Illustration : Éliane (@lily364)
T’es tu déjà rendue compte qu’entre toi pi ton chum, t’es vraiment plus en train de l’écouter te raconter ses difficultés au travail que le contraire? Qu’avec ton amie, tu trouves pas la place de te confier parce qu’elle vit juste trop de shits intenses? Ça t’es tu déjà arrivé de juste trouver qu’une relation pourtant vraiment respectueuse te donne un feeling d’inégalité difficile à nommer? T’es tu déjà sentie égoïste de vouloir parler plus des trucs que TOI tu vis? Giiiiiirl saaaame.
Quand j’ai compris c’était quoi le travail émotionnel, ça a cliqué pour moi. Je m’y suis intéressée vraiment trop intensément ces derniers temps, entre des recherches académiques là-dessus et… Ma vie, tsé. Me semble que je regarde certaines relations que j’ai live puis que je vois un débalancement… Je veux dire que j’ai parfois l’impression d’en faire beaucoup pour quelqu’un, et qu’on en fasse moins pour moi. Genre, je soutiens quelqu’un dans un moment très intense et stressant, mais je sens pas le même soutien quand c’est à mon tour de vivre des moments particulièrement anxiogènes. Genre, je vis des trucs vraiment le fun, mais j’ai pas de place pour les partager parce que quand on a fini de parler des trucs que l’autre personne vit, on doit raccrocher le téléphone, on a plus de temps. Genre, j’accompagne quelqu’un dans des problématiques de santé en ayant le feeling très clair que devant les miens, je suis pas mal plus seule.
Pour celleux qui auraient moins vu ce terme-là défini avant, le travail émotionnel s’exprime dans, honnêtement, toutes les relations humaines. Je suis prête à dire qu’une relation, quelle que soit sa forme, est basée sur ce travail-là. Deux personnes qui s’apprécient ou s’aiment vont échanger sur leurs journées, les difficultés ou les joies qu’elles vivent, les craintes qu’elles ont pour l’avenir ou alors leurs frustrations du présent…. C’est tout à fait une partie de l’expérience humaine (woah, les grands mots). Je pense vraiment qu’une relation sans un MINIMUM de ce travail s’étiole, ou reste dans les banalités, en surface. Je veux dire, ok tu peux avoir une relation avec une personne où tu parles juste de la météo et des films que t’as aimé, mais c’est tu un.e ami.e, ou plus une connaissance tiède si vous vous confiez legit JAMAIS?
Cela dit. À la base, le travail émotionnel c’est un outil pour montrer des différences entre des métiers féminins et masculins, dans le sens où y’en a clairement un des deux qui en demandent plus. Le travail émotionnel dans le contexte d’une job, ça veut dire démontrer, ou même ressentir, des émotions précises pour répondre aux exigences d’un employeur. C’est quand l’infirmière doit rassurer un patient, quand la caissière doit sourire, quand l’agente de bord doit avoir l’air calme et enveloppante. Je surprendrai personne en disant que c’est des emplois surtout (et traditionnellement) féminins qui demandent ce genre de travail. Pendant que la caissière sourit, la gars aux plaques peut vraiment avoir l’air bête. Et le gars qui creuse des trous dans la chaussée a pas besoin de rassurer personne. Ça veut pas dire que des jobs sont plus ou moins dures; ni qu’aucun homme ne fait d’emplois qui demandent du travail émotionnel (évidemment que des enseignants ou des infirmiers, ça existe, duh). C’est que des métiers traditionnellement masculins comportent juste vraiment moins de travail émotionnel, de care, de gestion d’émotions.
Puis le concept va plus loin. Du travail émotionnel, c’est pas juste en public, dans nos jobs. Dans le privé c’est super présent, même si c’est un peu différent. Les femmes sont plus responsables de l’éducation des enfants, de s’occuper de parents vieillissants comme « aidantes naturelles », d’organiser les fêtes d’anniversaires, les soupers de famille, et j’en passe une tonne… Ce sont tous des exemples de travail émotionnel fait en dehors d’une job payée, fait pour faire plaisir, rassurer, s’occuper des sentiments des autres… Et fait majoritairement par des femmes dans leurs relations de couples, d’amitié, de familles, et autres. Puis à part le fait que si on regarde les relations autour de nous pour vrai là, l’inégalité est claire, y’a des études et des textes vraiment legit sur la proportion de travail émotionnel fait par les femmes, même si c’est dur à calculer. C’est pas juste un feeling dans mon p’tit coeur…
Faque le travail émotionnel a beau faire partie des relations humaines, s’il n’est pas partagé dans une relation, ça peut être VRAIMENT lourd. C’est pas pour rien que l’expression travail est choisie; ça peut être taxant de le faire, ça peut être demandant mentalement, psychologiquement, et physiquement. SURTOUT si une personne en fait plus, est de manière démesurée la personne qui écoute et console, alors que l’autre ne fait pas sa part… Allô le débalancement.
