Illustration: Valérie (@val_bellefeuille)
Être la préférée, la meilleure, la plus performante, la plus énergique, la plus gentille, la plus sociable, la plus ouverte, la plus…. Je suis épuisée juste d’écrire tout ça.
Y’est arrivé un moment, j’sais pas quand, où je me suis dit que si je serais jamais la plus belle, la plus mince, la plus chixe, je serais au moins celle qui travaillerait le plus fort et serait toujours disponible pour écouter les problèmes des autres. Je ferais tout pour être la préférée. Ça m’a mise dans un pattern dans lequel je me mets une pression pas possible juste pour espérer qu’on continue de me permettre de faire partie d’un groupe, d’être dans un espace, d’exister.
Ça me fait travailler tellement fort. J’analyse constamment mes alentours pour être sûre que je matche l’énergie, l’apparence et la vibe des autres… Je me renseigne avant d’aller à n’importe quel endroit; je regarde des photos, je vérifie les commentaires en ligne pour voir si l’endroit est accueillant, je pose des questions à quelqu’un qui est allé pour voir comment c’est… Je veux m’assurer que je fit in, que je me démarque juste assez, mais pas trop, que je matche avec les autres, que je suis habillée ou maquillée de façon appropriée. Bref, que je dépasse pas. Si je suis pas sûre que je me sentirai 100% à ma place, c’est pas rare que je choke. Ou bien, si je dois me forcer pour y aller, ça me prend tout mon p’tit change (et c’est souvent correct finalement, mais je suis épuisée).
Ça me fait changer de personnalité plus que je voudrais l’admettre, être moins moi-même que je le souhaiterais. On peut mettre ça sur le dos de mon soleil en Gémeaux… Mais reste que je rêve de juste être des fois, pour vrai. Juste être confortable, pas calculer mes faits et gestes, mes paroles et ma posture…
Ça me fait surtout virer sul top quand je fais des erreurs. Si je me trompe, mon cerveau disjoncte et passe en mode survie. Tout de suite, je m’applique à réparer l’erreur avant que quelqu’un.e s’en rende compte, même si ça implique ben du temps, de l’argent ou des déplacements pour moi. Je m’excuse mille fois, j’achète des gogosses pour me faire pardonner, je pleure, je prends de mauvaises décisions… Je préfère faire 4h de char et brûler plein de gaz en pleine crise climatique pour cacher ou réparer une erreur, plutôt que de la révéler à quelqu’un et work it out plus simplement. Si par malheur je peux pas la réparer rapidement, je m’applique à la cacher. Si je ne peux pas, je repousse le plus possible le moment de devoir l’avouer, mais lorsque je le fais, tu peux être sûr.e que c’est assorti d’excuses, d’explications, voire de cadeaux pour me faire pardonner.
Et sais-tu ce qui est pas fair dans tout ça? Outre le fait que cacher ses erreurs ou courir partout pour les réparer au lieu de demander de l’aide c’est pas super, ben j’ai réalisé que c’est vraiment pas cool pour l’autre personne non plus, en fait. S’excuser autant, en faire tout un plat, ça met de la pression à l’autre personne de pardonner. Parce que devant quelqu’un qui est comme en détresse en avouant une erreur, ça se peut qu’on se sente obligé.e de dire « ben c’est correct là… » au lieu de dire quelque chose comme « OK c’est frustrant comme situation », ou « je suis fâché.e/frustré.e/dérangé.e, je vais prendre le temps d’y penser ».
J’ai souvent lu que trop s’excuser en offensant quelqu’un, c’est à éviter parce que le but de s’excuser, c’est de reconnaître une erreur. C’est pas fait pour apaiser la conscience de la personne qui a fuck up. Par exemple, si tu mégenres quelqu’un (que tu utilises le mauvais pronom d’une personne) et qu’elle te corrige, vaut souvent mieux dire « je m’excuse, je le referai pas », te corriger et continuer. Plutôt que d’en faire toute une affaire du genre « OH MON DIEU, je suis désolée! Je savais pas! Je m’excuse tellement, je le ferai plus, mon dieu je suis TELLEMENT désolée!!!! ». C’est trop intense, ça met le poids sur la personne possiblement blessée de te pardonner vite vite pour pouvoir passer à autre chose, et ça fait déraper toute la conversation.
