Illustration : Alice (@halissss)
Il est environ 23h et ça fait 15 minutes que je pleure dans mon entrée, la face dans le plancher de bois franc à me maudire de me mettre dans un état pareil à cause d’un homme.
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Lui et moi, on s’est rencontré.e.s il y a quelques semaines et on dirait que toute ma vie tourne autour de cette rencontre depuis. Pis ça m’énarve. Pire, ça me met en crisse contre moi-même par moments. Ça me fait chier que mes états d’âme dépendent des paroles et des actions d’une autre personne que moi. Pis pas d’un ensemble de personnes là! Non, esti, d’une seule personne. D’un homme que je connais à peine en plus!
Mais en même temps ça me rend heureuse. Les journées où je sais que je vais le voir, je suis plus souriante, énergique et même productive. Sérieux, WTF!?! C’est incompréhensible, messemble que ça devrait être le contraire, mon cerveau devrait se transformer en guimauve. Mais non, apparemment je deviens digne d’une super-héroïne quand je pense à lui.
Jusqu’à… ce soir. On devait se voir pour faire une activité cool. Il m’écrit en après-midi pour annuler : il prend un verre qui s’éternise avec un ami de longue date qu’il ne voit pas très souvent, mais me propose de venir les rejoindre quand j’aurai le temps. J’ai vraiment envie de le voir, alors je change mes plans et décide de ne pas aller au théâtre, sachant déjà que je vais le regretter, mais incapable de faire autrement. J’arrive donc vers 18h et ils sont déjà tellement saouls qu’ils ne remarquent presque pas mon arrivée.
La soirée avance et j’essaie de m’intégrer, mais rien à faire, c’est presque comme si je n’existais pas. Tsé, j’aurais pas été là que ça aurait rien changé à leur soirée. J’étais comme le maudit crayon blanc dans la boîte de Crayola, qu’il soit là ou pas, on ne voit aucune différence sur ton dessin. Ils se remémorent leurs histoires de brosse sans même tenter de m’inclure à leur conversation. Quand j’essaie de participer, c’est presque s’ils m’ignorent. Je suis comme spectatrice, et non actrice. L’ami de longue date, avec son post-doctorat, enchaîne les commentaires sexistes et remarques dégradantes envers les femmes.
Elle est tellement intelligente cette fille-là, mais je comprends quand même pas comment elle a pu terminer son BAC plus vite que nous. Ah c’est vrai, te souviens-tu, elle flashait ses seins à tout le monde à l’époque, ça l’a peut-être aidé…
En tout cas bro, fais attention avec les filles que tu fréquentes, parce qu’une fois que ça t’aime, ça colle, pis c’est pas facile de s’en débarrasser. (Euh, allo, je suis juste à côté de vous! C’est moi que tu compares à une tache de sauce à spag’ sur une chemise blanche?! Parce que là je me sens plus comme un scring de porte patio par une journée d’été particulièrement ensoleillée : invisible.)
Pis sinon, tu fais comme moi avec ma blonde, tu les domptes. Y’a fallu que je la mette quelques fois en punition dans le coin pour qu’elle réfléchisse, mais maintenant au moins, elle est beaucoup moins folle qu’avant.
J’en reviens pas! Je sais pas où me mettre. Je n’ose pas réagir, je ne m’en sens pas la force, mais en même temps je m’en veux de me terrer dans le silence. Plus la soirée avance, moins je me sens bien, mais aucun des deux ne semble se rendre compte de mon malaise profond.
Après quelques heures, je trouve enfin la force de me lever pour partir, mais il pense que je bluff. Que je prétends vouloir partir pour attirer son attention. Ben oui, bravo le grand, tu m’as démasquée, tout ce que je fais/dis/pense, c’est en fonction de toi. Sauf que, pas du tout. J’en ai assez de me sentir comme de la marde à cause des propos d’un imbécile saoul que je ne connais même pas. Ça va faire. J’ose enfin me lever et partir.
