Illustration : Layloo (@mycrazycolouredmind)
L’année dernière, j’ai niaisé une fille pendant des mois. J’étais tellement misérable dans mon couple que j’ai pas su m’empêcher d’être la bad guy auprès d’une autre.
J’ai séduit Alana pour attirer l’attention de ma copine de l’époque, Romane, avec qui j’entretenais une relation ouverte et platonique. Il n’y avait pas de sexe entre nous, mais une grande complicité et la possibilité d’entretenir d’autres relations – sentimentales ou purement pour le sexe – on the side. À l’époque du début de notre relation, j’étais dans une grande période de réflexion sur le couple et le modèle familial. J’étais intriguée par le polyamour. À la fois curieuse et enthousiaste. Quand Romane et moi on a commencé à sortir ensemble, j’étais persuadée d’avoir enfin trouvé LE modèle relationnel de couple qui me convenait.
Sauf que rapidement, mon couple s’est mis à me rendre malheureuse, pour toutes sortes de raisons. Probablement en partie parce que le polyamour n’est pas vraiment un fonctionnement qui me convient finalement, mais surtout parce que notre relation était malsaine depuis le départ. En quelques mois à peine, j’étais rendue à me sentir minuscule. Insignifiante. Invisible. J’avais besoin d’être vue, d’être reconnue par quelqu’un.e. Pis c’est à peu près à ce moment-là que j’ai rencontré Alana.
***
Vers la mi-août, après quelques mois à être en couple, Romane et moi on a commencé à habiter ensemble. Au début ça allait super bien. C’était l’été, on faisait plein d’activités. On voyait régulièrement des ami.e.s. On allait à des partys, à des soupers BBQ. On faisait des corvées de peinture pour aménager notre appart. On buvait des chaï latté sur la rue St-Jean pis on passait des heures dans des parcs à jaser, à lire pis à faire la sieste. La vie était belle.
Ça s’est gâté pas longtemps après la rentrée. Les cours avaient recommencé. Toustes nos ami.e.s, ben surtout les sien.ne.s en fait, étaient de retour de vacances. Soudainement, il y avait de moins en moins de place pour moi dans son horaire. Ses travaux, ses projets, ses ami.e.s passaient toujours en priorité. J’étais jalouse de la place qu’elle accordait aux autres et qu’elle ne m’accordait pas à moi. Chaque semaine, elle dînait en tête à tête le mardi avec Chloé et le jeudi avec Maude. Elle étudiait à la maison avec Alana le lundi après-midi. Elle jouait au volley avec Renaud et leurs collègues le mercredi. Pis elle allait faire du bloc avec Charlotte et Ahmed le vendredi soir, et souvent le lundi aussi. Pis moi, à côté de tout ça, j’avais juste droit à quelques miettes de temps du quotidien, quand on était pressées, stressées pis systématiquement en retard quelque part.
Rapidement, nos longues conversations sur la vie se sont transformées en interminables et redondantes conversations sur les difficultés de notre couple. Je lui disais me sentir seule, mise de côté. Elle me répondait faire des efforts pour me faire le plus de place possible dans son quotidien. Elle m’assurait que j’étais une priorité à ses yeux, que notre relation était une priorité pour elle. Et pourtant… Actions speak louder than words.
Sauf que moi, je voulais la croire. Je voulais lui faire confiance. Je voulais lui laisser la chance de s’ajuster. Faque je lui faisais le plus de place possible dans mon horaire pour être certaine d’être disponible au moment imprévisible où elle aurait un quinze minutes à m’accorder. J’ai pris l’entièreté de cette responsabilité-là sur mes épaules, sans même m’en rendre compte. Si elle venait vers moi et que j’étais pas disponible, ce qui arrivait vraiment pas souvent, j’étais persuadée que c’était de ma faute si on avait pas pu passer de temps ensemble. J’aurais dû anticiper. Si j’avais fini mon travail hier plutôt que de regarder un autre épisode de Grey’s Anatomy, j’aurais pas eu à lui dire non. J’aurais dû prévoir.
Tranquillement, au fil des semaines, tout mon horaire s’est mis à tourner autour des possibilités de la voir. Je voyais de moins en moins mes ami.e.s. Je faisais de moins en moins d’activités. J’ai arrêté de dîner avec Charline les mercredis midi pour pouvoir rentrer plus tôt, d’un coup qu’elle soit pas encore partie pour son cours de l’après-midi. Je me suis pas inscrite au cours de yoga du mardi soir finalement, parce que c’était le seul soir où elle était des fois à l’appart. J’ai arrêté de prévoir des activités la fin de semaine, au cas où elle voudrait partir en expédition de dernière minute, comme ça nous était arrivé plusieurs fois au printemps d’avant.
