Illustratrice : Valérie (@val_bellefeuille)
J’ai commencé une thérapie. Bon, c’est dit.
J’ai eu la chance de recevoir de l’aide gratuitement pendant cette pandémie mondiale du coronavirus, puisque je travaille dans le milieu communautaire.
Trois rencontres gratuites avec une psy bénévole, la chance! C’est si peu trois rencontres, mais j’étais tellement prise dans un nœud, tellement pognée avec mes symptômes d’anxiété et de dépression (ce qui n’est pas la même chose qu’un diagnostic de dépression, comme la psy me disait, mais c’est rough pareil) que j’avais désespérément besoin d’en parler avec quelqu’un.e… Mais pas à un.e ami.e ou à ma mère. Parce que le soutien d’un.e proche, c’est vraiment bien et précieux, mais je commençais à trouver que je m’appuyais lourdement sur les gens autour de moi. Bon iels diraient peut-être pas ça, et peut-être que c’est mauvais signe en fait que je me vois comme un poids, mais c’est de même pareil pour moi. Aussi, y’a des limites à ce qu’un.e proche peut faire; je sentais que j’avais besoin d’une professionnelle, tout simplement.
La grande chance que j’ai eue aussi, c’est d’être tombée par hasard sur une psy que j’aime beaucoup. C’est déjà un enjeu de trouver un bon fit avec un.e psy, ça demande de magasiner, de changer plusieurs fois… Tout ça pour un prix exorbitant, évidemment, et qui demande de recommencer le processus chaque fois. Et, ça ne garantit rien contre le risque de tomber sur quelqu’un.e qui, au lieu de faire du bien, blesse. Je ne parle pas d’un.e psy qui va là où ça fait mal, qui te confronte à tes blessures, parce que, pour certaines personnes, c’est une bonne technique. Je parle plutôt de tomber sur un.e psy qui ne comprend pas tes problèmes, invalide tes sentiments ou laisse transparaître un jugement biaisé… D’où le fait que certaines personnes queer cherchent un.e psy queer, que des personnes noires cherchent un.e psy noire… Ce qui est supposé être le safe space par excellence ne l’est malheureusement pas toujours.
Tout ça pour dire que je me sens choyée avec ma psy. Même si ça devrait être normal. Et ça tient à deux choses particulièrement, qui peuvent sembler petites pour d’autres, mais qui sont énormes pour moi.
De un, c’est son ouverture d’esprit que j’ai pu constater tout de suite. Je me souviens du moment où on parlait de relations, amoureuses et sexuelles. La manière avec laquelle ma psy a formulé sa phrase indiquait qu’elle ne supposait pas que j’étais intéressée (que) par les hommes. Pour moi, qui doit éventuellement dealer avec la complexité qu’amène l’exploration de ma bisexualité, ça a été comme une couverte douce de me sentir validée comme ça. Je sais que lorsque nous arriverons à ce sujet, je serai plus confortable de m’ouvrir avec elle là-dessus, d’explorer avec elle comment ça se fait que je trouve ça d’autant plus difficile d’approcher des femmes, alors que dater des hommes me semble si facile.
De deux, c’est le fait qu’elle crée un espace où mes sentiments sont validés sans exception. C’est, en grande partie, ce qui m’a convaincue de poursuivre les rencontres avec cette psy-là, de commencer un vrai processus de thérapie (et de payer!). J’ose espérer que c’est une caractéristique de tout.e bon.ne psy, mais reste que ça me fait tellement de bien d’entendre que les émotions qui me prennent d’assault et me coupent le souffle sont intéressantes, dignes d’être écoutées, examinées, qu’elles valent la peine d’être vécues. Que je n’ai pas besoin de les repousser profondément, d’en avoir honte, de me nier comme ça. Elle me dit que ça l’intéresse peu en fait que je lui parle de mon côté rationnel, qui sait bien que les choses sont toujours moins pires que je le pense. Ce qu’on travaille ensemble, c’est justement l’autre côté, celui où les émotions me revirent de bord sans que je les comprenne, c’est la voix qui me dit les pires affaires.
Avant de me décider à voir une psy, j’ai pourtant passé une couple de mois à essayer de rationaliser mes réactions pour éteindre mes émotions (obviously sans succès). Me faire dire que c’est pas le chemin rationnel qui m’aidera, qu’il faut que je vive ces émotions sans honte, ça a changé profondément ma perspective de moi-même et de la thérapie.
En fait, j’ai jamais été celle qui sait cacher ses émotions, ça fait longtemps que j’ai abandonné d’essayer d’être comme ça. Par contre, si j’ai pas le choix de les montrer, je les diminue tout le temps. Je me parle et je m’explique aux gens autour de moi :
Oui je suis triste, mais c’est con, je sais bien que c’est pas rationnel.
