Illustration : Garance (@garancebb)
Début décembre, je suis tombée vraiment malade. C’était ma semaine de formation pour un nouvel emploi… Et j’avais rarement été aussi pas bien, et aussi longtemps (oui, j’ai été chanceuse dans ma vie). En tout, j’ai été malade trois semaines, mais un bon deux semaines incapable de manger, incroyablement faible, juste… À terre.
Fait que mes menstruations, je peux tu te dire que j’y ai pas pensé? Mon application de suivi me disait que j’étais en retard, mais mon corps combattait une infection vraiment intense, ça se peut qu’il se concentre là-dessus, non? (non).
Une fois que mon énergie est un peu revenue, je partais en voyage une semaine au Mexique. Je me suis dit, une fois que je vais relaxer là-bas, ça va arriver, ça se peut non? (non).
En revenant, je me suis dit, peut-être que de pas être chez nous, pas 100% à l’aise, ça a eu un effet, puis mes règles vont déclencher en rentrant chez moi, c’est logique non? (non).
C’est pas arrivé. J’étais en retard d’un mois et demi. Fallait que je me rende à l’évidence. J’ai réalisé le tout le 27 décembre, dans un chalet pour Noël avec ma famille (pire moment). En rentrant chez nous, j’ai fais le test. J’ai eu peine à croire mes yeux en voyant les deux petites lignes. Je partais le lendemain pour un autre voyage, à New York pour le nouvel an (je sais, gros “congé” des fêtes).
Saviez-vous que la majorité des cliniques d’avortement ferment pour les fêtes? Je l’ai appris en les appelant à partir de New York. Tout le monde a besoin de vacances, c’est clair, mais mettons que ça a pas aidé mon stress. Les professionnelles avec qui je réussissais à parler me disaient de me grouiller, parce que mes règles dataient du 12 novembre… J’étais possiblement déjà enceinte de presque deux mois. Juste le mot… Argh, ça me faisait frissonner.
J’ai finalement réussi à avoir un rendez-vous pour la mi-janvier. Ça m’a permis de fêter le nouvel an sans trop être préoccupée. J’ai levé mon verre comme tout le monde, fait le party comme tout le monde, comme si j’avais pas de l’inquiétude qui grandissait dans mon ventre. J’ai consciemment ignoré la voix dans ma tête qui me chuchotait « ben voyons, t’es pas supposée boire, t’es enceinte! » Le premier verre feelait pas pareil quand même.
Après ça, ça a passé vite. Je suis revenue de voyage, j’ai fini mes vacances, j’ai commencé mon nouvel emploi. Je me suis réveillée et c’était le jour de mon rendez-vous. Ce vendredi matin-là de janvier, je me suis rendue en voiture à la clinique, où ma sœur m’a rejointe pour me ramener. On m’avait dit que je ne pourrais pas revenir seule.
Dès le début, on m’a entourée de manière à ce que je me sente super confortable. Une infirmière a pris mes infos, m’a fait refaire un test (spoiler, j’étais bien enceinte). Elle m’a fait choisir un moyen de contraception pour pas que ça se reproduise; elle m’a expliqué comment la médecin allait installer un stérilet en cuivre juste après l’avortement.
Elle m’a demandé une seule fois : « Es-tu sûre de ta décision? Vis-tu des pressions pour faire ce que tu fais aujourd’hui? » J’ai répondu « oui, je suis extrêmement sûre, et c’est 100% ma décision ». On est rapidement passée à autre chose.
Elle m’a montré la salle où j’allais me reposer après la procédure; déjà, deux-trois personnes étaient couchées dans les lits ou mangeaient des biscuits avec du jus. On aurait dit la salle où tu vas après avoir donné du sang, mais non-mixte. Ça m’a curieusement rassurée.
C’était vraiment un endroit confortable, surtout comparé au cabinet de médecin chez qui j’avais été faire un complètement inutile test de sang pour être sûre que j’étais enceinte (merci les mauvais conseils du 811). Le bureau de médecin était spécialisé en suivi de grossesse… alors que moi c’était le genre de contraire. La médecin m’avait demandé si le père était d’accord que je demande une interruption de grossesse (!!), et l’infirmière m’avait souhaité à demi mots que je sois bien enceinte, pensant que c’est ce que je voulais (!!). Les deux fois, j’avais bafouillé une réponse. Les deux étaient habituées à voir passer des gens souhaitant de tout coeur avoir des enfants. J’ai jamais eu de nouvelles de ce bureau de médecin. Je me demande encore pourquoi je me suis fait violence pour aller là?