Dès que j’étais pas en cours, à l’uni, j’étais chez nous. Je me gardais à jour dans mes cours pour que mes deadlines puissent jamais être une excuse. Pis comme j’étais tout le temps toute seule pis que je me sentais inutile, je m’occupais les mains comme je pouvais. J’ai jamais fait autant de cuisine / ménage / rénovations en si peu de temps! L’appart était tout le temps propre et rangé. Y’avait toujours un souper sur la table et des lunchs de prêts pour le lendemain quand mes colocs rentraient le soir. Pis j’ai trouvé le temps, au travers de tout ça, de retapper notre table de salle à manger pis ma commode, de réparer le bain pis la toilette qui fuyaient pis de faire refaire la peinture de la cage d’escalier par les proprios. J’étais pas arrêtable. Parce que quand je m’arrêtais, je me rendais compte que j’étais malheureuse pis je voulais pas le voir.
La goutte qui a fait déborder le vase de ma jalousie, ça été quand Romane s’est fait un fuckfriend, au début du mois d’octobre. Il venait souper et dormir à l’appart une à deux fois par semaine. J’avais l’impression qu’il était tout le temps là pis que Romane avait juste son nom dans la bouche. Justin ci, pis Justin ça. Déjà qu’elle avait jamais de temps pour moi avant, là je me sentais rapetisser de plus en plus.
Mais j’osais pas lui en parler. Je gardais tout ça en d’dans. J’osais pas lui dire ouvertement parce que j’avais pas l’impression que j’avais le droit de ressentir de la jalousie. On était dans une relation ouverte après tout, ça faisait partie de notre deal d’accepter que l’autre ait des relations on the side. Quand on en avait parlé au début de notre relation pis qu’on avait convenu ensemble de nos boundaries, j’avais pas réalisé que ça m’affecterait autant de la voir avec quelqu’un.e d’autre. J’avais jamais eu de mal à accepter de la voir flirter ouvertement avec des gens, devant moi, dans des soirées. Ni même de l’entendre me raconter qu’elle avait couché avec untel ou unetelle après telle soirée la semaine d’avant. Faque je comprenais pas pourquoi ça me dérangeait autant qu’elle invite Justin à venir fourrer chez nous. Pis surtout, j’arrivais pas à accepter que ça me dérange autant.
J’avais du mal à définir mes limites et mes besoins dans tout ça. Si elle disait que son comportement était normal pis acceptable, si elle disait que j’avais aucune raison d’être jalouse ou de pas apprécier la situation, ben c’est qu’elle devait avoir raison, non? C’était ma première relation ouverte alors qu’elle en avait eu plusieurs autres avant. Faque je lui ai fait aveuglément confiance. Je l’ai laissé définir notre relation à sa guise, en m’effaçant complètement pour follow son lead. Je me disais que c’était à moi de m’adapter au nouveau modèle relationnel, alors qu’en fait y’aurait fallu que je l’adapte à mes besoins et ma réalité. Au final, c’est le manque de communication entre nous, et le fait que je ne croyais pas que mes propres besoins étaient légitimes, qui ont tout fait foirer, ben plus que le polyamour en tant que tel.
Et si j’avais autant de difficulté à accepter mes propres besoins / limites, c’est que j’avais été la confidente de Romane l’année d’avant, quand sa relation avec son ex s’était finie brutalement parce qu’il était jaloux et tolérait mal le polyamour. J’avais entendu tous ses commentaires à propos de lui. Je savais que si je lui montrais ma jalousie, ça marquerait le début de la fin de notre histoire. Pis ça j’étais pas prête.
Faque j’ai fait quelque chose dont je suis vraiment pas fière. Au lieu de reconnaître et d’accepter ma jalousie pour ce qu’elle était, un intense besoin de reconnaissance, je l’ai niée et je l’ai laissée agir à ma place. J’ai commencé à flirter avec Alana quand elle venait à l’appart pour étudier les lundis. Je la cruisais ouvertement. De façon très évidente. Pis toujours devant Romane.