Sauf que c’est pas facile. Que ça m’a pris presque 3h pour trouver le courage de le faire. Parce que cet homme me plait vraiment, mais que je ne peux pas accepter ce genre de propos sans réagir. Alors je suis rentrée chez moi. Mais en refermant la porte d’entrée, je me suis effondrée sur le sol et ça m’a pris un quart d’heure pour reprendre mes esprits et essuyer les larmes et la morve sur mon visage.
Il est environ 23h, on est un samedi soir et je pleure de façon incontrôlable parce que mes idéaux se confrontent. Parce que je suis profondément féministe, mais que j’aurais envie d’être avec lui. Parce que je suis rendue au point dans ma vie où je voudrais être en couple, mais que je préfère être seule qu’être avec la mauvaise personne. Pis que ce sont de belles pensées en théorie, mais qu’en pratique, ça s’applique comme de la marde.
Parce que ça m’a pris plusieurs heures avant de réagir pis que, même là, j’ai pas osé stand up contre des propos qui m’horripilaient.
Parce que, ce soir, malgré tout, je suis fière d’être partie alors que je ne me sentais pas appréciée à ma juste valeur, mais que j’ai en même temps peur d’avoir scrappé mes chances avec lui.
Parce que je m’en veux de me rendre responsable de ce possible échec alors que si ça foire à cause de mon départ, c’est que ça n’aurait tout simplement jamais pu fonctionner.
Parce que je sais tout ça mais que ça ne m’empêche pas de pleurer, la face étampée dans le plancher, pis que la conclusion de ma soirée qui aurait due être géniale, ben c’est cet esti de sentiment de marde.
Parce que j’ai tout le temps peur d’alimenter le stéréotype de l’hystérique en décidant de dénoncer. Parce que, comme l’exprime si bien Martine Delvaux dans Le monde est à toi, j’ai l’impression « d’être toujours trop et jamais vraiment assez » dans mes prises de positions.
Parce que j’ai peur qu’il ne me rappelle pas après ça. Parce que je sais que ça va m’être difficile de ne pas lui écrire demain tellement j’aimerais que ça marche, mais que je veux que cette fois-ci, ça vienne de lui. Parce que j’hésite toujours à lui écrire de peur de passer pour la folle castrante plus collante que du velcro. Parce que j’aimerais tellement que ça soit plus simple.
Et qu’avec tout ça, je ne sais toujours pas quoi faire et que je me demande toujours autant pourquoi j’agis de la sorte avec les hommes. Ahh, pas toujours facile de dater quand t’es féministe.
So speak up,
Padmé
Étudiante en physio, Padmé écrit pour se vider la tête et faire avancer ses réflexions. Drivée par les questions de genre, elle refuse de se faire enfermer dans une image stéréotypée de la femme. La preuve, il n’est pas rare de la trouver les deux mains dans la graisse de vélo en train de chanter du Céline Dion à tue-tête.
Pour lire le dernier article de Padmé – Retrouver l’envie de l’inconnu – c’est ici!
A ta place, je n’aurais pas attendu 3 heures. Bien qu’ils soient pompettes, dès le premier commentaire digne de Cro-Magnon, tu les interpelles sur leur propos misogynes, tout en gardant un calme déconcertant (très important et efficace). Si le mec qu’y t’intéresse reste sur ses positions, alors pas la peine de te morfondre et perdre ton temps. Si par contre, il est capable d’écouter et admettre que les idées machistes n’ont pas leurs places dans un monde civilisé et que par dessus tout il tient tête à son ami devant toi, alors non seulement la soirée devient intéressante, mais le mec aussi.
Bonjour Eric,
D’abord merci d’avoir lu mon texte, d’y avoir réfléchi et d’avoir pris le temps de m’écrire un commentaire.
Je pourrais préciser que j’ai écrit ce texte alors que j’étais encore bouleversée par le trop plein d’émotions, mais que j’ai confronté l’homme en question à ses propos le lendemain, une fois que nous avions toustes désaoûlé.
Toutefois, je crois que mon texte allait plus loin qu’une simple analyse de comportements et de paroles – loin de moi l’envie de dire aux autres comment vivre leur féminisme au quotidien – mais cherchait plutôt à montrer le dilemne psychologique causé par la confrontation d’idéaux et de désirs ponctuels.
Padmé