Oui je suis fâchée, mais je sais que j’ai pas de bonne raison de l’être, donc ignorez-moi un bout et ça va passer.
Je sais, je devrais avoir confiance en moi, je suis bonne, belle et capable, je devrais passer par-dessus mon malaise profond quand je me regarde dans le miroir.
Chuuuuuut.
Je ne veux pas déranger, je ne veux pas vivre ces émotions négatives, je ne veux pas être lourde. Je suis arrivée en thérapie en cherchant comment moins vivre ces émotions-là. Je pensais sincèrement que j’allais, avec ma psy, renforcer cette voix rationnelle qui sait bien que non, mes ami.e.s ne sont pas tous et toutes en train de me rejeter. Que non, mon coloc n’a pas fait ça pour m’envoyer chier. Que non, je suis pas laide, et qu’en fait on s’en sacre.
Je me rends donc compte que ces émotions-là, je vais devoir plutôt me laisser les vivre. Les observer, les analyser, souhaiter qu’elles me décâlissent moins, oui, mais pas en avoir honte et m’auto-flageller parce que je les ressens. Parce que ça marche juste clairement pas de m’en vouloir de ressentir. Ça les rend souvent pires. Quand ma psy m’a expliqué ça… Ça m’a rentré dedans. Je continue d’essayer de comprendre ça veut dire quoi pour vrai, ne pas avoir honte de ce que je ressens. Accueillir mes émotions sans jugement. Ne pas dévaloriser les émotions que je ressens et les exprimer.
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Cela dit, j’ai quand même vécu, et je vis encore souvent, le sentiment d’imposteure en thérapie. Ce maudit sentiment-là prend vraiment pas de break sérieux. Tsé, qu’est-ce que j’ai vécu de si pire pour être là? Je manque de presque rien, j’ai pas réellement de VRAIS problèmes, non? Voyons les gens vivent des traumas horribles et continuent leur vie, tu vas pas me dire que t’es pas capable de t’en tirer toute seule comme une grande? Le sentiment que je ne mérite pas de prendre ce temps pour moi, de me payer ce « luxe » (à cause du prix on s’entend, dans les faits c’est une nécessité)… Alors que tous les jours, je parle à des gens dans le cadre de mon travail qui auraient vraiment plus besoin de cette aide-là que moi, qui suit privilégiée.
Quand ma psy m’a demandé, à la première rencontre, comment je voyais le début de ce processus, comment je me sentais, j’ai juste su répondre que j’avais l’impression que j’avais pas d’affaire à avoir besoin d’aide. Nevermind que je me sens sur le bord du burn out trop souvent ces temps-ci, et que des fois l’anxiété ou la tristesse me submergent tellement que je suis pas fonctionnelle, au travail surtout. Que je sens ma confiance en moi dans les bas fonds solide. En plus, cette thérapie me coûte plus cher que mon loyer (eh oui criss, à quand la considération de la santé mentale comme importante, pour vrai?). Je mets tout cet argent là-dedans, pour quoi faire? Pour dealer avec quoi? J’ai beau savoir rationnellement que je me fais une fleur à moi-même d’investir dans ma santé mentale, et que personne a besoin d’avoir vécu un niveau tel de traumatisme pour profiter d’une thérapie… Je l’ai déjà dit, ma voix rationnelle ne gagne plus depuis un bout anyway.
Pas besoin de vous dire que ma psy m’a rassurée (et, d’ailleurs, qu’elle est super compréhensive niveau paiements!), et que chaque rencontre depuis me prouve que le processus est important. Ou presque, parce qu’on a des temps morts parfois… Mais j’essaie de ne pas m’en faire trop avec ça, de ne pas être dans la performance pendant ma thérapie; ce serait ben le boutte de la marde.
J’ai beaucoup de chance de pouvoir faire le choix de commencer une thérapie, et d’être tombée sur une psy qui matche, du premier coup. Je vais tenter d’utiliser cette chance-là sans trop de culpabilité pour reprendre de la force.
Après, je viens de commencer et je sais pas ce qui m’attend. Mais les quelques rencontres ont déjà ouvert des portes que j’avais pas vues venir…
La Perdrix
Travailleuse dans le milieu communautaire et presque détentrice d’une maitrîse en études féministes, La Perdrix est une jeune femme qui adore être en mode occupée tout le temps. Forte et fragile à la fois, elle peut déménager tes meubles et pleurer en lisant un livre. Rien ne lui fait plus plaisir que de défier des stéréotypes, ou voir quelqu’un renverser des idées préconçues.
Pour lire le dernier article de La Perdrix – Je suis à sec – c’est ici!