Tout ça là… Ça me fait ben trop réfléchir. Ça me fait réfléchir au travail émotionnel dans les relations amoureuses, celles que je vis depuis quelques temps. En fait, c’est que je suis assez capable, vite vite, de m’imaginer le travail émotionnel fait, mettons, par ma mère dans notre famille, face à mon père, à ses parents. En proportion, et même si elle travaillait autant que mon père à l’extérieur du foyer, c’est surtout elle qui nous consolait, se rappelait des anniversaires de tout le monde, invitait les gens pour Noël… Presque à tout coup, lorsqu’il était question de faire plaisir, de rassurer, de s’occuper de quelqu’un, de prendre soin… Ma mère en prenait une bien plus grande part que mon père. C’est assez classique là, j’ai l’impression qu’en examinant nos familles, beaucoup auraient la même conclusion. Mais là, que je trouve ça PAS MAL plus compliqué de le penser dans le cadre des relations amoureuses plus près de moi…Par là je veux dire c’est quoi et ça veut dire quoi le travail émotionnel dans une relation, mettons, juste sexuelle? Dans une fréquentation, un couple-pas-couple, un couple ouvert?
Mettons là. Quand est-ce qu’une personne peut dire, hey j’investis beaucoup d’émotions dans cette relation-là, j’aurais comme besoin d’un retour? Quand est-ce qu’une personne, même si elle ne veut pas presser l’autre qui dit ne pas être prête à s’engager, peut affirmer son besoin de plus d’intimité et d’amour sans se sentir égoïste? Quand est-ce qu’on peut énoncer un besoin full humain de plus de travail émotionnel sans avoir l’impression de mettre de la pression sur quelqu’un qui dit ne pas vouloir s’engager? Quand est-ce que ça peut s’énoncer, j’ai besoin d’engagement émotionnel, lorsque la relation est vraaaaiment pas claire? Surtout, est-ce qu’on peut demander plus de travail émotionnel dans une relation sans que ce soit reçu comme une volonté de rendre cette relation monogame, exclusive, sur le chemin vers les étapes traditionnelles dans lesquelles plein de gens se retrouvent peu ou pas?
Et c’est que toutes ces questions-là… Je pense juste pas que ça peut être retiré du contexte patriarcal dans lequel on est (je suis une féministe finie, donc…). Ça serait nice, mais je ne pense pas pouvoir ignorer que le travail émotionnel est méga invisible, et ultra essentialisé chez les femmes, comme si ça faisait partie de leur nature. D’où le fait d’ailleurs que c’est un travail surtout lié aux emplois féminins (c’est une vocation, s’occuper des autres, gnagnagna). Malgré que c’est d’une importance CRUCIALE dans les relations humaines, on peut trèèès facilement oublier son existence… SURTOUT quand on en reçoit beaucoup plus qu’on en fait!!
On peut pas ignorer non plus que se tient dans l’ombre le MAUDIT stéréotype DÉGUEU de la femme folle, possessive et needy, qui je pense est un piège dans lequel beaucoup de femmes ont peur de tomber en énonçant leurs besoins émotionnels dans une relation! Comme si énoncer des sentiments, des besoins émotionnels se serait ridicule, négatif, humiliant, gênant. Comme pas mal d’affaires associé aux femmes, c’est vraiment dévalorisé dans une société patriarcale, peu importe qui le fait (surprise!).
BREF, même si je veux me convaincre que de demander un retour de balancier, du care d’une autre personne n’est pas égoïste mais vraiment humain… Même si je trouve que c’est toxique de penser que ce serait d’être needy de demander plus d’engagement… Ça m’empêche pas que je me confronte à l’envie de ne pas faire la fille lourde qui demande à quelqu’un de oui partager ses émotions, mais aussi d’écouter les miennes…
Je pense que ces questions-là, y’a beaucoup de monde qui se les posent. Je pense que de lire sur le travail émotionnel m’a permis de mettre des mots sur ce que je sentais, ce qui m’a fait beaucoup de bien. Bon, après… J’ai pas plus de solutions. J’ai surtout réfléchi à mon expérience de femme cis qui date des hommes cis, mais c’est juste une partie de ce que ça peut être; ça s’exprime entre amis, en groupe, en famille, avec un.e partenaire du même sexe… Et puis même si j’ai des mots pour comment je me sens, je sais pas non plus quoi faire avec ça.
Anyone feeling me?
La Perdrix
Candidate à la maîtrise et militante féministe, La Perdrix est une jeune femme qui adore être en mode occupée tout le temps. Forte et fragile à la fois, elle peut déménager tes meubles et pleurer en lisant un livre. Rien ne lui fait plus plaisir que de défier des stéréotypes, ou voir quelqu’un renverser des idées préconçues.
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