la relation me faisait sentir comme de la merde. Dans les moments de conflits, j’avais une petite voix intérieure qui me disait que c’était pas ça, une relation amoureuse saine et heureuse. Sauf que je n’écoutais pas cette petite voix.
Puis, les choses ont changé à un moment donné. Je me suis écoeurée de mes patterns en relation amoureuse, et j’ai eu la chance d’être sensibilisée au fait que mon milieu familial m’a transmis de grosses blessures en cherchant de l’information sur les traumas interpersonnels. Je pense que j’ai longtemps masqué ces blessures, parce que j’ai plusieurs privilèges et que ma famille m’a aussi transmis des outils. J’ai été encouragée à faire ce que j’aimais dans la vie et ma mère a tenté de favoriser mon estime de soi du mieux qu’elle le pouvait. Mais je me sentais entre autres coupable d’admettre mes bobos face au fait que d’autres personnes vivent des scénarios mille fois pires que le mien. Nier ces blessures me permettait aussi de me protéger de la réalité. C’était vraiment évident que mon père avait pas été un parent adéquat, mais de savoir que ces blessures avaient aussi été transmises par ma mère était un gros deuil que j’étais pas prête à faire au début de ma vie adulte. C’était évident que mon père avait été inadéquat, mais c’était un autre travail que d’admettre que mes deux parents avaient été négligents, voire violents avec moi.
Quand j’ai décidé d’entamer un processus de guérison, il y a de ça quatre ans, j’étais en relation amoureuse avec une personne (et je le suis toujours d’ailleurs). Le dernier partenaire avec qui je me suis engagée a été une des principales raisons pour lesquelles j’ai voulu guérir. À grands coups de doutes sur ma relation, de mes patterns, de ses patterns et de notre dynamique qui a été malsaine par moments, lui m’a toujours dit que c’était avec moi qu’il voulait être. Ça a l’air cheesy comme ça, mais avec lui, j’ai pu voir que j’étais pas obligée d’être en charge de toutes les décisions et responsabilités relationnelles (nos projets, ce qu’on envisage pour notre futur, qui doit care pour qui, etc.), que lui aussi avait son mot à dire sur notre couple. Il croyait que ça valait la peine de faire un effort, et ça a semé une graine : j’étais peut-être pas condamnée à répéter ce qui m’avait été appris toute ma vie. Et lui non plus d’ailleurs; il a eu son propre historique à déprogrammer.
Ça a été incroyablement difficile de faire ça. D’apprendre à vivre la vulnérabilité que je m’étais jamais laissée le droit de vivre. De sortir de chez le psy et de passer des journées à être down parce que j’apprenais à faire le deuil des carences qui ont continué à me blesser dans les relations dans lesquelles je m’engageais. De partir en retraite de méditation et d’apprendre à accepter la réalité telle qu’elle est plutôt que de l’éviter parce qu’elle est trop douloureuse.
Faut dire que, mon chum et moi, on a chacun·e fait des erreurs, mais qu’on avait une base d’amitié et d’admiration mutuelle vraiment solides. Ça m’a fait voir que quand l’amour, la motivation et les efforts sont partagés, c’est possible de réapprendre. C’est tellement tough par contre, on va pas se le cacher. On a fait des lectures, on a consulté chacun de notre bord, on a puisé dans nos réserves de patience, on est aussi allés en thérapie de couple, parce qu’on voulait mieux se parler et s’écouter. On a fait ça avant que la pérennité de notre relation soit remise en question, et je pense que sans ça notre relation se serait éventuellement terminée parce qu’on aurait juste pas su comment bien être ensemble. On a bien fait de s’y prendre plus tôt que tard.
Aujourd’hui, avec mes yeux d’adulte, ça me désole qu’on ne parle pas assez publiquement qu’un parent, c’est supposé veiller à tes besoins d’affection et de sécurité. Que le succès d’une relation (amoureuse ou pas), ça dépend des personnes qui y sont investies et pas d’une instance divine. Qu’en tant qu’enfant, c’est primordial d’être éduqué·e sur les relations amoureuses saines, par l’éducation à la sexualité mais aussi par l’exemple que sont nos parents.
Aujourd’hui, j’ai 30 ans. J’ai pas de maison, je suis encore à l’école, j’ai pas d’enfants, j’ai des dettes étudiantes, donc je suis loin de ce que notre société veut pour une femme de mon âge (comme être sur le marché du travail, avoir des enfants ou un projet de famille imminent, etc.). Sauf que, j’ai 30 ans et j’ai décidé d’aller au fond de mes blessures. Je suis sensibilisée au fait que mes traumas m’ont été difficiles à percevoir en raison de leur nature surtout psychologique. Quand j’étais pas si bien que ça, au début de la vingtaine, j’ai cru que c’était possible d’apprendre à mieux être avec moi-même et avec l’autre. J’ai 30 ans, bientôt 6 ans d’historique de relation amoureuse avec un homme assez cool pour m’écouter, me soutenir, me choisir. Le plus gros apprentissage que je retire de tout ça, c’est que jusqu’à ce que j’aille au fond de mon passé, je vivais sur le pilote automatique, dans l’inconscience que je répétais ce que j’avais appris. Maintenant, je choisis de construire et de m’épanouir, plutôt que de m’engager dans une vie amoureuse malsaine pour mettre un pansement sur un abcès qui était dû pour être crevé.
Pour moi, c’est une grosse victoire de pouvoir être dans une vraie intimité avec quelqu’un sans avoir peur d’être vulnérable. J’ai été capable de choisir un homme pas toxique. C’est le plus gros win de savoir au plus profond de moi-même que si on crée d’autres générations, mon chum et moi, je serai capable de m’excuser de mes erreurs et je serai capable d’être le parent pour mes enfants, et non l’inverse. Que je serai consciente de ce qui blesse, et à défaut de toujours savoir prévenir, j’aurai les outils pour mieux guérir, parce que je me suis moi-même offert cette guérison.
Mystique
Mystique c’est celle qui unit plusieurs voix, plusieurs expériences, plusieurs personnalités. Elle change de peau pour porter le message de celles qui ont besoin de s’exprimer, qu’elles rejoignent l’équipe de façon sporadique ou qu’elles changent de médium d’expression artistique le temps d’un article. Mystique c’est un peu de chacune d’entre nous.