J’ai commencé ça pour attirer l’attention de Romane, pour lui montrer que je pouvais être intéressante. Pis je me suis laissée prendre au jeu. J’ai séduit Alana pour me prouver que j’en étais encore capable. J’ai activement voulu qu’elle tombe en amour avec moi, pis j’ai tout fait pour que ça arrive. J’avais besoin de me prouver que je pouvais encore être séduisante, aimée.
À l’Halloween on a organisé un party à l’appart. C’était une occasion parfaite. Ce soir-là j’ai embrassé Alana pour la première fois et elle a passé la nuit dans mon lit.
Dans les semaines qui ont suivi, tous les prétextes étaient bons pour se voir. Pour passer la nuit ensemble. Pour s’embrasser en semi-cachette dans ma chambre, comme des adolescentes. Ce que je ressentais avait beau être vrai – l’excitation de la découverte de l’autre, la passion des débuts – j’ai jamais passé proche de tomber amoureuse d’elle. Et je crois pas que j’aurais pu dans le contexte particulier de notre rencontre parce que mon intérêt envers elle était en fait centré sur Romane.
Ça, je m’en suis rendu compte assez vite quand même, avant la fin du mois de novembre je crois. Elle s’attachait. Elle voulait clairement amener notre relation plus loin. Pis moi je freinais ses ardeurs avec généralement pas beaucoup de tact. So casually cruel in the name of being honest comme dirait Taylor Swift. Cruellement directe en me disant qu’au moins j’étais honnête alors que je me gardais de lui dire l’essentiel. Comme la fois où elle m’a dit vouloir me présenter à ses parents et que je suis partie à rire. Pour quoi faire? Tu présentes tu vraiment toutes les filles avec qui tu couches à tes parents? J’ai tout de suite vu que je venais de faire une erreur. Je l’avais blessée. Je risquais de la perdre. Alors je l’ai égoïstement rassurée avec des paroles creuses que je ne pensais pas vraiment, pour la garder auprès de moi plus longtemps. Scuse, c’est pas ce que je voulais dire. J’ai eu une grosse journée, tu m’as prise au dépourvu. Ça va me faire plaisir de les rencontrer tes parents, mais pas tout de suite, ok? Un jour, éventuellement. J’ai comme juste pas l’impression d’être rendue-là pour l’instant.
Après cet épisode-là, j’ai pris mes distances. Trop inconfortable avec moi-même, avec la personne que je me laissais devenir avec elle, pour être à l’aise de la toucher ou de la laisser me toucher. Je me détestais. Je me répugnais d’agir ainsi. De l’utiliser pour me remonter. Pour me donner un semblant d’estime. Mais j’étais incapable de mettre fin à notre relation parce que Romane ne me voyait toujours pas et que j’avais tellement besoin d’être vue, d’être reconnue. J’avais tellement besoin d’exister aux yeux de quelqu’un.e. Pis Alana remplissait très bien ce rôle-là.
Trop bien peut-être. Parce que plus elle me regardait avec des étoiles dans les yeux, plus elle renvoyait cette image idéalisée de moi-même, plus je prenais conscience du gap déjà énorme et qui continuait de s’agrandir entre la personne que j’aurais don’ voulu être et celle que j’étais en train de devenir. Plus elle me regardait, plus je me sentais sale, undeserving. Plus elle m’aimait, plus je me détestais. Et plus je me détestais, plus j’avais besoin de son regard pour me rappeler que je pouvais être aimée, aimable.
Avant même le congé des Fêtes, notre relation et nos conversations se sont retrouvées à être chargées de faux espoirs, de non-dits et de mal-être. Elle continuait à m’écrire et à me voir dans l’espoir que je revienne vers elle un jour, qu’on retrouve la passion et l’excitation des débuts. Je continuais à lui répondre parce que je ne trouvais pas de porte de sortie à mon désespoir. Je continuais de la voir parce que je ne savais pas quoi faire d’autre pour me sentir exister.
Ça a continué comme ça pendant des mois. Des mois! Jusqu’à ce qu’un jour, au début du mois d’avril, elle m’écrive un long message pour couper les ponts, complètement. J’aurais dû être triste je crois. Si j’avais vraiment tenu à elle pour des bonnes raisons, je crois que j’aurais dû être triste qu’elle mette fin à notre relation.
