Illustration : (@viraesworks)
J’ai vécu avec un alcoolique. Ma relation avec mon ex est née dans l’alcool. Nous nous sommes rencontré.e.s pendant les bières du jeudi soir à l’université. Nous avons couché ensemble la première fois dans un chalet alcoolisé. Nous avons fini deux bouteilles de vin lors de notre première date. On avait 21 ans, on étudiait et on buvait. Normal, quoi.
Pendant les premières années de notre relation, ça m’a peu affectée. C’était mon mode de vie universitaire, ça allait et je ne voyais pas l’ampleur de sa consommation et ses impacts. À y repenser, les seules fois où on se chicanait, c’était à la fin des soirées dans les bars, parce qu’il se mettait à fumer et à se foutre de moi. Son égoïsme qui ressortait sans parure. Ce sur quoi on s’était entendu en début de soirée, comme de revenir tôt, de ne pas déraper, ne valait plus rien après quelques verres.
Les choses se sont corsées quand on a emménagé ensemble. J’ai vite constaté l’ampleur de son problème de consommation. Est-ce que ça a empiré ou c’était déjà comme ça avant? Je préfère ne pas y penser.
L’alcoolisme, c’est insidieux. Ce n’est pas nécessairement boire tout le temps. Mon ex était un alcoolique fonctionnel. Il ne buvait pas en travaillant ou en allant à l’université. Il buvait plusieurs fois par semaine… et beaucoup. Sans fond. Arrêter de boire pendant une soirée et rester pour discuter avec un verre d’eau, ça ne se pouvait pas pour lui. Acheter une caisse de six pour boire une bière en gamant, ce n’était pas possible. Il finissait la caisse, en voulait plus. Toujours le dernier verre, jusqu’à la dernière goutte. Ne pas gaspiller.
L’affaire, c’est qu’avec la gang, il était funny. Il faisait des blagues et pouvait parler de politique en s’emportant dans les sujets les plus complexes. Une fois à la maison, c’était une autre histoire. Il revenait souvent plus tard qu’il prévoyait, en vélo, sans donner de nouvelles. Ma nature anxieuse voulait juste un texto pour ne pas penser qu’il s’était fait frapper par une voiture en revenant. Ou qu’il était passed out dans une ruelle quelque part. En arrivant, il me réveillait inévitablement, même en faisant attention, aux petites heures du matin. Il n’était plus joyeux, il n’était plus politique. Il devenait triste, suicidaire. Il se confiait sur ses pensées intimes et m’avouait qu’il pensait mourir pendu par sa main tôt ou tard. Quand la personne que tu aimes, avec qui tu partages ta vie te confie cela, c’est déchirant. J’ai souvent eu peur de revenir à la maison et de le trouver mort. Lui, il se souvenait rarement de ces conversations-là.
Nos ami.e.s ne voyaient pas ce côté-là. L’alcoolo joyeux et revendicateur du bar qui se transforme en dépressif. Puis, en loque humaine les lendemains de veille. On connait toustes ce feeling pas agréable à l’intérieur. Ça s’améliore jamais. Avec la quantité d’alcool cheap qu’il prenait, il suait littéralement la robine. Certaines fois, il passait la nuit à vomir. Il s’est déjà échappé dans notre lit. Il ne faisait pas grand chose de sa journée hangover. Pas de ménage, pas de bouffe, sauf peut-être pour se faire pardonner de la veille. Pas capable d’avancer ses travaux universitaires. Donc, anxieux. Et qui tente de le rassurer et le motiver? Bah oui, moi. Tout ce travail émotionnel, c’est drainant. Dans un couple, c’est normal d’en faire, mais tu as un retour de balancier à un moment ou à un autre. Pas avec lui. Il buvait comme ça deux à trois fois par semaine. Se faire réveiller au milieu de la nuit, consoler, endurer le lendemain de veille, rassurer, excuser.
Lui-même était conscient de son problème (lorsqu’il était sobre… ou très saoul). Il voulait consulter, mais il n’appelait jamais. À mon avis, il ne voulait pas se faire dire qu’il ne devrait plus boire à long terme. Il essayait d’arrêter, mais ça ne durait que quelques jours et la brosse suivante était plus intense. Il se créait des excuses, blâmant tout sur le fait d’être addict. Comme si le fait d’avoir une maladie mentale excusait tous ses comportements, que l’addiction, c’est incontrôlable. Bref, il ne reconnaissait pas sa part de blâme dans ses actes.
À la fin de notre relation, il n’était plus heureux avec moi (ça, c’est une autre histoire), et il buvait encore plus. Je suis allée le rejoindre en Europe où il était pour quelques mois dans le cadre de ses études. Après un souper et une bouteille de vin partagée, je suis allée me coucher, encore sur le jet lag. À quatre heures du matin, il est revenu après avoir bu de la grosse bière dans un parc avec les hobos. Il a vomi à côté du lit. C’est moi qui a dû torcher parce qu’il était incapable de bouger. J’ai dû le mettre dans la douche et chercher les produits de ménage dans un airbnb étranger au milieu de la nuit.
Deux mois plus tard, il vomissait partout à un party entre ami.e.s dans un bar. J’ai vraiment eu honte. En retournant à la maison plus tôt que moi, il a décidé de marcher pendant deux heures (en plein hiver) sans me répondre. Je suis arrivée à trois heures du matin, en pleurs, pensant devoir appeler la police. Il dormait comme une bûche dans le lit. On se levait quelques heures plus tard pour aller voir mes parents. Quand il m’a laissée quelques semaines plus tard, je lui en ai voulu de m’avoir fait subir ça, au lieu de me quitter avant. De mon côté, je n’avais pas la force de le faire. Le laisser impliquait de déménager et je n’avais plus de jus.
C’est juste deux exemples, peut-être les plus dégueux. Je suis quand même chanceuse parce qu’il ne me mettait pas en danger moi. Il ne conduisait pas à l’époque et il n’était pas violent (sauf envers lui-même). Ça reste que j’étais souvent la party pooper, celle qui lui rappelait ses fausses promesses de début de soirée, qui semblait le restreindre de vivre sa vingtaine comme il voulait, qui se faisait dire qu’il pouvait bien faire ce qu’il voulait. Celle qui endurait l’attente de son retour quand il disait revenir pour souper après le 5 à 7, puis pour dormir, puis finalement non. Celle qui passait pour la blonde contrôlante à vouloir un texto juste pour organiser sa soirée sans l’attendre. Celle qui ne s’avait pas à partir de quand s’inquiéter. Celle qui subissait ses remords le lendemain, ses angoisses concernant l’argent dépensé, son improductivité universitaire et son anxiété grandissante. Parce que l’alcool et l’anxiété, c’est pas le meilleur mélange. La rupture, finalement, a été salvatrice pour moi. Pour lui? Aucune idée.
Votre ami alcoolo ben funny, oubliez pas que quelqu’un le subit, quelqu’un le ramasse, quelqu’un le rassure pis que plusieurs personnes souffrent.
Triss Merigold
Historienne, archiviste, militante, fière féministe frustrée et poilue, et sorcière à ses heures, Triss Merigold replonge dans l’écriture avec douceur. Elle rêve de devenir la prochaine autrice de romans historiques québécois à succès. Toujours prête à écouter ses ami.e.s et sa famille avec une tasse de thé à la main et une couverte sur les genoux, elle se qualifie de matante accomplie.
Pour lire le dernier article de Triss Merigold – Suis-je devenue grosse? – c’est ici!
Un commentaire