De mon bord, j’ai fini par comprendre que c’était ma confiance en moi chancelante qui me faisait parfois faire des affaires qui dépassent ma pensée, dont m’excuser à outrance. En gros, je rentre dans un mode où j’agis sur la base d’émotions avant de pouvoir les analyser. Et ça peut avoir un effet négatif sur les autres. Et à la fin, je me sens pas bien non plus; une fois la poussière tombée, je me trouve vraiment lourde d’avoir envoyé trois courriels différents contenant des excuses parce que j’ai mal entré mes chiffres dans le logiciel comptable, tsé.
Permets-moi de piger dans la sagesse de ma psy pour m’expliquer. Imagine un triangle (ce serait le triangle de Beck et c’est important en thérapie cognitivo-comportementale, si ça t’intéresse). Dans un coin, les émotions, dans l’autre, les pensées, dans le troisième, les comportements/actions. C’est un triangle parce que nos pensées nous causent des émotions et nous font agir, les émotions nous font penser et nous font agir, et nos actions nous causent des émotions et nous font penser. En gros. Le truc qui importe, c’est que c’est normal d’avoir des émotions fortes par rapport, dans mon cas, à une erreur. Ça peut même me donner des pensées négatives, comme « je suis niaiseuse, tout le monde va voir mon erreur et me trouver conne, je suis pas fiable, je suis pas bonne…». Ces pensées-là vont aussi me causer des émotions pénibles, surtout de la honte (qui est une émotion terrible pour vrai). Par des actions (genre m’excuser mille fois), j’essaie de réguler ces émotions, pour essayer de faire descendre les pensées et sentiments négatifs que j’ai. Mais au final, d’autres émotions et pensées négatives se mettent à embarquer à cause de ces actions et le triangle continue à se répéter sans fin: je me suis trop excusée, je suis lourde, j’ai l’air encore plus niaiseuse, j’ai perdu plein de temps à régler mon erreur plutôt que de demander de l’aide…
Le but de toute cette réflexion sur le triangle, que je trouve aidant même si, honnêtement, j’ai pas encore appliqué grand chose, c’est que les pensées et émotions, elles seront toujours (ou presque) là, mais elles n’ont pas besoin de mener à des actions. Mon but, c’est de prendre un moment pour penser à ce que je ressens. « OK, j’ai fait une erreur. Je me trouve niaiseuse. D’accord, mais je sais que je n’ai pas moins de valeur comme humain parce que j’ai fait une erreur, right?». Prendre le temps de respirer. Me déposer, laisser l’erreur là quelque temps plutôt que de tout dropper pour la réparer. Idéalement, après quelque temps, l’erreur paraîtra moins pire, ou du moins pas liée à ma valeur, et je serai capable de prendre une décision bien plus éclairée sur quoi faire. Idéalement.
Ma psy m’a dit récemment que la vraie confiance en soi, celle qui est profonde et ancrée, ce n’est pas qu’elle est toujours haute, c’est plutôt qu’elle est stable. Si j’avais confiance en moi pour vrai, elle monterait peut-être un peu moins à des hauteurs vertigineuses lorsqu’on complimente mon travail ou que je sens que je manque à quelqu’un, mais surtout elle descendrait moins dans les bas-fonds lorsque je fais une erreur, que je me trompe, ou que je reçois un commentaire négatif. Aussi, tout mon stress pour fit in, toutes mes recherches préalables à me rendre quelque part, ben j’en aurais peut-être moins besoin. Si ma confiance était plus stable, j’aurais plus l’impression, je crois, que j’ai ma place dans un espace, comme je suis tout simplement. Je serais plus convaincue que je mérite le respect des autres même si j’suis pas habillée parfaitement, même si je me suis trompée de porte en rentrant, même si j’ris trop fort. Je le sais en fait, parce que dans mes meilleurs moments, quand ça roule trop bien dans ma vie, je vois bien mon aisance dans toutes sortes de situations, et ma plus grande résilience devant mes faux-pas.
Lorsque mon travail va bien, que je me sens appréciée et voulue dans un espace et que les compliments viennent jusqu’à moi, j’ai l’impression de toucher le ciel. C’est juste que ça tient jamais longtemps; ma confiance en moi, c’est un piedestal semi-détruit, avec des p’tits bouts qui tombent à tout moment. Mes fondations sont craquées, fragiles. Ce dont j’ai besoin dans le fond, c’est pas de trouver de nouvelles manières de gonfler ma confiance en moi, de monter plus haut. J’ai plutôt besoin de commencer à mettre du ciment sous mes pieds, de solidifier ce qui me tient. Pas de m’essouffler à être la préférée de tout le monde, à être sans failles, à performer tout le temps… Mais d’abord m’aimer moi.