À l’opposé, à la clinique d’avortement, je me suis sentie comprise à chaque étape. Quand ça a été mon tour, j’ai retrouvé l’infirmière qui m’avait si bien accompagnée, et une médecin qui m’a accueillie vraiment chaleureusement. L’impression que j’avais que j’étais ni sa première ni sa dernière patiente de la journée (ce qui était d’ailleurs prouvé par les autres personnes dans la salle de réveil) et l’ambiance relaxe me suggéraient que ce n’était pas un big deal ce que j’étais en train de faire là. C’est vrai que c’est une procédure relativement ordinaire au niveau médical. Pour celleux qui doutent encore que c’est tout à fait sécuritaire; comme l’a prouvé une étude américaine, un avortement pose moins de risques de mortalité qu’un accouchement (voir l’étude ici si ça vous tente!). Ça m’a rassurée de connaître des stats de même. Je suis entrée dans la salle relativement calme.
Une chance que j’avais ce feeling positif-là, parce qu’après c’était quand même pas ordinaire. Se déshabiller, se mettre les pieds dans les étriers, c’est déjà tellement vulnérable (chaque personne ayant suivi un examen en gynécologie le sait!). Au moins, la médecin me prévenait de chacun de ses gestes, de la température et la taille des instruments utilisés et de ce que je devrais ou pas sentir (un pincement, mais pas de douleur, quelque chose de froid, mais pas de tiraillement). Un bel exemple de comment demander le consentement pendant un examen médical, ce que le Collège des médecins semble avoir de la misère à comprendre.
On m’a piqué le bras avec quelque chose doublé de fentanyl, et j’ai pas mal arrêté de penser. On m’a prévenue que ça ferait passer le temps plus vite, quoiqu’à la base c’est vraiment pas une procédure très longue. Un genre de 5 minutes plus tard (dans ma tête), c’était fini, over, done.
Je me suis rhabillée, un peu en manque d’équilibre, j’ai été me coucher dans la petite salle avec mon choix de biscuits (pépites de chocolat). Après un certain temps, je suis descendue et sortie. En attendant que ma sœur ramène la voiture, j’ai vomi dans la poubelle du voisin de la clinique (oups). Ma sœur m’a acheté des chips assaisonnées Ruffles (mes prefs) et un coussin chauffant, et je suis allée me recoucher. J’ai traversé toutes les étapes comme un robot.
J’ai été chanceuse. Une semaine sans relations sexuelles (pour éviter les infections). Des saignements, mais pas tant que ça et pas si longtemps. J’ai pas eu le soutien de mon partenaire pour le rendez-vous en tant que tel, mais je l’ai heureusement eu après. La clinique était proche de chez moi. Le rendez-vous était entièrement gratuit.
À chaque fois que je pense à ce jour-là, je pense à celles qui n’ont pas ma chance. Mais pas trop longtemps, parce que je me mets à capoter. Je peux pas imaginer le stress que j’aurais vécu, en plus de celui que j’avais, si j’avais dû voyager loin pour me faire avorter comme si j’habitais en Alberta (y’a que deux cliniques), ou en Saskatchewan (le gouvernement paie pour le voyage jusqu’aux cliniques albertaines… c’est un voyage, pareil!), ou alors payer des centaines de dollars comme dans les Maritimes, où les avortements ne sont gratuits que dans les hôpitaux, qui n’arrivent pas à répondre à la demande. Le droit à l’avortement n’est pas acquis également partout au Canada.
Les élections fédérales finissent bientôt, et je ne peux m’empêcher de me sentir extrêmement inquiète de la situation du droit à l’avortement au Canada. Les cinémas Guzzo ont passé un film anti-avortement. Les mouvements anti-choix canadiens ont un plan d’attaque pour faire reculer nos droits. Je regarde tout ça et je me sens tellement, tellement dépassée. Au moment d’écrire ces lignes, j’aurais accouché!… Je ne peux pas concevoir un monde où on m’aurait obligée – alors que j’essaie de terminer ma maîtrise et que je commence un nouvel emploi, que je m’implique et que je profite pleinement de ma jeunesse – à avoir un enfant. Ça me dépasse.
Sinon, je pense à quelques regrets. J’ai regretté de pas avoir pris un autre type de contraception après avoir arrêté les hormones quelques mois avant (ce qui restait une bonne décision, voir l’autre texte). J’ai regretté de ne pas avoir insisté pour que mon partenaire m’accompagne dans ce rendez-vous médical qui était autant sa responsabilité que la mienne, en fait. J’ai regretté d’avoir attendu aussi longtemps avant de faire face au fait qu’un tel retard dans les menstruations, ce n’était pas normal, même si j’étais malade.
Mais je n’ai jamais, jamais regretté mon avortement.
La Perdrix
Candidate à la maîtrise et militante féministe, La Perdrix est une jeune femme qui adore être en mode occupée tout le temps. Forte et fragile à la fois, elle peut déménager tes meubles et pleurer en lisant un livre. Rien ne lui fait plus plaisir que de défier des stéréotypes, ou voir quelqu’un renverser des idées préconçues.
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