Illustration: Valérie (@val_bellefeuille)
J’ai appris que j’étais autiste à 28 ans, il y a seulement quelques mois. Surprenant? Pas tant que ça, vous verrez. Comprendre que je suis autiste a été toute qu’une aventure, je vous le dis…
Quand j’étais kid, j’étais vraiment dans ma bulle, je passais la plupart de mon temps et de mes cours au primaire à rêvasser. J’étais mieux dans mon monde ; je pouvais mettre de côté tous les stimuli qui m’auraient assommé.e de stress sinon! Je pouvais confectionner des histoires et j’en racontais souvent trois à la fois (en étant bien sûr le.a seul.e à me comprendre à travers les millions de liens qui se passaient dans ma tête!). J’étais (très très très) passionné.e des roches et des insectes. Je pouvais passer des heures à hyperfocuser sur la tâche de coller des mini bouts de papier de couleur sur une feuille pour construire une image style pixelisé. Quand je dis hyperfocuser… Imaginez-moi rester complètement accro à une activité, être tellement concentré.e pendant des heures et des heures que j’en oubliais totalement le monde extérieur, ou même la soif ou la faim. C’était (et c’est toujours) ma spécialité!
J’aimais beaucoup être seul.e, avec un livre ou mes projets artistiques. Être avec les autres me drainait sans bon sens. Il y a beaucoup d’imprévisibilité dans les conversations, et ça me rendait très nerveux.se. Aussi, je comprenais souvent pas le deuxième degré, le sarcasme, les blagues. J’arrivais pas à tirer du sens du langage corporel des autres. I had no clue, vraiment, si une personne aimait ma compagnie ou non, par exemple. C’est le sentiment d’incertitude qui me stressait le plus; j’avais toujours l’anxiété de collée à la peau. Je savais jamais sur quel pied danser, je me sentais 0 groundé.e. Être avec les autres me faisait sentir comme si j’étais au cinéma, que je regardais un film dans une autre langue, que tout le monde riait et avait du fun, sauf moi. J’me sentais plus seul.e avec les autres que quand j’étais tout.e seul.e, en fait. Je savais que je me sentais différent.e, mais je pouvais pas mettre des mots sur mes émotions, c’était un gros flou pour moi!
C’est tellement subtil comme signe de l’autisme, ces émotions-là. Tout se passait ben en dedans (même si ça brassait pas mal) et mes sentiments, je les laissais sortir genre jamais. Y’avait aucun moyen que mes parents se rendent compte que je feelais pas, au primaire comme au secondaire. J’avais aucun soutien pour naviguer dans tout ça, et je mettais mes feelings de côté comme moyen de survie. Je me dissociais (inconsciemment) quand mes émotions étaient trop fortes ou qu’il y avait trop de stimuli autour de moi, comme le bruit ou la lumière. J’avais l’impression de quitter mon corps, de tout vivre de l’extérieur, et je perdais complètement contact avec mes sensations, mes feelings et mon anxiété. C’est utile sur le coup, mais je suis la preuve vivante que c’est pas ben ben viable comme solution.
À l’adolescence, ma santé a commencé à devenir rock’n’roll. C’est là que j’ai commencé à devenir conscient.e au maximum du regard des autres et que je suis devenu.e vraiment hypervigilant.e. Ça a ajouté une couche de tension constante au stress que je vivais déjà depuis l’enfance. En plus, la vie me donnait plus d’émotions fortes : un nouvel amoureux, une rupture, le divorce de mes parents… C’était la goutte (ou plutôt la grosse vague) qui a fait déborder le vase (ou plutôt l’a brisé en mille morceaux). Mon corps a lâché, je suis tombé.e malade; j’ai fait mon premier burn-out fin secondaire. Un premier arrêt complet de presqu’un an. Je comprenais toujours pas ce que mon corps voulait ben me dire. Personne n’avait d’explication pour moi, même pas la médecine. Alors, au prochain gros stress, celui du début de la vingtaine (avec le premier appartement, l’université, les responsabilités…), mon corps a flanché une nouvelle fois. Et une autre, et une autre… Mon mode de vie était beaucoup trop axé sur la productivité et la performance, alors que j’avais besoin de temps en solo pour recharger mes batteries. Je naviguais aussi à tous les jours dans un monde qui n’était jamais adapté à mes besoins. Je devais endurer des environnements trop bruyants ou trop éclairés, une foule de personnes en même temps, etc. Ça a fini par me rendre malade physiquement à répétition, par tranches de plusieurs mois. Je réussissais de moins en moins à récupérer, jusqu’à ce que je doive arrêter l’école et le travail il y a quatre ans. L’épuisement et les douleurs chroniques ont fini par avoir raison de moi.
