Illustration : Layloo (@mycrazycolouredmind)
Germaine : nom féminin désignant une femme qui gère et qui mène. Conception de l’univers populaire québécois qui décrit l’image d’une femme autoritaire, intransigeante, étouffante, contrôlante, chiante…
J’ai grandi avec cette image super négative de la Germaine tout autour de moi. Je la voyais, caricaturée à outrance à la télé et dans la pub, et j’entendais mon entourage lui remettre beaucoup de choses sur le dos. Ses problèmes de couple, son stress, ses frustrations, ses difficultés relationnelles au travail, tout ça était apparemment de sa faute, parce qu’elle était trop stuck-up. Alors je me suis jurée que je ne deviendrais jamais cette femme, parce que ça voulait dire, à mes yeux, devenir frustrée et chiante et se mettre tout le monde à dos. Et comme dans cette vision des choses, la seule responsable de la situation déplaisante est la Germaine, j’ai toujours cru qu’il ne tenait qu’à moi de ne pas en devenir une, qu’il me suffisait de le vouloir assez fort pour que tout se passe merveilleusement bien dans le meilleur des mondes. J’en était legit persuadée (oui, je sais, des fois j’imagine un peu des contes de fées dans ma tête quand je pense à mon futur…)!
Jusqu’à l’automne dernier, quand je suis tombée sur un article de Lili Boisvert en scrollant sur mon feed – Non, la Germaine n’est pas une preuve qu’on vit dans un matriarcat. Dans son texte, elle déconstruit l’idée que la société québécoise est un matriarcat, idée souvent backée par le concept de la Germaine. Bon ok, jusque là, rien de surprenant, tout était dans le titre. Ce qui m’a jetée à terre par contre, c’est son argumentaire qui s’appuyait sur le concept de la charge mentale. Ça m’a jetée à terre parce que je me suis reconnue dans son article. Oui oui, moi, la fille qui croyait encore à la magie, je venais de me rendre compte que j’étais devenue une Germaine. Bienvenue dans le monde des adultes ma grande!
Bon ok, petite mise en contexte. À ce moment-là, j’étais en appart avec ma copine de l’époque, maintenant devenue mon ex, pis un couple de ses ami.e.s à elle. On était donc deux couples. Trois femmes et un homme. Quatre adultes aux études à temps plein. Quatre adultes qui habitent en appartement depuis plusieurs années, et qui sont donc supposé.e.s être en mesure de se gérer. Pis, avant de signer notre bail l’hiver d’avant, on s’était entendu.e.s sur plusieurs affaires. On partagerait les tâches ménagères équitablement entre nous quatre, obviously. On partagerait aussi la bouffe, donc tout le monde serait en charge de faire l’épicerie, les repas et les lunchs pour tout le monde, mais pas besoin de faire des règles précises, ça va juste se placer tout seul, selon mes futur.e.s (maintenant ancien.ne.s) colocs. Ok, d’accord, on verra ben.
Au début, pendant l’été, ça s’est super bien passé. Pas surprenant, vous me direz, considérant qu’on était les quatre en vacances à l’extérieur du pays. Blague à part, les deux dernières semaines avant la rentrée, passées seule à l’appart avec mon ex, encore sur le rythme des vacances, ont été géniales. Ça s’est gâté avec le début de la session et le retour de nos colocs.
Les quelques premières semaines, le partage des tâches était relativement équilibré. Sauf que mon coloc, le seul homme de l’appart, en faisait clairement moins que nous trois. Mais sa blonde en faisait plus pour compenser. Ça dérangeait mon âme de féministe, mais bon, c’était pas de mes affaires, j’avais pas à m’immiscer dans leur couple; tant que les choses à faire étaient faites.
Mais tranquillement, le stress, la charge de travail de leurs sessions, la fatigue, leurs horaires surchargés ont commencé à prendre le dessus sur les tâches ménagères, pis je me suis mise à en faire un peu plus pour compenser, pour aider. Parce que c’était toujours pour des bonnes raisons. J’ai vraiment pas le temps cette semaine, j’ai un super gros projet à remettre dans quelques jours. Je suis désolée, j’ai rien fait, je viens juste de changer ma médication pis je suis vraiment épuisée. J’avais pas prévu que mes cours seraient aussi demandants, j’aurais pas dû en prendre autant, j’arrive vraiment pas à gérer mon horaire. Pis moi, gentille, compréhensive, je prenais ça sur mes épaules, en me disant que ça allait se placer, que c’était temporaire, que c’était juste une question de quelques jours, ou au pire quelques semaines.
Mais évidemment, si j’en parle maintenant dans ce texte, c’est que ça ne s’est pas replacé. Au contraire, ça a continué à empirer. Je m’occupais de faire l’épicerie et de préparer à manger, sans jamais savoir s’il en resterait pour mon lunch du lendemain après la fringale nocturne de mon coloc qui rentrait toujours à pas d’heure. Je faisais la vaisselle. Je passais le balai. Je ramassais les trucs qui trainaient dans les pièces communes. Je réparais les trucs cassés.
