Illustration : Pénélope (@penelop.e_charlebois)
Girafe, c’est comme ça que mon père m’appelait quand j’étais jeune. Certains vont me dire que c’est cute. Oui, peut-être. Au début, j’étais fière de ma grandeur. Au primaire, j’étais toujours au dernier rang de la photo de classe. Même plus grande que les gars, je me trouvais tellement hot. J’étais pro au basket vu que j’atteignais facilement le panier. C’était moi la préposée au peux-tu aller me chercher tel chaudron en haut de la sécheuse. Ma taille était ma fierté et rien n’aurait pu me faire changer d’idée.
Pis la puberté est arrivée. La maudite. Soudainement, toute la terre me regardait. Mes bras étaient longs comme des tentacules, et ils s’emmêlaient avec tous mes mouvements. Et c’est sans parler de mes jambes. À en croire l’image que me renvoyait mon miroir, elles auraient pu me faire atteindre la lune d’un simple bon. À l’époque, je suivais des cours de danse au studio du quartier. Pour donner un peu de contexte, y a pas grand chose dans la vie qui me rend plus heureuse et euphorique que danser. Depuis que je suis toute petite c’est comme ça. Par contre, l’année de mes 12 ans, j’ai été placée dans un nouveau groupe, avec des filles que je connaissais pas. Premier cours de l’année, on aurait pu se croire dans un film américain. Moi, la grande fille studieuse à lunettes, j’entre dans le local et 10 paires d’yeux remplis de jugement me regardent de haut en bas. Du moins, dans mes souvenirs de jeune fille insécure, c’est comme ça que la scène s’est passée. C’est probablement à cet exact moment que j’ai commencé à faire de la bonne grosse anxiété sociale d’ailleurs. Je suppliais mes parents de pas aller au cours, juste pour pas que je doive faire face au jugement pas tant subtil des filles du groupe. Je détonnais du lot, je mesurais au moins une tête de plus que tout le monde et mes pantalons avaient de l’eau dans cave, toujours. En plus, je portais même pas le dernier chandail Joshua Perets tendance, quelle HONTE. Rapidement, on m’a placée au dernier rang, à cause de ma taille ou d’un manque de coordination, va savoir. Je me regardais danser dans le grand miroir et la seule chose que je voyais c’était mon grand corps désorganisé dans une foule de ballerines. Plus on dansait, plus je m’haïssais. Comment j’avais pu croire que j’avais ma place dans ce groupe de jeunes ados qui parlaient de maquillage et de leur premier chum quand moi mon seul but dans la vie c’était de trouver une façon de rapetisser pour me fondre dans la masse? Au fil des cours, je voyais mon sourire disparaître dans le miroir du local pour laisser place à une face de fille vraiment mal à l’aise d’exister. Les pirouettes faisaient pu spinner de bonheur mon coeur comme avant et les applaudissements du public au spectacle de fin d’année étaient même plus assez pour me donner envie de continuer. J’ai arrêté de danser l’année suivante.
Après ça est venu le secondaire. Quelle période terrible quand même. Les corps changent, les formes apparaissent pis les premiers amours se développent. Et ben pas pour moi. Mon corps changeait effectivement, mais il faisait qu’allonger. Encore et toujours. Les wow t’es dont ben grande toi me suivaient partout où j’allais, voulant me faire rentrer sous terre. J’avais constamment un gros nœud dans le ventre quand je regardais les filles autour de moi. J’aurais tout donné pour juste pouvoir leur ressembler un peu plus. Avoir juste un peu moins l’air d’un grand crisse de spaghetti. Aucun des garçons de ma classe aurait osé m’adresser la parole, c’est tellement menaçant pour leur « virilité » une fille plus grande qu’eux. Alors que mon cœur d’accro aux rom-coms voulait juste trouver son prince charmant, aucun des potentiels prétendants avait envie de se montrer en public main dans la main avec moi. Quand j’ai réalisé du haut de mes 15 ans que les gars me regardaient pas à cause de ce dont mon corps avait l’air, une petite partie de mon soleil a arrêté de briller. Au lieu de relever le menton et de dire tant pis pour eux, j’ai baissé la tête, arrondi les épaules et passé ces cinq longues années à essayer de passer inaperçue.
Les années passaient et, inconsciemment, je me diminuais le plus que je pouvais. Qu’est-ce que j’aurais pas donné pour mesurer un beau 5 pieds 3. Je me sentais comme King Kong chaque fois que j’entrais dans une pièce, la grande perturbatrice du monde paisible des personnes de taille moyenne. L’atteinte de la majorité a fait que j’ai commencé à sortir dans les bars avec mes ami.e.s. Y’aurait pas fallu que je rate ces occasions et me sente encore plus exclue. Sans grande surprise, l’étape magasinage en préparation des soirées était pas du tout mon moment préféré. Comme de fait, aucune pièce de vêtement semblait avoir sa place sur mon corps. Les robes et les jupes étaient toujours indécemment trop courtes et me donnaient des jambes grandeur gratte-ciels. Pour ce qui est des pantalons, disons seulement que j’étais chanceuse que la mode soit de les rouler aux chevilles. Ça me permettait de camoufler l’obvious manque de tissu. Dans le fond, je finissais toujours dans des vêtements qui me faisaient sentir moyennement belle à jouer la garde du corps de mon groupe de filles, alors qu’elles trouvaient sans problème un amant à frencher sur la pointe des pieds pour la soirée. C’est ben cool jouer la fée marraine, mais à la longue, ça fend quand même le cœur de regarder autour de toi et réaliser que t’es seule et triste. Tout le temps. Elle était passée où la ptite fille heureuse de 8 ans tellement fière quand le médecin lui disait qu’elle grandissait plus vite que la moyenne? Qui adorait se faire dire aux soupers de famille wow ça pousse comme une mauvaise herbe cette enfant-là? Je sais pas elle était passée où, mais elle me manquait pas mal. Aujourd’hui, je repense à l’ado que j’étais, gênée par le fait même d’exister et je suis TELLEMENT triste pour elle. Pauvre amour qui pouvait pas encore comprendre que le regard des autres, faut s’en calisser ben fort pour être heureuse.
Par chance, j’ai fini par changer de groupe social et par partir à l’autre bout du Québec, où tout ce qui comptait, c’était ma pointure de bottes de ski. On me jalousait, parce que mes grands bras me permettaient d’atteindre les prises d’escalade plus facilement. Je pouvais placer les kayaks en haut de la remorque avec une facilité surprenante. Pour la première fois depuis que la puberté avait fait son entrée, je voyais à nouveau à quel point c’était badass d’être grande. J’ai recommencé à porter des robes qui mettaient mes jambes en valeur. Je portais mes pantalons avec de l’eau dans cave sans arrière-pensée, parce que de toute façon, qui trouve des jeans qui fittent réellement dans la friperie du sous-sol de l’église? J’ai recommencé à sourire et me faire des clins d’œil dans le miroir de la salle de bain sans aucune gêne. J’ai aussi recommencé à danser comme s’il y avait pas de lendemain. Et pour tous les hommes plus petits que moi qui m’ont dit que ma grandeur était un turn-off? Vous aurez juste à faire la courte-échelle ensemble pour aller chercher le plat à raclette au-dessus du frigo.
Olympe