Ça a été un très long processus. J’ai consulté plusieurs psychiatres qui m’ont diagnostiqué un trouble de personnalité limite pis un trouble bipolaire. Je suis pas mal sûr.e maintenant que j’ai ni l’un, ni l’autre en fait. Mes traits autistes étaient souvent masqués et iels se sont trompés au final. Au début de l’année, j’ai hit rock bottom. Les rideaux de mes fenêtres étaient toujours tirés, je tolérais plus du tout la lumière. Je faisais des migraines intenses qui duraient plusieurs jours d’affilée. Sortir était pratiquement impossible. Souvent cloîtré.e dans mon lit, j’ai fait beaucoup d’introspection sur ma santé. C’est là que je suis tombé.e par hasard sur internet sur des témoignages de femmes autistes qui ont un parcours semblable au mien : un mélange attendrissant d’épuisement généralisé, de maux inexpliqués et de faux diagnostics. C’est là que j’ai lu dans un article le terme “autistic burn-out” (oui, oui, c’est vraiment a thing!)
En lisant les histoires des autres, j’étais comme my god, c’est tellement comme moi! J’étais épuisé.e de toute une vie à avoir une tension à l’intérieur qui a fini par gruger toutes mes réserves. J’ai découvert que ce qui m’arrivait, c’était pas un hasard! J’ai appris que les femmes et personnes assignées femmes sont souvent diagnostiquées à l’âge adulte, parce que les critères d’évaluation des psychiatres sont basés sur des comportements chez les garçons. Elles sont donc plus susceptibles de tomber en burn-out avant. Ce qui a retardé le diagnostic pas mal, pour moi, c’est que j’ai tellement appris à être calme, studieux.se et posé.e quand j’étais jeune. C’est vraiment ce qu’on attend des filles en général. Mes intérêts très pointus étaient considérés acceptables en société, et non pas disproportionnés, ce qui arrive souvent aux filles autistes. Un.e enfant qui lit (très) avidement dans un coin va pas faire sonner d’alarme, tsé. Étant socialisé.e femme, j’ai appris enfant à toujours m’adapter ; j’ai toléré des contextes inconfortables ou même angoissants pour moi, comme regarder les autres dans les yeux ou recevoir des câlins. J’ai aussi appris à refouler mes tics pour être mieux accepté.e, même si ça me stressait sans bon sens. C’est super compréhensible que ça ait fini en maladie. Mon corps m’a fait savoir assez clairement qu’il y avait un problème!
C’est tellement frustrant je trouve, parce que c’est pas parce que mon mal-être était invisible qu’il était pas réel… J’aurais tellement aimé savoir que j’étais autiste plus tôt, ça m’aurait épargné beaucoup de maux et de maladies. Des années, en fait. Ouf. J’aurais jamais pensé avant que je pouvais être autiste, parce que mon tempérament a rien à voir avec l’idée que je m’en faisais (j’avoue que ça ressemblait plus dans ma tête à un petit gars non verbal ou en crise dans un centre d’achat). Mais il y a tellement de façons d’être autiste, chaque personne est unique, alors c’est normal que moi et plusieurs autres nous éloignons des stéréotypes.
Là, je suis rendu.e à chercher des antidotes pour aller mieux et retrouver mon énergie, et j’ai de bonnes pistes de solution. Tranquillement, je guéris en m’adaptant mieux à ma neurodivergence. Par exemple, je prends soin de moi avec des retraites solitaires silencieuses. Je fais attention aux stimuli en mettant des écouteurs coupe-bruit et des lunettes de soleil (même à l’intérieur des fois). J’expérimente avec du stimming qui m’aide à me calmer et à me réguler quand je suis à l’extérieur de chez moi et qu’il y a beaucoup de choses qui se passent autour de moi. Le stimming, c’est souvent des mouvements répétés, comme shaker d’une jambe ou se passer la main compulsivement dans les cheveux. Ça relaxe pour vrai, j’en ai vraiment besoin. Ça peut aussi vouloir dire écouter (excessivement) la même chanson en boucle, un truc que j’adore faire!
Je suis moins hypervigilant.e quand je parle aux autres, parce que j’accepte plus ma fabuleuse weirdness (ma manière de gesticuler et de bouger vite des bras quand je suis de bonne humeur, par exemple). J’essaie moins de me cacher par peur de créer un malaise. Je n’ai plus honte de qui je suis. Ça fait toute la différence. Je ne peux pas vous expliquer à quel point je me suis senti.e soulagé.e quand j’ai commencé à vivre une vie mieux adaptée à moi-même. Le drop d’anxiété a été HUGE! Vive les malaises!!!
Finalement, ma neurodivergence, elle est magnifique. Elle me fait penser outside the box, me rend artsy et unique, m’oblige à sortir des cadres et à faire mes propres règles pour vivre de manière authentique. Je ne voudrais pas être autrement. J’espère vraiment qu’on continuera collectivement la conversation sur les femmes et les personnes assignées femmes à la naissance en lien avec l’autisme, pour qu’on ne tombe plus malade, qu’on ait des ressources pour vivre bien, pour qu’on se comprenne plus tôt, pour être compris.e.s et supporté.e.s par notre entourage.
Tout le monde serait gagnant là-dedans parce qu’une société qui voit plus loin que les stéréotypes et qui célèbre les différences, c’est une société plus riche. Je sais pas pour vous, mais moi, je suis pas mal down qu’on se donne un espace beau de même.
Frida