Je pense qu’une partie du problème venait du fait que, faisant la moitié de mes cours à distance cette session-là, je passais beaucoup plus de temps à l’appart que mes colocs qui n’étaient legit jamais là, faque ma tolérance au bordel et à la crasse était beaucoup moins grande vu que je vivais dedans à longueur de journée. Pis c’était difficile d’en parler considérant qu’on n’était jamais les quatre à l’appart en même temps. Faque la situation a fait boule de neige pis je me suis retrouvée dans un esti de cercle vicieux de marde.
J’étais rendue stressée, frustrée, aigrie. Fatiguée à cause de la charge mentale que j’avais sur les épaules. Je me sentais de plus en plus seule, isolée. Sans parler de mon couple qui battait de l’aile. Je me sentais diminuée dans ma/mes relation.s. Faque je me réfugiais dans les tâches ménagères, parce que ça m’occupait les mains, que ça faisait une différence positive dans mon niveau de confort à la maison et que ça, au moins, j’arrivais à bien le faire. On se valorise comme on peut, hein!
Le problème c’est que ça alimentait le cercle vicieux. C’est pas grave de pas faire X tâche, de toute façon Padmé va s’en occuper au final. Donc, tout retombait sur moi. Donc, augmentation de mon stress et de ma charge mentale, et donc de ma frustration. Donc, besoin de valorisation. Donc, refuge dans les tâches ménagères. And so on and so forth. Je pense que vous avez compris.
Je me suis rendue jusqu’à un point où j’avais l’impression d’être une mère monoparentale avec 3 ados qui foutent rien, qui disent jamais merci et qui en plus se plaignent qu’on mange toujours la même chose… J’en pouvais pu, je savais pu quoi faire. J’avais parfois juste envie de leur crier après. Come on, grow up, t’es un.e adulte toi aussi, je devrais pas avoir à t’entretenir comme ça!
Finalement, au courant de l’hiver, mon couple a explosé de façon assez violente, pis après quelques semaines de cohabitation hostile, j’ai fini par partir.
Mais bien que je me sois sortie de cette situation-là, je continue d’y penser, parce que je veux pas la revivre dans le futur, mais que je sais pas comment l’éviter. Parce qu’on va se le dire, je prétends pas être parfaite, je sais que j’ai mes torts dans cette histoire-là. Je suis exigeante, envers moi-même et envers les autres. Je suis perfectionniste et je sais ce que je veux, pis j’aime que les choses bougent. Mais depuis quand est-ce que c’est considéré être un défaut d’avoir de la force de caractère? La Germaine, elle gère et elle mène. En soi, c’est fucking pas un défaut! Elle est organisée que’l’crisse pis a du leadership comme ça se peut pas. Moi je trouve que c’est pas mal hot comme CV, je l’engagerais pour être à la tête d’une compagnie!
Mais c’est justement ça le problème. La Germaine, elle est pas à la tête d’une compagnie, elle est aux commandes d’une maison, et bien souvent d’une famille. Pis son rôle de cheffe/gestionnaire/leader, on ne lui a pas proposé, on le lui a imposé. Et, contrairement au milieu du travail, elle n’est pas payée, ni même valorisée, pour toutte le travail invisible de gestion et d’organisation qu’elle fait. Pourquoi? Parce que la vie domestique, les enfants, les tâches ménagères, c’est encore considéré principalement comme la responsabilité des femmes. Parce que les femmes sont encore éduquées pour être plus exigeantes face aux tâches ménagères. Alors, la Germaine se retrouve prise entre l’arbre et l’écorce : subir le stress de la charge mentale en silence ou alors passer pour une dictatrice mais espérer arriver à partager le travail.
Au final, après toute cette réflexion, même si j’ai pas mal réussi à déconstruire ma perception négative de la Germaine, je me questionne toujours. Comment trouver un équilibre entre les besoins de chacun.e pour que toustes soient satisfait.e.s? Comment arriver à un partage équitable de la charge mentale quand on n’a pas eu la même éducation et qu’on n’a ni les mêmes attentes ni les mêmes critères de satisfaction face aux tâches ménagères que les personnes avec qui on habite? Où tracer la ligne entre son besoin de confort, son besoin que les choses soient bien faites, et son besoin de se libérer d’une partie de la charge mentale? Comment exprimer son besoin d’une plus grande collaboration – pas juste de l’aide là, de la collaboration; ça ne devrait pas être à une seule personne de tout planifier/réfléchir – sans avoir l’air d’une dictatrice? Comment, à l’échelle sociale, arriver à établir un équilibre réel dans le partage des tâches ménagères entre les hommes et les femmes? Bref, comment réussir à être satisfaite de sa vie à plusieurs sans subir toutte cet esti de stress lié à la charge mentale?
Si vous avez des idées, c’est le moment de les partager, parce que je cherche encore la solution!
PS : En cherchant sur les différentes définitions possibles de la Germaine, je suis tombée sur un article qui avait créé un genre d’équivalent masculin : le Gérard. Comme dans Gérarement l’initiative de faire l’épicerie/le ménage/le lavage/les repas/les lunchs/la planification des vacances/la prise de rendez-vous médicaux/…
Autoritaire,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Longue en esti la route vers la guérison – c’est ici!
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