Mais j’ai juste été soulagée en lisant son message. Soulagée d’enfin pouvoir entrevoir la sortie au fond du tunnel de mon mal-être. Soulagée de ne pas avoir à trouver le courage de moi-même mettre fin à la relation après des mois à chercher le guts de le faire. Soulagée de ne plus avoir à me mentir à moi-même pour arriver à supporter mes gestes et mes paroles des derniers mois. Soulagée. Plus légère. Prête à remonter vers la lumière.
***
Après plusieurs mois de réflexion, je comprends que si je n’ai pas su laisser Romane dès l’apparition des premiers redflags ou encore être honnête avec Alana, c’est parce que j’ai toujours eu l’impression que de mettre fin à une relation, c’était mal. Dans ma tête, laisser quelqu’un.e aurait fait de moi une mauvaise personne. Parce que ça voulait dire que je causais de la peine à quelqu’un, alors que j’aurais pu lui éviter cette souffrance-là en restant avec. C’est pas clair dans ma tête d’où ça me vient ce feeling-là. Mais genre, même juste de dire à un match tinder que je suis pas intéressée finalement, j’ai l’impression d’être pas fine.
Bref, j’ose pas quitter l’autre personne alors qu’elle n’a rien fait de mal, parce que je veux pas endosser le rôle de la méchante. Ou sinon y’a l’autre option. Celle où l’autre personne a un comportement que je peux pas tolérer mais où j’ose pas non plus la laisser à cause de son comportement parce que j’ai l’impression que ça reviendrait à lui dire qu’elle est une mauvaise personne. Pis ça aussi ça me donne l’impression d’être pas fine, d’être la méchante. Faque on revient à la case départ. Peu importe ce que je fais, dans ma tête, je vais être la badguy.
Pis criss que ça me fait chier! Parce que l’année dernière, c’est très exactement cette peur-là, d’être une mauvaise personne, ou d’avoir l’air d’une mauvaise personne peut-être, qui m’a fait devenir une personne que j’ai détestée. C’est ma peur de nuire qui m’a fait commettre des gestes horribles.
Pis là, j’essaie de me reconstruire, d’avancer malgré ma honte, pis j’ai une phrase qui me revient en tête. Une phrase qu’une de mes tantes m’a dite il y a quelques années. Je sais pas pourquoi elle m’avait autant marquée à l’époque, mais aujourd’hui je pense que je commence à en comprendre la portée.
Tsé, aux yeux de ton oncle je suis une femme merveilleuse, mais aux yeux de mon ex je suis une criss de folle. Pis tu sais quoi, les deux ont probablement raison, je suis ces deux femmes-là en même temps, en fonction des contextes.
Dans mon histoire avec Alana, j’ai été, pour la première fois de ma vie, de l’autre côté d’un genre de relation malsaine dont j’avais fait les frais à plusieurs reprises par le passé. Pour la première fois de ma vie, j’ai été la personne distante. La personne qui ghost. Ou qui répond aux messages, mais pas vraiment en fait. Qui fait jamais de plans avec plus de 48h d’avance, dans l’espoir de trouver mieux entre temps, mais qui garde quand même l’autre on the hook au cas où. J’ai été cette personne que j’ai souvent rencontrée dans ma vie et qui m’a plusieurs fois fait souffrir par le passé.
J’avais souvent été la criss de folle, celle qui est too much, celle qui se laisse manipuler. Mais, pour la première fois de ma vie, dans mon histoire avec Alana, j’ai été la badguy, celle qui manipule. Et j’en suis vraiment, vraiment pas fière. Mais je refuse de laisser cet épisode de ma vie me définir. Je veux m’en servir pour apprendre et avancer plutôt que pour me rabaisser.
Chaque personne est à la fois ombre et lumière. Avoir un comportement de marde ne veut pas dire qu’on est une mauvaise personne en soi. Refuser d’accepter les agissements d’une personne qui nous fait souffrir ne revient pas à la condamner au rôle de badguy, au contraire. La preuve c’est qu’Alana m’a libérée lorsqu’elle a mis fin à notre relation par respect pour elle-même.
Je me rends compte, grâce à cette anecdote sombre de ma vie, que parfois, rompre est la meilleure chose à faire. La chose la plus gentille à faire. Que ça veut rarement dire qu’on est une mauvaise personne. Ou qu’on considère l’autre comme une mauvaise personne. Pis ça, je trouve ça tellement rassurant, parce que ça veut dire que je vais pouvoir commencer à prendre soin de moi dans mes relations sans forcément avoir l’impression de nuire à l’autre.
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
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